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Plus conte... tu meurs : une analyse du Labyrinthe de Pan
Quel rapport direct y a-t-il entre le monde des contes de fées et celui des histoires qui se chargent de montrer la cruauté humaine quotidienne ? Aucun. Les deux univers semblent radicalement différents, d'autant que les contes semblent destinés aux enfants et les histoires de cruauté réalistes aux adultes avertis. Certes, les contes peuvent évoquer la cruauté (les ogres par exemple) mais leur univers narratif n'est pas le même que celui des histoires réalistes.
C'est là le pari insensé de Guillermo del Toro dans Le Labyrinthe de Pan : réunir les deux univers dans un même film, pour un même public. Les deux univers sont mis en parallèle tout au long du film et se répondent sans cesse : il n'y a pas de césure entre les deux, grâce au montage, qui sait varier les passages de l'un à l'autre. Le lien qui assure ces passages presque « naturels », c'est évidemment le personnage de la petite fille, Ofelia, qui est à la jonction des deux univers : elle doit subir la tyrannie de son beau-père et elle est l'héroïne du conte.
Beaucoup d'écueils menaçaient un tel projet. Le principal était celui du manichéisme, car il est clair que l'univers des contes est lié à notre part enfantine symbolique, cette part d'enfance en nous qui serait l'aspiration au bien et au bonheur, l'aspiration à l'harmonie et à la paix entre tous. Le Faune confirme cette vision : autrefois, êtres magiques et humains vivaient en pleine intelligence et s'entraidaient pour le meilleur. Et c'est ce monde qu'il veut rétablir grâce la petite fille.
Face à ce pôle du bien, la partie « réaliste » du film montre le mal dans toute sa cruauté et toute son horreur. Guillermo del Toro qui n'est pas espagnol, mais qui est en tant que Mexicain forcément très proche de la culture espagnole, a choisi d'utiliser la Guerre d'Espagne comme cadre du mal. Dans l'imaginaire hispanisant, et peut-être dans tout l'imaginaire occidental, la Guerre d'Espagne et Franco sont l'incarnation du mal, ou du moins l'une de ses incarnations.
On se retrouve donc bien avec un risque réel de manichéisme, mais le film y échappe avec aisance. Si le capitaine Vidal est effectivement un personnage d'une rare monstruosité, autour de lui gravitent des êtres beaucoup plus humains : il est vrai que ce sont surtout des femmes, mais elles sont là, apportant au monde réel une part de bonté et de douceur qui ne vient pas des contes. On peut y mettre la mère d'Ofelia, mais surtout Mercedes, soutien des maquisards, et dans une moindre mesure les femmes de cuisine. Dans ce monde « réel », il y a donc des personnages féminins qui ont des sentiments humains, mais aussi des personnages masculins, plus épisodiques, comme le Docteur ou les maquisards.
Et le monde des contes est lui aussi tout aussi ambivalent : féerique et enchanteur au début, il devient ensuite effrayant et cruel. En témoignent assez vite les admirables gros plans sur Ofelia, sous les racines de l'arbre, qui doit souffrir pour trouver le crapaud et ensuite subir les horreurs répugnantes et gluantes de la créature. Elles ne sont pas sans rappeler les horreurs que fait subir le Capitaine Vidal à ses adversaires ! Les épreuves du conte sont à la mesure de la cruauté des franquistes et de leur chef.
Et l'horreur continue à l'intérieur du conte avec l'épisode de la momie sans yeux et l'échec de la fillette. Echec qui culminera à la fin, quand le Faune, révélant peut-être sa vraie nature, lui demandera le sacrifice du bébé pour être sauvée. C'est ce que demande le Capitaine Vidal à ceux qu'il torture : donner leurs complices pour être épargnés. Dans les deux cas, bien sûr, c'est un marché de dupes. Ofelia n'a donc plus qu'à mourir de la main du véritable tortionnaire, son beau-père, qui revendique sa nature cruelle, à l'inverse du faux bon Faune. Certes, en mourant, l'esprit d'Ofelia s'évade pour retrouver l'univers du conte et le salut accordé par le Père symbolique, et elle reçoit une sorte d'absolution tout aussi symbolique. Mais il est clair que tout cela n'est qu'un dernier fantasme, où sa conscience manifeste son soulagement de ne pas avoir livré le petit frère à la mort.
Le Labyrinthe de Pan est un film qui réunit conte et réalité, pour méditer en quelque sorte sur ce désir de bien qui hante les êtres humains, désir contredit par les cruautés qui jalonnent l'histoire humaine. Construit sur une sorte de dialogue du conte et de la réalité et sur la mise en parallèle des deux univers, Le Labyrinthe de Pan est un film bouleversant, mais terrible, parce qu'il ne laisse guère d'illusion sur le bonheur humain.
C'est là le pari insensé de Guillermo del Toro dans Le Labyrinthe de Pan : réunir les deux univers dans un même film, pour un même public. Les deux univers sont mis en parallèle tout au long du film et se répondent sans cesse : il n'y a pas de césure entre les deux, grâce au montage, qui sait varier les passages de l'un à l'autre. Le lien qui assure ces passages presque « naturels », c'est évidemment le personnage de la petite fille, Ofelia, qui est à la jonction des deux univers : elle doit subir la tyrannie de son beau-père et elle est l'héroïne du conte.
Beaucoup d'écueils menaçaient un tel projet. Le principal était celui du manichéisme, car il est clair que l'univers des contes est lié à notre part enfantine symbolique, cette part d'enfance en nous qui serait l'aspiration au bien et au bonheur, l'aspiration à l'harmonie et à la paix entre tous. Le Faune confirme cette vision : autrefois, êtres magiques et humains vivaient en pleine intelligence et s'entraidaient pour le meilleur. Et c'est ce monde qu'il veut rétablir grâce la petite fille.
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Et le monde des contes est lui aussi tout aussi ambivalent : féerique et enchanteur au début, il devient ensuite effrayant et cruel. En témoignent assez vite les admirables gros plans sur Ofelia, sous les racines de l'arbre, qui doit souffrir pour trouver le crapaud et ensuite subir les horreurs répugnantes et gluantes de la créature. Elles ne sont pas sans rappeler les horreurs que fait subir le Capitaine Vidal à ses adversaires ! Les épreuves du conte sont à la mesure de la cruauté des franquistes et de leur chef.
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