Portraits
Pere Portabella
Portabella est un personnage incontournable à la fois de l'histoire du cinéma catalan alternatif et de l'histoire politique et culturelle de la Catalogne de la fin du franquisme. Engagé dans l'opposition au régime, il avait été l'un des professeurs de l'école Aixelà et de l'Institut de Théâtre, véritables laboratoires du cinéma alternatif catalan. Son nom a souvent été associé à l'Ecole de Barcelone, bien que celui-ci ait toujours refusé d'y être assimilé. Portabella est entré dans le monde du cinéma à travers l'activité de producteur, qui l'amena à s'associer avec des grands noms du cinéma comme Luis Buñuel ou Carlos Saura.
Issu de la haute bourgeoisie industrielle catalane, il partit à Madrid pour commencer des études de chimie. Là-bas, il rencontra des artistes tels que Joan Ponç, Antoni Tàpies ainsi que les étudiants à l'EOC qu'étaient alors Carlos Saura ou Julio Diamante. Les premiers contacts de Portabella avec le monde du cinéma remontent à 1958, lorsqu'il rencontra Leopoldo Pomés dans le but de réaliser un documentaire sur la tauromachie. Portabella devait endosser pour la première fois le rôle de producteur tandis que la codirection du court métrage revenait à Carlos Saura. Le projet tourna court car les images tournées s'avérèrent impossibles à monter dans la perspective d'un récit cinématographique. Portabella déclarait à ce sujet : « Nous avons obtenu beaucoup de belles images, mais sans rien à raconter ni à proposer. » Après l'échec de ce projet, Portabella décida de se consacrer pleinement à la production de films en rapport avec la réalité socio-politique de l'époque.
En 1959, il monta la société de production Films 59, qui allait très tôt commencer son activité avec la production de deux films influencés par le néoréalisme italien : Los Golfos (Les Voyous,1960) de Carlos Saura et El Cochecito (1960) de Marco Ferreri. En 1960, Los Golfos fut projeté au Festival de Cannes, où Portabella fit la connaissance de Luis Buñuel qu'il convaincra de revenir en Espagne pour tourner Viridiana. Coproduit par le Mexicain Gustavo Alatriste, la société espagnole UNINCI (liée au PCE), alors dirigée par Bardem et Ricardo Muñoz Suay, et Films 59, le film de Buñuel, dont le scénario avait pourtant été modifié plusieurs fois à la demande du directeur général de la Cinématographie, parodiait ouvertement certains symboles de la religion d'Etat. Présenté au Festival de Cannes en 1961, où il obtint la Palme d'or (avec Henri Colpi pour Une aussi longue absence), Viridiana provoqua un célèbre scandale, qui emporta avec lui la société Film 59.
Entre l'affaire Viridiana et son premier film en tant que réalisateur, Portabella collabora à deux autres films. Le premier était le documentaire Lejos de los arboles (1963-1970) écrit et réalisé par Jacinto Esteva, qu'il avait, pour des raisons que nous avons évoquées en abordant l'Ecole de Barcelone, refusé de produire. Enfin, Portabella produisit Hortensia (1969), réalisé par un des pionniers du cinéma alternatif en Espagne, l'Aragonais Antonio Maenza. Après avoir été, pendant une grande partie des années soixante, un producteur éclairé, Pere Portabella allait, après quelques désillusions qui lui avaient prouvé que promouvoir un cinéma réaliste ou politiquement incorrect était risqué, se consacrer à une réflexion sur le développement d'un langage cinématographique subversif, qui l'amena en 1966 à réaliser son premier court-métrage. Si Portabella ne pratiquait pas un cinéma « révolutionnaire » au sens propre du terme, il était toutefois sensible à ce débat qui posait la question d'une révolution dans le cinéma. Celui-ci déclarait dans une entrevue avec Josep Miquel Marti-Rom : « Les meilleurs films sont ceux dans lesquels on développe une certaine violence envers le cinéma. » Cette violence envers les codes d'expression classiques du cinéma, envers la logique narrative du récit cinématographique, ne vont pas occulter chez Portabella une volonté de développer un cinéma d'opposition, un cinéma alternatif.
La production de Pere Portabella en tant que réalisateur a été profondément marquée par la fidèle collaboration de deux artistes catalans, Joan Brossa et Carles Santos. Le poète Joan Brossa participa à l'élaboration des scénarios et des dialogues des films de Portabella, c'était un membre incontournable du groupe Dau al set (littéralement : « le dé sur le sept »), l'un des principaux mouvements d'avant-garde dans la Catalogne de l'après guerre, d'inspiration dadaïste et surréaliste. Carles Santos fut l'auteur des bandes sonores de la plupart des films de Portabella. Grâce au travail de Portabella avec ce musicien originaire de Valence, la bande sonore joua toujours un rôle fondamental dans les films du réalisateur. La collaboration des trois personnages s'initia dès le premier film de Portabella, commencé à la fin de l'année 1966 et qui donnait le ton de la perspective de remise en question des normes de la narration cinématographique.
L'engagement politique de Portabella s'est effectué autant sur le terrain qu'à travers le cinéma. Son expérience en tant que producteur aux côtés de Carlos Saura, Marco Ferreri ou Luis Buñuel, l'amena à subir quelques désillusions et détermina la nature de son engagement politique à travers le cinéma. Si les deux premiers films qu'il réalisait (No compteu amb els dits et Nocturn 29) avaient été présentés devant la censure et constituaient par là des exceptions au sein de sa filmographie, ils comportaient déjà des éléments-clé de son utilisation du langage cinématographique -la destruction des conventions narratives du cinéma par l'élaboration de modes d'expression avant-gardistes- et de son engagement politique à travers le cinéma. Les expérimentations formelles de Portabella ne masquaient pas pour autant l'aspect contestataire et l'intention réaliste de ses films. Les revendications du réalisateur s'exerçaient dans son cinéma sur deux niveaux : la critique du langage cinématographique conventionnel ainsi que celle de la société qui était la sienne. Concernant le premier point, celui-ci trouvait son apogée dans Vampir Cuadecuc, film qui délaissait ses revendications d'ordre politique pour faire aboutir sa réflexion formelle.
On peut observer chez Portabella une manifeste prédilection pour la coupure devant celle du raccord qui était souvent rejeté, critiqué, détruit, en tant qu'élément « classique » du langage cinématographique. Il en résultait une ponctuation brutale (volontaire) dans l'aspect visuel de ses films. Le principe de déconstruction affectait la narration cinématographique mais aussi le caractère des personnages de la fiction ; ainsi Mario Cabré, Lucia Bosé et dans une plus forte mesure Christopher Lee étaient pratiquement dépourvus de caractéristiques psychologiques, apparaissant comme des témoins extérieurs ou bien en tant que simples « pantins » de la société franquiste, avant tout déterminés par des conditions politiques et sociologiques. Si Portabella manifesta toujours une volonté d'utiliser un langage cinématographique sophistiqué, parfois même cryptique, il allait à partir d'Umbracle (1971) être très clair dans le message politique contenu dans ses réalisations.
Ayant fait l'expérience de différents genres cinématographiques, du documentaire à la fiction, sa filmographie relative à la période franquiste, si l'on excepte certains films qu'il a réalisés sur commande, fait malgré tout preuve d'une évidente unité : celle de la volonté de décrire et de critiquer la société dans laquelle il évolue. Ainsi son cinéma témoigne de ses préoccupations en tant qu'élément d'un pays soumis à une dictature, à travers des thèmes comme celui de la guerre d'Espagne, de la bourgeoisie, de la censure et plus généralement, du caractère autoritaire du régime. Portabella résumait sa démarche cinématographique devant Ramon Font, en disant : « En définitive, j'essaye de faire un cinéma qui soit réaliste dans ses résultats, pas dans ses procédés. »
Après la mort de Franco, Portabella réalisa un documentaire sur le thème de la transition démocratique intitulé Informe general sobre algunas questiones de interés para una proyección pública (1976), avant de s'engager publiquement dans la politique, puis de revenir au cinéma en 1990 avec un long-métrage de fiction : Pont de Varsovia (Pont de Varsovie, 1990).
En 1959, il monta la société de production Films 59, qui allait très tôt commencer son activité avec la production de deux films influencés par le néoréalisme italien : Los Golfos (Les Voyous,1960) de Carlos Saura et El Cochecito (1960) de Marco Ferreri. En 1960, Los Golfos fut projeté au Festival de Cannes, où Portabella fit la connaissance de Luis Buñuel qu'il convaincra de revenir en Espagne pour tourner Viridiana. Coproduit par le Mexicain Gustavo Alatriste, la société espagnole UNINCI (liée au PCE), alors dirigée par Bardem et Ricardo Muñoz Suay, et Films 59, le film de Buñuel, dont le scénario avait pourtant été modifié plusieurs fois à la demande du directeur général de la Cinématographie, parodiait ouvertement certains symboles de la religion d'Etat. Présenté au Festival de Cannes en 1961, où il obtint la Palme d'or (avec Henri Colpi pour Une aussi longue absence), Viridiana provoqua un célèbre scandale, qui emporta avec lui la société Film 59.
Entre l'affaire Viridiana et son premier film en tant que réalisateur, Portabella collabora à deux autres films. Le premier était le documentaire Lejos de los arboles (1963-1970) écrit et réalisé par Jacinto Esteva, qu'il avait, pour des raisons que nous avons évoquées en abordant l'Ecole de Barcelone, refusé de produire. Enfin, Portabella produisit Hortensia (1969), réalisé par un des pionniers du cinéma alternatif en Espagne, l'Aragonais Antonio Maenza. Après avoir été, pendant une grande partie des années soixante, un producteur éclairé, Pere Portabella allait, après quelques désillusions qui lui avaient prouvé que promouvoir un cinéma réaliste ou politiquement incorrect était risqué, se consacrer à une réflexion sur le développement d'un langage cinématographique subversif, qui l'amena en 1966 à réaliser son premier court-métrage. Si Portabella ne pratiquait pas un cinéma « révolutionnaire » au sens propre du terme, il était toutefois sensible à ce débat qui posait la question d'une révolution dans le cinéma. Celui-ci déclarait dans une entrevue avec Josep Miquel Marti-Rom : « Les meilleurs films sont ceux dans lesquels on développe une certaine violence envers le cinéma. » Cette violence envers les codes d'expression classiques du cinéma, envers la logique narrative du récit cinématographique, ne vont pas occulter chez Portabella une volonté de développer un cinéma d'opposition, un cinéma alternatif.
La production de Pere Portabella en tant que réalisateur a été profondément marquée par la fidèle collaboration de deux artistes catalans, Joan Brossa et Carles Santos. Le poète Joan Brossa participa à l'élaboration des scénarios et des dialogues des films de Portabella, c'était un membre incontournable du groupe Dau al set (littéralement : « le dé sur le sept »), l'un des principaux mouvements d'avant-garde dans la Catalogne de l'après guerre, d'inspiration dadaïste et surréaliste. Carles Santos fut l'auteur des bandes sonores de la plupart des films de Portabella. Grâce au travail de Portabella avec ce musicien originaire de Valence, la bande sonore joua toujours un rôle fondamental dans les films du réalisateur. La collaboration des trois personnages s'initia dès le premier film de Portabella, commencé à la fin de l'année 1966 et qui donnait le ton de la perspective de remise en question des normes de la narration cinématographique.
L'engagement politique de Portabella s'est effectué autant sur le terrain qu'à travers le cinéma. Son expérience en tant que producteur aux côtés de Carlos Saura, Marco Ferreri ou Luis Buñuel, l'amena à subir quelques désillusions et détermina la nature de son engagement politique à travers le cinéma. Si les deux premiers films qu'il réalisait (No compteu amb els dits et Nocturn 29) avaient été présentés devant la censure et constituaient par là des exceptions au sein de sa filmographie, ils comportaient déjà des éléments-clé de son utilisation du langage cinématographique -la destruction des conventions narratives du cinéma par l'élaboration de modes d'expression avant-gardistes- et de son engagement politique à travers le cinéma. Les expérimentations formelles de Portabella ne masquaient pas pour autant l'aspect contestataire et l'intention réaliste de ses films. Les revendications du réalisateur s'exerçaient dans son cinéma sur deux niveaux : la critique du langage cinématographique conventionnel ainsi que celle de la société qui était la sienne. Concernant le premier point, celui-ci trouvait son apogée dans Vampir Cuadecuc, film qui délaissait ses revendications d'ordre politique pour faire aboutir sa réflexion formelle.
On peut observer chez Portabella une manifeste prédilection pour la coupure devant celle du raccord qui était souvent rejeté, critiqué, détruit, en tant qu'élément « classique » du langage cinématographique. Il en résultait une ponctuation brutale (volontaire) dans l'aspect visuel de ses films. Le principe de déconstruction affectait la narration cinématographique mais aussi le caractère des personnages de la fiction ; ainsi Mario Cabré, Lucia Bosé et dans une plus forte mesure Christopher Lee étaient pratiquement dépourvus de caractéristiques psychologiques, apparaissant comme des témoins extérieurs ou bien en tant que simples « pantins » de la société franquiste, avant tout déterminés par des conditions politiques et sociologiques. Si Portabella manifesta toujours une volonté d'utiliser un langage cinématographique sophistiqué, parfois même cryptique, il allait à partir d'Umbracle (1971) être très clair dans le message politique contenu dans ses réalisations.
Ayant fait l'expérience de différents genres cinématographiques, du documentaire à la fiction, sa filmographie relative à la période franquiste, si l'on excepte certains films qu'il a réalisés sur commande, fait malgré tout preuve d'une évidente unité : celle de la volonté de décrire et de critiquer la société dans laquelle il évolue. Ainsi son cinéma témoigne de ses préoccupations en tant qu'élément d'un pays soumis à une dictature, à travers des thèmes comme celui de la guerre d'Espagne, de la bourgeoisie, de la censure et plus généralement, du caractère autoritaire du régime. Portabella résumait sa démarche cinématographique devant Ramon Font, en disant : « En définitive, j'essaye de faire un cinéma qui soit réaliste dans ses résultats, pas dans ses procédés. »
Après la mort de Franco, Portabella réalisa un documentaire sur le thème de la transition démocratique intitulé Informe general sobre algunas questiones de interés para una proyección pública (1976), avant de s'engager publiquement dans la politique, puis de revenir au cinéma en 1990 avec un long-métrage de fiction : Pont de Varsovia (Pont de Varsovie, 1990).
+ d'infos
Filmographie
• Die Stille vor Bach (2007)
• ¡Hay motivo! (2004) (El plan hidrológico)
• Pont de Varsòvia (1990)
• Informe general sobre unas cuestiones de interés para una proyección pública (1977)
• El sopar (1974)
• Acció Santos (1973) (co-dirigé avec Carles Santos Ventura)
• Advocats laboralistes (1973)
• Cantants 72 (1972)
• Cuadecuc, vampir (1970)
• Umbracle (1970)
• Nocturn 29 (1968)
• No compteu amb els dits (1967)
• ¡Hay motivo! (2004) (El plan hidrológico)
• Pont de Varsòvia (1990)
• Informe general sobre unas cuestiones de interés para una proyección pública (1977)
• El sopar (1974)
• Acció Santos (1973) (co-dirigé avec Carles Santos Ventura)
• Advocats laboralistes (1973)
• Cantants 72 (1972)
• Cuadecuc, vampir (1970)
• Umbracle (1970)
• Nocturn 29 (1968)
• No compteu amb els dits (1967)
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