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Il est surprenant de constater qu’il y a peu de représentations de la France et des Français dans le cinéma espagnol alors qu’à l’inverse, et dès l’époque du muet, l’Espagne a été considérée par les cinéastes français comme une magnifique source d’inspiration grâce à la richesse de son folklore, à l’exotisme de ses paysages et au caractère passionné des toréadors et des gitans, particulièrement prisés. Le Festival du cinéma espagnol de Nantes propose, pour sa 25ème édition, une sélection de films sur cette thématique. En savoir plus.

Affiche du film Espagnolas en Paris de Roberto Bodegas
Les cinéastes espagnols, eux, ne pouvaient ignorer l’existence dans leur public d’une forte hostilité à l’égard des Français, surnommés "gabachos", du fait que le souvenir de l’invasion de leur pays par les troupes de Napoléon était toujours vivace. Dès 1927, José Buchs, avec El dos de mayo, évoquait le soulèvement des Madrilènes le 2 mai 1808, date qui fut considérée comme le moment fondateur de la nation espagnole. Agustina de Aragón(1950), un mélodrame historique et l’un des plus grands succès de l’époque, alors que le cinéma historique devait « contribuer à la formation de l’esprit national », montrait comment Agustina prenait les armes lors du siège de Saragosse, après avoir quitté son fiancé lorsqu’elle découvrit qu’il s’agissait d’un "afrancesado", contaminé par les idées des Lumières et notamment du redoutable Voltaire.

Un autre "afrancesado" célèbre de cette époque, Francisco de Goya, a été mis en scène par Carlos Saura ("afrancesado" lui-même) dans Goya en Burdeos (1999), où Paco Rabal tient le rôle du vieil artiste resté fidèle à ses idées libérales et déçu de ce que la France qui l’a accueilli n’ait pas été à la hauteur des espoirs qu’il avait placés en elle pour la modernisation de son pays.

Luis Buñuel, que l’on peut considérer comme le plus important des "afrancesados", s’est retrouvé sur les mêmes positions. Il a toujours porté un regard ironique sur la société française, notamment sur sa bourgeoisie dont il a dénoncé les travers avec humour. Cependant, celui qui prétendait avoir été conçu à Paris lors du voyage de noces de ses parents, a tenu à rendre un dernier hommage à la capitale en filmant l’ultime séquence de son dernier film, Cet obscur objet du désir (1977), dans un « passage » où il montre, dans une vitrine, le travail d’une dentellière qui rappelle celle qui apparaissait dans son premier film, Un chien andalou.

L’on se moque également, mais sans méchanceté, de la bourgeoisie française dans Españolas en París (1971), qui s’inspirait de la vie des milliers de jeunes filles venant travailler comme employées de maison dans les beaux quartiers. Il s’agit sans doute du film qui montre le mieux la beauté de Paris, que l’on découvre au hasard des pérégrinations d’Isabel (Ana Belén), qui constate par ailleurs, avec effarement au début, que les mœurs sont plus libres qu’en Espagne, encore soumise à l’ordre moral et à la censure. Une comédie populaire de la même époque, Lo verde empieza en los Pirineos (1973), de Vicente Escrivá, montrait les mésaventures de trois Madrilènes (Rafael Alonso, José Luis López Vázquez et José Sacristán) qui se rendaient à Biarritz pour faire du tourisme cinématographique et voir les films interdits en Espagne.

Avec En la ciudad de Sylvia (2007) de J.L. Guerín, l’on est à mille lieux de ce regard jusqu’à un certain point pathétique. Guerín, encore un "afrancesado", mais catalan cette fois, évoque avec légéreté la ville de Strasbourg, une ville lumineuse, cosmopolite, aux moyens de transport doux, où déambule son héros, un jeune dessinateur hanté par le souvenir d’une jeune fille, Sylvia, qu’il a connue il y a six ans, et qu’il a cru reconnaître.

Quant à Fernando Trueba, amoureux de la culture française, amour communiqué à son frère David (La buena vida, 1996) et à son fils Jonás, a déclaré avoir voulu régler avec El artista y la modelo (2012) une dette qu’il avait envers le cinéma français. Le scénario a été écrit en collaboration avec Jean-Claude Carrière : il s’agit d’une réflexion sur la fuite du temps et les mystères de la création artistique qui se situe dans la France occupée par les Allemands. Qu’un tel film, en noir et blanc, pudique et lent, qui montre simplement comment l’inspiration d’un vieux sculpteur (Jean Rochefort) est ranimée par la présence imprévue d’une jeune modèle espagnole (Aida Folch), ait trouvé son public, est peut-être, en reprenant le raisonnement du vieux sage, une preuve supplémentaire de l’existence de Dieu.


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