Portraits
Un cinéma sans frontières
Depuis une quinzaine d'années, une nouvelle génération de cinéastes est apparue en Espagne. Ces nouveaux cinéastes (Marc Recha, Isaki Lacuesta, Mercedes Alvarez, Albert Serra, Jaime Rosales, pour citer les principaux représentants) possèdent une sensibilité nouvelle, affirment une écriture personnelle et proposent une vision libre, moins dépendante des demandes du marché. Ils avancent dans le Pays Cinéma avec une démarche autonome, singulière, et revendiquent tous une certaine filiation avec le cinéma et la démarche artistique de José Luis Guerin, une excursion loin des sentiers battus.
C'est avec le film En construcción (2001, premier documentaire primé aux Goyas) que José Luis Guerin (Barcelone, 1960) se fit connaître du grand public. Ce film, quatrième long-métrage du cinéaste, nous plonge dans le cœur du Barrio Chino de Barcelone en pleine réforme urbanistique ; José Luis Guerin filme la transformation humaine qu'engendre cette transformation urbaine. Le film fut réalisé dans le cadre du Master de documentaire de création de l'université Pompeu Fabra, il fut conçu en étroite collaboration avec une équipe de six étudiants. La petite équipe consacra trois ans à l'élaboration du film.
En construcción est le résultat d'une longue expérience humaine, de plusieurs rencontres, d'un investissement personnel très important. Le film s'inscrit directement dans la lignée du documentaire cinématographique tel que le concevait Robert Flaherty (Nanouk of the north, 1922, souvent appelé « documentaire narratif »). Dès sa sortie en salle, En construcción connut un grand succès auprès du public comme des professionnels. Depuis 1992, avec El Sol del membrillo (Le songe de la lumière, 1992) de Víctor Erice, le documentaire espagnol n'avait pas autant fait parler de lui. Suite au succès de ce film (inattendu pour un documentaire), une grande partie des cinéphiles et de la critique découvrit les films antérieurs du cinéaste : Los motivos de Berta, fantasía de pubertad (1983) ; Innisfree (1990) et Tren de sombras, el espectro de le Thuit (1996).
C'est dix-huit ans plus tôt, en 1983, qu'apparut un film insolite dans le panorama du cinéma espagnol de l'époque (noir et blanc, plans fixes, histoire minimale): Los motivos de Berta, fantasía de pubertad. Le film suit l'évolution d'une adolescente (Berta) qui vit dans un petit village de Ségovie, province au paysage plat, infini. Ce film eut un large succès critique et fut considéré comme le premier film du cinéaste (bien que, dès 15 ans, José Luis Guerin réalisa une douzaine de films de facture expérimentale dont seulement deux furent commercialisés). Cinq ans plus tard, en 1988, José Luis Guerin part en Irlande, sur les pas de John Ford et du tournage de The Quiet Man (1951). Innisfree (1990) examine la formation d'une mémoire collective, celle des habitants du village irlandais où John Ford, John Wayne et Maureen O'Hara apparurent le temps d'un tournage. Les protagonistes du film de John Ford (déjà morts), en récupérant ce temps perdu du tournage de The Quiet Man, viennent occuper les espaces qu'ils avaient habités quarante ans auparavant.
C'est cette capacité à convoquer des spectres à travers la matière filmique que le cinéaste explore à nouveau en 1996 dans son troisième long métrage : Tren de Sombras, el espectro de Le Thuit. Conçu comme un hommage personnel aux cent ans du cinéma, Tren de Sombras pourrait être vu comme une étude sur le cinéma et sur son histoire, il illustre notamment sa "faculté d'embaumer le temps" telle que l'avait définie André Bazin. En examinant quelques (faux) films familiaux, Tren de sombras fait revivre un temps perdu. Ce film complexe et ambigu (sorte de « documenteur ») sous une apparence simple (des films de famille en noir et blanc et muets) déconcerta une grande partie de la critique et du public. De la sorte, ce film peut souvent être présenté comme un documentaire (projeté au festival Cinéma du Réel à Paris en 2005) et comme un film fantastique (le film obtient le Méliès d'or et d'argent de la Fédération européenne des festivals de films fantastiques).
Ainsi, entre 1983 et 2001, José Luis Guerin réalise quatre longs métrages (fictions, documentaires narratifs -ou de création-, fake) dans lesquels il mêle les écritures cinématographiques, les temps, les mémoires. Le cinéaste fait disparaître les frontières avec lesquelles nous tentons de séparer et de cloisonner les temps (passé, présent, futur), les êtres (morts, vivants, personnes, personnages, modèles, acteurs), les genres (documentaire, fiction, poème, portrait, etc.). Devant la difficulté de cataloguer l'œuvre du cinéaste, les critiques s'accordaient tous en 2001 sur un même point : José Luis Guerin était considéré (avec Víctor Erice) comme un cinéaste au processus créatif lent.
Pour échapper à cette étiquette, en 2007 José Luis Guerin offrit aux spectateurs trois œuvres réalisées dans différents formats mais s'intéressant toutes trois au même motif, celui de la femme inaccessible. De ces trois œuvres, celle qui sera le plus largement connue du public est sans doute le long métrage En la ciudad de Sylvia (fiction tournée avec Pilar Lopez de Ayala et Xavier Laffite dans les rôles principaux). Dans ce film, un jeune homme dont on ne sait rien se rend à Strasbourg à la recherche d'un visage, d'une silhouette : celle de Sylvia, une fille qu'il connut dans cette même ville quelques années auparavant. Le jeune homme passe son temps à rechercher cette figure féminine idéale, mi-réelle mi-imaginaire. Il dessine de nombreuses silhouettes, de nombreux visages qui, tous, évoquent la figure éphémère de la femme rêvée, le possible amour perdu, la passante (semblable à celle de Baudelaire ou de Brassens). C'est cette figure de la femme rêvée que nous retrouvons dans le long métrage vidéo Unas fotos en la ciudad de Sylvia (projeté entre autre dans les festivals de Vancouver, Gijón et New-York) ainsi que dans les images de l'exposition présentée à la Biennale artistique de Venise en 2007 : Las mujeres que no conocemos.
Tout au long de son œuvre, José Luis Guerin explore les articulations du temps et du langage cinématographique, les rapports entre le rêve et la réalité, l'imaginaire et le vécu. José Luis Guerin peut ainsi être perçu comme un cinéaste de l'entre-deux, ce qui lui vaut d'être souvent présenté comme « le cinéaste inclassable ». Toutefois, en suivant sa trajectoire artistique nous pourrions observer que son œuvre possède une cohérence thématique et formelle s'inscrivant dans une recherche esthétique. Le fait que le cinéaste échappe aux étiquettes de l'industrie et de la théorie cinématographique classique ne fait pas de José Luis Guerin un cinéaste isolé (ou « inclassable ») mais plutôt un cinéaste solitaire. José Luis Guerin partage ses préoccupations avec d'autres cinéastes (de sa génération ou non, de son pays ou non) comme par exemple Robert Bresson, Víctor Erice, Eric Rohmer, Chris Marker, Robert Flaherty ou encore Friedrich Murnau. José Luis Guerin partage également les préoccupations de certains peintres et écrivains comme Titien, Manet, Balthus, Pétrarque, Dante, Goethe et Proust -pour n'en citer que quelques uns. Le cinéaste s'inspire des arts, il pense et travaille la forme cinématographique, il nous rappelle que l'art n'a pas de frontières.
En construcción est le résultat d'une longue expérience humaine, de plusieurs rencontres, d'un investissement personnel très important. Le film s'inscrit directement dans la lignée du documentaire cinématographique tel que le concevait Robert Flaherty (Nanouk of the north, 1922, souvent appelé « documentaire narratif »). Dès sa sortie en salle, En construcción connut un grand succès auprès du public comme des professionnels. Depuis 1992, avec El Sol del membrillo (Le songe de la lumière, 1992) de Víctor Erice, le documentaire espagnol n'avait pas autant fait parler de lui. Suite au succès de ce film (inattendu pour un documentaire), une grande partie des cinéphiles et de la critique découvrit les films antérieurs du cinéaste : Los motivos de Berta, fantasía de pubertad (1983) ; Innisfree (1990) et Tren de sombras, el espectro de le Thuit (1996).
C'est dix-huit ans plus tôt, en 1983, qu'apparut un film insolite dans le panorama du cinéma espagnol de l'époque (noir et blanc, plans fixes, histoire minimale): Los motivos de Berta, fantasía de pubertad. Le film suit l'évolution d'une adolescente (Berta) qui vit dans un petit village de Ségovie, province au paysage plat, infini. Ce film eut un large succès critique et fut considéré comme le premier film du cinéaste (bien que, dès 15 ans, José Luis Guerin réalisa une douzaine de films de facture expérimentale dont seulement deux furent commercialisés). Cinq ans plus tard, en 1988, José Luis Guerin part en Irlande, sur les pas de John Ford et du tournage de The Quiet Man (1951). Innisfree (1990) examine la formation d'une mémoire collective, celle des habitants du village irlandais où John Ford, John Wayne et Maureen O'Hara apparurent le temps d'un tournage. Les protagonistes du film de John Ford (déjà morts), en récupérant ce temps perdu du tournage de The Quiet Man, viennent occuper les espaces qu'ils avaient habités quarante ans auparavant.
C'est cette capacité à convoquer des spectres à travers la matière filmique que le cinéaste explore à nouveau en 1996 dans son troisième long métrage : Tren de Sombras, el espectro de Le Thuit. Conçu comme un hommage personnel aux cent ans du cinéma, Tren de Sombras pourrait être vu comme une étude sur le cinéma et sur son histoire, il illustre notamment sa "faculté d'embaumer le temps" telle que l'avait définie André Bazin. En examinant quelques (faux) films familiaux, Tren de sombras fait revivre un temps perdu. Ce film complexe et ambigu (sorte de « documenteur ») sous une apparence simple (des films de famille en noir et blanc et muets) déconcerta une grande partie de la critique et du public. De la sorte, ce film peut souvent être présenté comme un documentaire (projeté au festival Cinéma du Réel à Paris en 2005) et comme un film fantastique (le film obtient le Méliès d'or et d'argent de la Fédération européenne des festivals de films fantastiques).
Ainsi, entre 1983 et 2001, José Luis Guerin réalise quatre longs métrages (fictions, documentaires narratifs -ou de création-, fake) dans lesquels il mêle les écritures cinématographiques, les temps, les mémoires. Le cinéaste fait disparaître les frontières avec lesquelles nous tentons de séparer et de cloisonner les temps (passé, présent, futur), les êtres (morts, vivants, personnes, personnages, modèles, acteurs), les genres (documentaire, fiction, poème, portrait, etc.). Devant la difficulté de cataloguer l'œuvre du cinéaste, les critiques s'accordaient tous en 2001 sur un même point : José Luis Guerin était considéré (avec Víctor Erice) comme un cinéaste au processus créatif lent.
Pour échapper à cette étiquette, en 2007 José Luis Guerin offrit aux spectateurs trois œuvres réalisées dans différents formats mais s'intéressant toutes trois au même motif, celui de la femme inaccessible. De ces trois œuvres, celle qui sera le plus largement connue du public est sans doute le long métrage En la ciudad de Sylvia (fiction tournée avec Pilar Lopez de Ayala et Xavier Laffite dans les rôles principaux). Dans ce film, un jeune homme dont on ne sait rien se rend à Strasbourg à la recherche d'un visage, d'une silhouette : celle de Sylvia, une fille qu'il connut dans cette même ville quelques années auparavant. Le jeune homme passe son temps à rechercher cette figure féminine idéale, mi-réelle mi-imaginaire. Il dessine de nombreuses silhouettes, de nombreux visages qui, tous, évoquent la figure éphémère de la femme rêvée, le possible amour perdu, la passante (semblable à celle de Baudelaire ou de Brassens). C'est cette figure de la femme rêvée que nous retrouvons dans le long métrage vidéo Unas fotos en la ciudad de Sylvia (projeté entre autre dans les festivals de Vancouver, Gijón et New-York) ainsi que dans les images de l'exposition présentée à la Biennale artistique de Venise en 2007 : Las mujeres que no conocemos.
Tout au long de son œuvre, José Luis Guerin explore les articulations du temps et du langage cinématographique, les rapports entre le rêve et la réalité, l'imaginaire et le vécu. José Luis Guerin peut ainsi être perçu comme un cinéaste de l'entre-deux, ce qui lui vaut d'être souvent présenté comme « le cinéaste inclassable ». Toutefois, en suivant sa trajectoire artistique nous pourrions observer que son œuvre possède une cohérence thématique et formelle s'inscrivant dans une recherche esthétique. Le fait que le cinéaste échappe aux étiquettes de l'industrie et de la théorie cinématographique classique ne fait pas de José Luis Guerin un cinéaste isolé (ou « inclassable ») mais plutôt un cinéaste solitaire. José Luis Guerin partage ses préoccupations avec d'autres cinéastes (de sa génération ou non, de son pays ou non) comme par exemple Robert Bresson, Víctor Erice, Eric Rohmer, Chris Marker, Robert Flaherty ou encore Friedrich Murnau. José Luis Guerin partage également les préoccupations de certains peintres et écrivains comme Titien, Manet, Balthus, Pétrarque, Dante, Goethe et Proust -pour n'en citer que quelques uns. Le cinéaste s'inspire des arts, il pense et travaille la forme cinématographique, il nous rappelle que l'art n'a pas de frontières.
+ d'infos
Filmographie
• Guest (2010)
• Unas fotos en la ciudad de Sylvia (2007)
• En la ciudad de Sylvia (2007)
• En construcción (2001)
• Tren de sombras, el espectro de Le Thuit (1996)
• Innisfree (1990)
• Los motivos de Berta, fantasía de pubertad (1983)
• Unas fotos en la ciudad de Sylvia (2007)
• En la ciudad de Sylvia (2007)
• En construcción (2001)
• Tren de sombras, el espectro de Le Thuit (1996)
• Innisfree (1990)
• Los motivos de Berta, fantasía de pubertad (1983)
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