Films
Sublime
« Mais il y a au monde une chose sainte et sublime,
c’est l’union de deux de ces êtres… »
Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour.
« Un seul être vous manque et tout est dépeuplé » écrivait Lamartine. Dès son plus âge, Manuel en fait l’amère expérience. Le premier long-métrage du réalisateur argentin Mariano Biasin commence par un petit film « maison », une vieille vidéo familiale, dans laquelle notre protagoniste, encore enfant, ne décroche pas un sourire alors que toute sa famille se met en quatre pour lui faire plaisir. Manuel fait la moue devant les bougies allumées de son gâteau d’anniversaire, mais son visage finira par s’illuminer quand son meilleur ami Felipe fera enfin irruption dans la pièce ! Ellipse temporelle : Le « vrai » film commence alors et nos deux protagonistes sont devenus adolescents, presque adultes. Ils sont surtout devenus totalement inséparables, et l’alchimie ( ou la « magie" pour reprendre un mot qui reviendra plusieurs fois dans le film ) est évidente entre ces deux jeunes acteurs prometteurs que sont Martin Miller et Teo Inama Chiabrando. Nous sommes témoins - la caméra nous place même en position d’observateurs silencieux car les personnages sont souvent filmés de côté, de dos et rarement de face - de leur très forte amitié, qui se décline sous toutes les formes et à chaque moment de leur vie quotidienne. Ils partagent tout, y compris une fourgonnette dans laquelle ils comptent emmener leurs petites amies.
Le noeud gordien : l’amour
Tout semble aller pour le mieux jusqu’au jour où Manuel se rend compte qu’il éprouve une attirance sexuelle pour Felipe. S’il en est désormais conscient quand il est éveillé, c’est principalement la nuit qu’il donne libre cours à ses fantasmes. A travers de multiples rêves, dans lesquels Manuel se rapproche peu à peu de l’être aimé, son inconscient essaye de lui faire prendre conscience qu’il n’y a pas d’échappatoires possibles, et qu’il doit agir. Son corps lui échappe. Mais s’il parle dans son sommeil comme le lui répète inlassablement sa soeur en se gardant bien de révéler ce qu’il dit, Manuel est incapable de dire à Felipe ce qu’il ressent à son égard. Et même si la vie continue, le bonheur s’est effacé. Ce qui devrait être une source de joie devient une source de souffrances.
Les souffrances du jeune Manuel
Notre jeune protagoniste a l’âme d’un poète romantique. L’amoureux transi, de peur d’être éconduit et de tout perdre, décide de se claquemurer dans le silence et tout comme les Romantiques, il va se complaire dans sa souffrance. Une de ses amies le lui fait d’ailleurs remarquer. Le film tournant essentiellement autour du point de vue de Manuel, cela renforce cette expression exacerbée de la mélancolie du protagoniste. De plus, dans le film, ce lyrisme est accentué par la beauté des paysages qui sont intimement liés à l’expression des sentiments : le vent soufflant dans les arbres semble aller de pair avec la tristesse et la solitude de Manuel alors que la plage ensoleillée couronnée par un arc-en-ciel évoque les moments de complicité entre les deux garçons qui deviennent de plus en plus rares. Pour illustrer son propos, le réalisateur a choisi une ville balnéaire particulièrement tranquille, dans laquelle le temps semble s’être arrêté, où tout est calme et paisible.
Un entourage bienveillant, et pourtant.
Mariano Biasin a choisi de nous parler des premiers émois d’un adolescent, amoureux d’un autre garçon, sans pour autant évoquer le thème de l’homophobie. L ‘environnement du jeune homme est particulièrement bienveillant. Personne ne semble avoir de problèmes avec l’orientation sexuelle de Manuel si ce n’est Manuel lui-même.
Tous les personnages qui gravitent autour de lui sont bienveillants et compréhensifs : son ancienne petite amie, qu’il vient pourtant de quitter, sa soeur et même son père qui lui fait comprendre que le fait qu’il éprouve des sentiments pour un garçon n’a aucune espèce d’importance. Tandis que Manuel a l’air de se flageller lui-même quand il évoque ses sentiments pour Felipe devant son père, ce dernier se contente de lui dire qu’il a un bout de jambon coincé dans les dents ! Magnifique scène presque idyllique que tout jeune homosexuel voudrait ou aurait voulu vivre. Ainsi alors que pour une fois tout semble aller pour le mieux, notre protagoniste n’arrive pas à avancer. Quel est donc le problème ? Mariano Basin ne nous donnera pas de réponses. A nous de les chercher dans l’inconscient collectif, les valeurs religieuses ou culturelles que l’on nous inculque à grande échelle. Ainsi, même quand l’environnement proche est propice à ce type de confession, cela reste compliqué du fait d’autres facteurs intérieurs liés à la complexité du passage à l’âge adulte et plus probablement à une sorte d’homophobie intériorisée. Le reste du monde n’est pas aussi bienveillant et il n'est nul n’est besoin de démontrer l’homophobie ambiante. Rien qu’en regardant ce film, on est étonnés que tout se passe aussi bien !
La création artistique entre sublimation et révélation.
La révélation finira par arriver. La jalousie lui permettra de sortir de ses gonds ! Quant à l’art, il lui permettra de « sublimer » ses sentiments ! Pour Freud, « la sublimation est un processus complexe par lequel la pulsion dévie de son but sexuel immédiat pour se mettre à la disposition d'activités culturelles ». Quand le protagoniste souffre parce qu’il aime et que l’être aimé l’a délaissé pour une autre personne, il se retire en lui-même et compose une chanson. Cette douleur lui permet de créer une oeuvre musicale, tel un exutoire qui lui permet également d’avouer ses sentiments indirectement. Sa chanson est le miroir de son âme. Dans Sublime, Manuel et Felipe font partie d’un petit groupe de rock. Ils peuvent donc créer, jouer et éprouver des moments d’extase ensemble. La musique est omniprésente dans le film, parfois un peu trop - on a parfois le sentiment de voir un long clip musical - mais elle est au service de l’histoire. La création artistique est également au coeur du film : le père fabrique des guitares, le fils joue et compose de la musique.
L’art est ainsi évoqué sous différents aspects : la transmission ; l’épanouissement personnel et l’exutoire ; le partage et l’extase ; la sublimation et la magie, comme celle du cinéma !
Sébastien Maury
Rafa (Germán Alcarazu) est espagnol et vit son adolescence joyeusement entourée de sa bande d’amis, bien qu’un peu spectateur de son quotidien. Entre parties de jeux vidéo et matchs de waterpolo, il croise Ibrahim (Adil Koukouh, vu notamment dans la série El Príncipe), réservé, jeune marocain résidant au centre d’accueil des mineurs sans papiers.... Lire la suite
Jayro Bustamante, lauréat de la Fondation GAN pour le Cinéma en 2017, a présenté Tremblements à la Sélection Panorama du festival de Berlin en février. Il a remporté le Prix du Public aux rencontres Cinélatino de Toulouse en mars. Sa deuxième réalisation est axée sur la thématique de l'homosexualité dans un Guatemala hautement évangéliste. Loin... Lire la suite
Entre les critiques élogieuses et les déceptions franches, il est plus que vertigineux de publier une chronique de ce film. Et c'est tout particulièrement vertigineux car le regard est difficilement objectif et la subjectivité en jeu est tellement intime quand nous parlons de l'ensemble des œuvres de Pedro Almodóvar. Alors, face à la difficulté,... Lire la suite
Marco Berger, réalisateur de ce très beau drame sensuel, est connu dans le milieu LGBT pour ses films gays où les personnages se trouvent confrontés à une passion naissante qu'ils peinent à assumer, à la toute fin du film. Ici, le sujet reste substantivement le même. Il est toutefois traité différemment : l'attraction mutuelle se matérialise à la... Lire la suite
Les choix du réalisateur par rapport au livre sont artistiques et esthétiques. Il y a deux différences notables. La première est la plus importante : le roman est composé de deux histoires écrites en parallèle. Cette juxtaposition s'intensifie au fur et à mesure et culmine au moment de l'attentat. L'histoire principale tourne autour de la relation... Lire la suite
Le carnaval à la Quebrada de Humahuaca est l'occasion de célébrer dans les collines ocres et poussiéreuses des manifestations traditionnelles des plus originales. Des hommes et femmes vêtues de tenues traditionnelles comme celle de Tio Supay. Une fête que le spectateur pourra ressentir comme une danse théâtralisée macabre (danse de la Diablada) et... Lire la suite
Il serait tout d’abord tentant de voir dans le postulat du film un écho métaphorique à la situation politique d’un pays, lui-même confronté à une « transition » : Cambio de Sexo (1976) sort dans les mois suivant la mort du Caudillo qui voit s’installer la période de Transition Démocratique en Espagne jusqu’en 1982. Il ne faut... Lire la suite