Films
Douleur et gloire
Voyez ce film ou pas, appréciez-le ou pas. Avec Douleur et gloire, la contradiction prime. On l'aime ou on ne l'aime pas. Il est doux et piquant, cinématographique et théâtral, cliché et poignant à la fois.
L'image d'Almodovar est là, sur l'affiche signée une fois de plus par Juan Gatti, les personnages de sa carrière aussi (un cameo de Cecilia Roth qui joue le rôle d'une actrice que Salvador a déjà dirigé, le personnage de l'acteur-ami brouillé avec Asier Etxeandia pour interprète qui rappelle les rapports singuliers d'Almodóvar avec certaines de ses actrices notamment avec Carmen Maura, les retrouvailles avec un amour impossible à l'époque de la Movida, son amie et fidèle collaboratrice de El deseo qui porte le nom de Mercedes dans le film et interprétée par Nora Navas). Il est aisé de reconnaître des bribes de réalité.
Il en est de même avec les références artistiques qui lient l'ensemble de l'œuvre. Jusqu'ici rien de singulier mais de nombreux recours artistiques agréablement reconnaissables. Et l'on zyeute tout si l'on aime avec ferveur les films de Pedro Almodóvar. Et il y en a pour tous les goûts. Le mien, c'est bel et bien les références aux tableaux du valencien Joaquin Sorolla que l'on retrouve dans les flashbacks de Salvador Mallo, imprégnés de la photographie et de la mise en scène de la vie de Salvador enfant, qu'il s'agisse de la poésie des blancs à l'écran tels le village de Paterna, ses maisons-grottes et la luminosité des corps, des visages ou qu'il s'agisse de tableaux plus folkloriques que l'on retrouve avec le chœur lorquien des lavandières en début de film avec l'autre cameo de la cantaora Rosalía.
Il y a aussi les costumes, les chemises des hommes, les shorts des jeunes enfants, les robes des femmes. Des foulards, des draps et des serviettes. Des éléments fétiches dans la photographie du cinéma d'Almodovar. Ici, ils sont fortement rattachés au passé, à la narration des souvenirs et à la mise en scène théâtrale d'une pièce de théâtre dans le film, territoire-scène tout autant fétiche. Nous sommes plongés dans nos souvenirs d'été qui multiplient encore le plaisir artistique du spectateur. Comment ne pas penser à ma Murcie maternelle en ce qui me concerne ?
Il y a les dialogues, les monologues, les silences entre les mots qui permettent au spectateur de reprendre son propre échange avec la mer trop loin, la mère partie ou encore l'ami qui nous a déçus. Ce film nous pousse à reprendre contact avec l'absent, à dépasser les maux et créer de nouveaux mots d'amour. Douleur et gloire c'est la reprise de la création de Salvador par une bénéfique introspection, les retrouvailles avec notre souffle perdu, la renaissance du désir.
Pedro Almodóvar insuffle le désir originel du cinéma, du théâtre, de la littérature, de la photographie, de la peinture, de la mémoire, des paradis artificiels, des grands amours. Il insuffle un élément mystérieux qu'on aime mais qui peut nous déranger aussi. Salvador se souvient. Il répand les souvenirs et construit un nouveau pont entre le spectateur cinéphile et ses territoires d'origine. Un peu à la manière de Sorolla qui diffuse ses figures par des blancs profonds qui offrent le souvenir d'amours purs et cela fait du bien. Mais le film ne peut pas être uniquement un collage, qui plus est complété par d'habiles « poèmes visuels » aux lignes fluorescentes lors d'une séquence illustrant l'état physique de Salvador. La rime peut être perçue comme facile mais elle fait du bien parce qu'il est possible de juste se faire du bien avec Douleur et gloire.
L'accolade s'est terminée bien vite dans les salles obscures ce 17 mai. Les applaudissements à Cannes furent élogieux. La sortie de salle se déroula dans la retenue en ce qui me concerne. Il fallait dire au revoir à ces souvenirs d'amours, de famille, d'amitiés, à mes amours artistiques, à mes premiers désirs. Qu'il est bon de savoir que ce n'est que le commencement de la réactivation de la mémoire et qu'elle sera, par le cinéma, une éternelle renaissance de la soif de vivre.
Marie-Ange Sanchez
Almodovar est le grand cinéaste espagnol de la fin du vingtième siècle. Il perpétue la malédiction du cinéma de la péninsule, qui veut qu’un seul grand réalisateur (Luis Buñuel, Carlos Saura) émerge par génération. Au-delà, point de salut. Vision floutée de la création cinématographique espagnole ou simple constat ? Au début des années 80, quand... Lire la suite