Films
Le colocataire
La caméra filme l'attirance mutuelle qui s'installe entre les deux colocataires. A l'instar du dernier film de Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu, le spectateur est pleinement plongé dans les jeux de regards : Juan joue avec Gabo qui finit par faire le premier pas dans une scène magnifique. Le film de Marco Berger repose sur ces deux acteurs au charme fou que la caméra parvient à sublimer. Chaque partie de leur peau devient un objet cinématographique. Le jeu intériorisé des comédiens mène le spectateur vers des contrées qu'il n'a peut-être jamais imaginées au cinéma, dans une sensualité folle. Le hors-champ, les silences, les regards, les hésitations, les frustrations, les incompréhensions, les non-dits, toutes les marques d'une passion mutuelle naissante ont totalement leur place ici. L'homophobie est cependant latente, intériorisée puis extériorisée par les deux personnages : l'un préfère accumuler les conquêtes féminines aux yeux de ses amis pour continuer à passer pour le mâle-alpha-hétérosexuel-conquérant, alors que l'autre, beaucoup plus timide, analyse son désir avant de le laisser exploser. Toute la force du film de Marco Berger repose, également, sur la focalisation : la caméra se braque sur Gabo, un personnage introverti qui n'est que rarement le centre de l'attention. Il passe ses journées à lire et à regarder les autres sans parler : on imagine, par ses regards, que la passion le submerge et l'engloutit. Un grand timide qui a peur de se méprendre, de prendre ses désirs pour des réalités, de mal interpréter le comportement de Juan.
Le film devient alors militant : comment accepter son homosexualité dans un pays où cela semble si compliqué ? Le cinéma argentin est pourtant l'un des plus ouverts d'Amérique Latine, reflétant, peut-être, une société qui évolue doucement, mais sûrement : les propositions de María Luisa Bemberg, de Lucrecia Martel ou encore d'Albertina Carri en sont un exemple frappant. Dans le film de Marco Berger, les personnages sont à portée de main l'un pour l'autre, tout en étant inaccessibles. Une montée en flèche de la passion des personnages, mais aussi de l'émotion du spectateur, pour un final doux-amer d'une simplicité, d'une douceur et d'une beauté folles, bouleversantes. L'ouverture vers l'universalité du désir homosexuel enfin accepté ? A découvrir de toute urgence !
Sortie nationale le 1 juillet 2020.