Interviews

Défendre le cinéma est une obligation. 
Lluis Miñarro produit depuis une vingtaine d'années des films avec sa société Eddie Saeta. Il a accompagné des réalisateurs comme José Luis Guerin, Isabel Coixet, Albert Serra, Manoel de Oliveira et dernièrement Apichatpong Weerasethakul, le réalisateur d'Oncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures), la Palme d'Or en 2010. Présent lors du Festival du cinéma espagnol de Nantes, nous lui avons posé quelques questions sur son travail de producteur et sur la situation du cinéma en Espagne.
Lluis Miñarro - Producteur de films indépendants
Comment êtes-vous devenu producteur?

Dès les années 60, à l'époque de la dictature, j'ai participé à la fondation de deux ciné-clubs. Nous diffusions dans le sud de la France des films interdits par la censure. Nous organisions en Andorre ou à Amélie-les-Bains des week-ends cinéma où nous projetions des Pasolini, des Buñuel, des István Szabó... Plus tard, dans les années 70, j'écrivais des critiques pour Dirigido Por et Destino, une revue qui n'existe plus. C'est comme cela que je suis arrivé au cinéma mais, à vrai dire, j'allais au cinéma en famille tous les week-ends depuis mes quatre ans. Et puis en 1989, nous avons créé Eddie Satea avec trois associés. Notre objectif était de financer des films grâce aux bénéfices générés par la production de spots publicitaires. Nous avons commencé par Des choses que je ne t'ai jamais dites, d'Isabel Coixet, qui à l'époque était l'une des associés.

Quel genre de cinéma défendez-vous?

Le cinéma que je produis est celui que j'aime en tant que spectateur. C'est un cinéma d'auteur, indépendant, qui laisse une certaine part de liberté. J'ai travaillé avec Lisandro Alonso, José Luis Guerin, Albert Serra, Marc Recha, Manoel de Oliveira et récemment avec Apichatpong Weerasethakul, la Palme d'Or du Festival de Cannes en 2010.

Quel accueil ce genre de cinéma reçoit-il en Espagne?

Mes films ont du mal en Espagne à trouver leur public. Je suis un producteur indépendant qui n'appartient à aucun lobby. C'est une liberté, mais en retour j'ai des difficultés à trouver des distributeurs et des salles de cinéma. Pour les grands films, je profite des quelques salles engagées qui restent, mais je suis parfois condamné à sortir un film au mois d'août où il n'y a personne! Mes films circulent mal dans les circuits traditionnels mais ils sont visibles dans les festivals, les cinémathèques, les ciné-clubs.

Est-ce que vous pouvez par exemple retracer la vie de La Mosquitera d'Agustí Vila, que vous avez produit et qui était en compétition cette année au festival du cinéma espagnol de Nantes?

Pour ce film, l'apport financier déterminant vient de la télévision catalane, TV3, une télévision publique qui participe à de nombreux films soutenus pas des producteurs catalans. J'ai eu du mal à trouver des financements auprès d'autres télévisions espagnoles mais TVE, la télévision publique nationale, a finalement suivi le projet parce qu'il y avait des acteurs connus (Eduárd Fernandez , Emma Suárez, Géraldine Chaplin) et que c'était une comédie. Enfin, le Ministère de la Culture (ICAA) et la Generalitat (le Gouvernement catalan) nous ont accordé des subventions. La Mosquitera a eu deux prix au Festival de Valladolid mais la sortie cinéma a été compliquée. Les distributeurs n'ont pas aimé le film et au final un distributeur de Barcelone a bien sorti le film en Catalogne mais pas dans le reste de l'Espagne.

Est-ce que la Palme d'Or décerné à Oncle Boonmee vous a surpris?

J'aime le cinéma d'Apichatpong mais je ne comptais pas sur une Palme d'Or! Cela a été une surprise qui a généré une couverture presse importante. Cela a facilité la diffusion du film, qui est distribué dans 35 pays. Il a fait 13 000 entrées en Espagne et 120 000 en France. Apichatpong va avoir une nouvelle carrière à partir de maintenant et je m'en réjouis. De mon côté, cela ne me facilite pas plus la tâche dans mon travail de producteur mais c'est un honneur personnel.

En 2007, le Parlement espagnol a voté la Ley del Cine, qui avait notamment pour objectif de favoriser le secteur indépendant de la production et de la distribution cinématographique. Quels ont été les effets de cette loi?

Comme souvent, la politique est en dehors de la réalité. Cette loi est censée aider les films indépendants, mais en vérité les exigences des demandes de subvention en rendent l'accès impossible. Le Ministère de la Culture apporte plus d'argent qu'auparavant mais il exige que le pourcentage des aides accordées ne dépasse pas les 50% du budget total du film. Mais comment remplir cette exigence quand les chaînes de télévision ne nous suivent pas? Cette loi est pour moi un bonbon empoisonné! Je suis d'ailleurs signataire avec Javier Rebollo et d'autres réalisateurs d'une pétition contre cette loi parce qu'elle favorise les films les plus commerciaux. D'autre part, la loi rembourse 33% des dépenses du producteur si le film dépasse les 300 000 entrées. Un chiffre inatteignable pour nos productions. C'est une mesure qui favorise les gros films et qui fait la part belle à l'industrie cinématographique au détriment d'une approche culturelle.

L'ICAA (l'institut cinématographique espagnol) a récemment publié le bilan 2010 du cinéma espagnol, qui décrit une nouvelle chute de la fréquentation. Comment analysez-vous cette situation?

En Espagne, le cinéma américain dispose depuis toujours d'une situation hégémonique avec 70% de parts de marché. Les cinémas européen et espagnol se partagent les 30% qui restent. Chaque année, 4 ou 5 films espagnols reçoivent un bel accueil du public et les autres films ont du mal à se financer et à circuler. Je vous donne un autre exemple d'un film que j'ai produit, celui d'Aita, de José Maria Orbe, dont tout le monde à l'étranger s'accorde à dire qu'il s'agit d'un chef-d'œuvre. Le film a eu un prix au Festival de San Sébastien et récemment à Mexico, il va être diffusé à la Tate Gallery à Londres et dans de nombreux festivals. Eh bien ce film est resté une seule semaine dans un cinéma de Barcelone! Les critiques de cinéma, excepté les Cahiers du Cinéma, ne nous soutiennent pas, et c'est malheureux à dire mais il y a ici un public très restreint pour ce genre de film.

Malgré ce sombre tableau dont vous nous faites part, quels sont vos projets à venir?

C'est un tableau que nous avons depuis longtemps et que la crise économique n'a pas arrangé, mais je crois qu'il faut rester optimiste. Comme dit Godard, défendre le cinéma est une obligation parce que c'est l'art de notre temps. Les choses sont certes plus difficiles mais, d'un autre côté, on trouve toujours des possibilités. Aujourd'hui se développe la coproduction. Il y a quelques années on faisait des coproductions entre deux pays, et maintenant avec trois, quatre, voire cinq pays, comme cela a été le cas pour Oncle Boonmee. Chaque producteur fait un petit apport et avec cela, on peut encore soutenir ce type de cinéma. En ce qui concerne mes projets actuels, je suis en train de coproduire et terminer un premier film brésilien sur le thème de l'environnement et de l'animisme. J'ai deux autres films en financement, le deuxième film de Pere Vila, La Lapidation de Saint-Eustache, en coproduction avec la société française L'Age d'or et le distributeur Capricci. Je suis aussi impliqué dans le troisième long-métrage de Javier Rebollo, El Muerto y ser feliz, qui va se tourner prochainement en Argentine avec José Sacristán.


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