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La propera pell nous raconte un difficile retour à la maison, marqué par la peur et l’incertitude. Le protagoniste est un survivant, un garçon de la rue habitué à se débrouiller tout seul dans des milieux hostiles. Cette fois-ci, il doit se confronter à une nouvelle épreuve, celle de retrouver sa famille dont il n’a presque aucun souvenir.

Un film vu et analysé dans le cadre du 27ème Festival du cinéma espagnol de Nantes, en mars 2017. 

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Souffrant d’amnésie dissociative depuis l’âge de 9 ans, ce jeune homme, qui se fait appeler Leo (Àlex Monner), habite dans un centre de réinsertion en France depuis deux ans. Dans la scène d’ouverture du film, on le voit en plein désarroi, au bord du suicide, sur le toit d’un immeuble, face aux regards consternés de ses compagnons du centre. Michel (Bruno Todeschini), son éducateur, vient à sa rescousse et lui rappelle la chance qu’il a d’avoir retrouvé sa famille. Après de longues investigations, Michel croit avoir trouvé la piste de la mère de Leo. Ayant connu la délinquance et les drogues dans sa jeunesse, Michel est très engagé dans son métier, grâce auquel il a pu s’en sortir et trouver un sens à sa vie. Ainsi, il est heureux d’apprendre au jeune homme qu’il s’appelle en réalité Gabriel Farrés et que sa mère supposée, Ana (Emma Suárez), habite encore dans le même village depuis la disparition. Gabriel entreprend un voyage à la recherche de ses racines, sous la tutelle de Michel qui veille à ce que tout se passe bien. Malgré la curiosité qu’a Leo de retrouver le foyer familial, sa première impression en arrivant à Sallent de Gallego, est celle de l'étrangeté. Il n’arrive pas à reconnaître ses proches et il doit prétendre se souvenir des endroits et des gens. À l’exception de sa mère, tout le monde le croyait mort après sa disparition dans les sommets enneigés des montagnes des Pyrénées aragonaises. Son père avait été retrouvé mort le même jour, lors d’une partie de chasse en compagnie de son oncle Enric (Sergi López). Malgré la douleur et le sentiment de culpabilité de ne pas avoir su éviter le désastre, Ana avait toujours gardé l’espoir de le voir revenir un jour. Elle avait tenu bon grâce à l’aide d'Enric, avec lequel elle entretient une liaison amoureuse depuis quelques années. Gabriel ne voit pas d’un bon oeil cette relation intime entre sa mère et son oncle qui est marié. Il le fait savoir à Enric et au fur et à mesure qu’avance le film, une tension grandissante s’installe entre les deux. Enric est jaloux de l’attention que prête Ana à son fils Gabriel, mais il croit aussi qu’il y a eu erreur et que Leo n’est pas vraiment Gabriel. Cela nous fait penser à l’affaire Martin Guerre qui avait eu lieu en 1559, lorsqu’un homme avait été accusé d’avoir usurpé l’identité d’un autre homme, ce qui se révéla vrai puisque le véritable Martin Guerre apparut soudainement lors du procès de l’imposteur.

D’autre part, Gabriel apprend une douloureuse vérité qui se fait de plus en plus évidente et que sa mère essaye de lui cacher en vain. Son père était un homme brutal et capricieux, qui leur avait infligé de mauvais traitements. Alors qu’il croyait peut-être ne retrouver que de bons souvenirs, Gabriel se rend compte que son histoire familiale est loin d’être heureuse et qu’elle est marquée par le caractère colérique et cruel de son père. 

Deux identités cohabitent alors chez le protagoniste : celle du mystérieux Leo qui n’a peur de rien puisqu’il a vécu toutes sortes d’expériences dans sa courte vie; et celle de Gabriel, l’enfant fragile et traumatisé qui veut se réfugier dans les bras de sa mère. La confusion et la tension augmentent progressivement, en même temps que le doute grandit autour de la véritable identité du protagoniste. Comme l’a bien remarqué le journaliste Jordi Costa, du quotidien El País, le film propose un « défi aux spectateurs » qui doivent toujours rester en alerte. Ce film nous entraîne dans une histoire où chaque détail a son importance pour comprendre ce qui s’est réellement passé dans l’enfance de Gabriel et ce qui se passe dans sa propre tête.

La propera pell pourrait s’appeler, de fait, « La segunda piel » (« La deuxième peau ») - même s’il existe un film espagnol portant ce même titre, celui de Gerardo Vera réalisé en 1999 – parce qu’il est marqué par une « double dualité » ; celle du protagoniste, Gabriel Farrés (Àlex Monner) et celle de la réalisation. Ce film est l’aboutissement d’une étroite collaboration entre Isaki Lacuesta et sa scénariste Isa Campo. Le duo, qui est en couple dans la vie, marche à la perfection puisque l’on sent une totale maîtrise du sujet. Isa Campo avait déjà travaillé comme coscénariste dans ses quatre derniers films -  Condenados (2009), La noche que no acaba (2010), Los pasos dobles (2011) et Murieron por encima de sus posibilidades (2014) – et elle s’est lancée pour la première fois dans la réalisation avec ce film. Le projet qui débute en 2003 est le fruit d’un travail de longue haleine qui s’exprime à travers le bon équilibre des différentes composantes du film : un scénario impeccable, une mise en scène calculée jusqu’au moindre détail et une direction d’acteurs remarquable.

Isa Campo et Isaki Lacuesta ont eu le génie de réunir des acteurs de renom, tels que Sergi López, Emma Suárez et Bruno Todeschini qui n’avaient jamais travaillé ensemble. Emma Suárez est l’actrice mythique des films de Julio Medem comme Vacas (1992) ou La Ardilla roja (1993). Icône sexuelle des années 1990, elle avait fasciné par sa fraîcheur et son élégance dans El perro del hortelano (1996) de Pilar Miró. Elle était un peu tombée dans l’oubli cette dernière décennie et elle est revenue avec force sur les écrans l’année dernière, grâce à Julieta (2016) de Pedro Almodóvar. Emma Suárez y incarne un personnage similaire à celui de La propera pell, à savoir une mère qui perd son enfant et le retrouve après plusieurs années. Or, malgré ces points en commun, qui peuvent nous laisser penser que cette actrice est désormais cantonnée à un type de rôle mélodramatique de “mère dévastée par la perte de son enfant”, il y a une différence évidente entre les deux personnages. Ana (La propera pell) est une femme qui n’est pas dominée par les émotions et qui essaye de penser de façon positive. Malgré sa vulnérabilité et son introversion, elle fait preuve de courage quand elle refuse de faire faire un test sanguin à Gabriel et accueille ce jeune homme perdu et tourmenté chez elle. Il faut dire que Emma Suárez est un véritable puits de lumière dans ce film, c'est à dire qu'elle apporte une lumière au personnage, qui contraste avec le côté obscur de Enric et Gabriel. Ce film lui a valu le prix du meilleur rôle secondaire aux Goyas 2016 et elle connaît actuellement un deuxième « âge d’or » - comme John Travolta avec Pulp Fiction - puisqu’elle vient de tourner dans le nouveau film du jeune talent du cinéma mexicain, Michel Franco, Las hijas de Abril (2017).

Face à l'immense talent d’Emma Suárez, on trouve un acteur de la taille de Sergi López, qui a derrière lui une longue carrière cinématographique. Le Catalan le plus connu du cinéma français avait débuté grâce aux films de Manuel Poirier comme Western (1997) et Une liaison pornographique (1999) de Frédéric Fonteyne. Ensuite, il avait connu le succès avec Harry, un ami qui vous veut du bien (2001) de Dominik Moll, pour lequel il devint le premier étranger à remporter le César du meilleur acteur. Une de ses particularités est qu’il est capable de jouer des personnalités complexes, jouant dangereusement entre les limites du bien et du mal. Le rôle qu’il interprète dans La propera pell est proche de ceux qu’il avait interprétés dans le film Pain noir (2011) d’Agustí Villaronga et dans Le labyrinthe du Pan (2006) de Guillermo del Toro, pour leur côté autoritaire et dominant.

À l’opposé de Enric, on trouve Michel qui est un homme calme et conciliateur, également amoureux d’Ana. Bruno Todeschini, un habitué des films de Patrice Chéreau - Son frère (2003), Ceux qui m’aiment prendront le train (1997) et La Reine Margot (1994) - interprète cet homme à la recherche de la vérité. Il est intéressant de remarquer que son point de vue est le plus proche du spectateur puisqu’il accompagne le protagoniste et découvre avec perplexité que la réalité n’est pas aussi facile qu’on le prétend et qu’il s’est peut-être trompé en affirmant que Leo est Gabriel Farrés. L’acteur suisse apporte à travers son jeu, une grande profondeur et humanité au personnage de Michel, qui parle aussi en français. On célèbre l’audace des réalisateurs de construire une histoire où les personnages parlent trois langues à la fois : le catalan, le castillan et le français. Cette diversité linguistique rend La propera pell plus authentique, la situant clairement dans la frontière franco-espagnole.

De fait, c’est Bruno Todeschini qui a fait travailler la prononciation au jeune acteur, Àlex Monner, pendant le tournage. Ce jeune espoir du cinéma espagnol, qu’on compare à Javier Bardem, est l’un des points forts de ce film. Son jeu n’est pas dans les nuances comme celui d’Emma Suárez, mais dans l’intensité et la force qu’il accumule et déploie férocement.
La propera pell est un film viscéral, où les émotions sont à fleur de peau ; la caméra nous amenant là où ça fait mal. Entité vulnérable et révélatrice de vérité, le corps, et plus précisément la peau, est au centre du récit. D’où le titre du film, qui nous fait penser à La piel que habito (2011) de Pedro Almodóvar, faisant référence également au changement d’identité du protagoniste. À la différence du film de Pedro Almodóvar qui montre un changement d’identité sexuelle, La propera pell nous parle d’un changement d’identité sociale, la « prochaine peau » que Leo doit revêtir pour être accepté dans le microcosme renfermé que constitue ce petit village situé dans la vallée d’une montagne.
De la même manière que le protagoniste, le réalisateur de Gérone Isaki Lacuesta adopte une nouvelle peau avec ce film, étant donné que La propera pell n’a pas grande chose à voir avec ses derniers films. Même s’il n’avait jamais suivi les règles d’un genre en particulier, l’on constate ici une forte présence du mélodrame. Les thèmes typiques du genre sont bien là : les retrouvailles d’un orphelin avec sa mère, le conflit avec le père, la jalousie de l’oncle qui représente d’une certaine manière le « traître », etc.

Le mélodrame est également présent grâce à l’importance accordée à la musique, composée par Gerard Gil, qui avait déjà travaillé avec Isaki Lacuesta dans El cuaderno de barro (2011). Ce compositeur catalan nous surprend avec des notes aiguës et des sons métalliques, presque japonisants, comme s’ils avaient été créés avec des verres, ou de la ferraille. D’autre part, dans les scènes de bonheur partagé entre la mère et son fils, on entend des notes de guitare espagnole, nous rappelant la douceur de vivre retrouvée par les personnages. D’une beauté singulière, la musique s’insère parfaitement dans le rythme du récit, de manière timide mais incisive. Cette œuvre est donc empreinte d’une sensibilité remarquable grâce à la musique, et à la mise en scène aussi, qui nous captive à travers la représentation à la fois réaliste et poétique de la nature.

La propera pell est bien un film hivernal, se déroulant dans un petit village situé à côté des pistes de ski où travaille Ana. Il est à noter qu’un des moments les plus émouvants du film est celui où Ana et Gabriel sont en train de discuter tranquillement sur un télésiège, au-dessus des sommets blancs des montagnes. Si on devait associer une couleur au film, ce serait le blanc, après le bleu qui est très présent lui aussi. Le blanc s’exprime notamment à travers la neige, le brouillard et la glace. Cette couleur symbolise non seulement la « pureté » du personnage qui ignore les horreurs dont il avait été victime dans son enfance, mais aussi et surtout l’oubli, la confusion et les secrets enfouis. Ce n’est pas par hasard si le film commence avec l’image de la glace en train de fondre sur un rocher. Ensuite, on voit le vent balayer les feuilles mortes et nous indiquer que le film commence en automne. L’hiver s’approche et quand il arrive au village aragonais la neige a déjà recouvert la plupart des chemins.
Le temps et la mémoire ont donc une importance capitale. Le village aragonais où habite la famille de Gabriel représente l’immobilité du temps puisqu’il est resté le même après son départ. Cette permanence des traditions et le côté cyclique du temps sont représentés à travers le motif de la chasse. Cette pratique détermine les relations sociales parce que les villageois se réunissent pour manger ce qu'Enric et les autres chasseurs ont capturé. De cette manière, la chasse devient un motif clé dans le film qui nous informe sur la sauvagerie et la brutalité qui règnent dans ce village qui semble situé dans les confins du monde. De plus, elle sert à nous dévoiler la psychologie des personnages comme Enric et le père de Gabriel, qui hante les souvenirs du protagoniste. Enric est un homme des montagnes rustre qui, depuis l’arrivée de Gabriel, est rongé par la jalousie et frustré dans son désir sexuel inassouvi de posséder Ana. La rage de voir un inconnu s’infiltrer dans sa vie intime et le séparer peu à peu d’elle le rend de plus en plus hystérique et le plonge dans le désespoir. Toutefois, le film nous montre qu’il n’est pas comme son frère et ne peut arriver à faire de mal à quiconque, à l’exception des animaux qu’il chasse inlassablement. Face à cette brutalité, Gabriel ressent des pulsions contradictoires, l’une l’incitant à se rebeller et l’autre à se taire et à passer inaperçu. Ses constantes crises d’angoisse ne l’aident pas à prendre le contrôle de cette violence qu’il porte en lui et dont il ne sait que faire.
Gabriel est un enfant comme tant d’autres, qui aurait pu mal tourner à cause de toute la souffrance qu’il a dû subir, mais malgré cela il garde un amour pour le partage et le respect, notamment grâce à sa mère Ana qui prend soin de lui. C’est dans cet aspect que le film nous touche le plus. La volonté de former une famille et d'être heureux, en dépit du lien consanguin est une des leçons de La propera pell. La séquence de la danse entre Gabriel et Ana, lors de la fête populaire, est mémorable. Non seulement d’un point de vue technique, mais aussi parce qu’elle nous montre le lien indissoluble qui s’est créé entre ces deux personnages.

On ne peut pas vraiment laisser passer le printemps sans voir ce film qui nous éblouit comme la neige étincelante des sommets. Le nouveau film d’Isaki Lacuesta et Isa Campo, risque d’être le prochain coup de cœur cinématographique de l’année.

 

Patricia Baena

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