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CineHorizontes 2015, entre audace et dynamisme

06 Novembre 2015 | 15 Novembre 2015
Du 6 au 15 novembre 2015, le cinéma espagnol reprend ses quartiers à Marseille pour la 14ème édition de CineHorizontes. Au programme du festival, pas moins de 47 films dont 16 longs-métrages inédits en France, 41 séances, 13 cinéastes et 4 comédiens présents… et des sections toujours plus riches !
Cinehorzontes 2015
La 14e édition de CineHorizontes est toujours animée de la même volonté: mieux faire connaître le cinéma espagnol à Marseille et dans les six villes de la région où le festival fait étape. Néanmoins, comme le souligne sa présidente Jocelyne Faessel, le cru 2015 marque une rupture avec les années précédentes: disparus l’abattement et la déprime dans les films. Certes la crise est toujours présente, mais c’est désormais avec combativité et insolence que les réalisateurs l’abordent, et souvent une inventivité étonnante pour pallier le manque de moyens. Le ton sera donné dès la soirée d’ouverture, avec la projection de Felices 140, en présence de la réalisatrice Gracia Querejeta: une comédie caustique pleine de cet humour noir dont le cinéma espagnol a le secret.

La grande compétition, section reine du festival

Chaque année le comité de sélection de CineHorizontes retient entre cinq et sept films parmi une cinquantaine de postulants. Le jury 2015 aura à départager pour le prix du Meilleur film six longs-métrages d’une grande diversité de style et de ton. Murieron por encima de sus posibilidades, de Isaki Lacuesta, est une charge virulente et grotesque sur la crise économique, tournée par petits bouts sur deux ans et hors du système classique de production, avec un casting cinq étoiles. A perfect day, de Fernando León de Aranoa, tourné en anglais avec un casting international et sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2015, évoque de façon décapante les déboires d’un groupe d’humanitaires en mission dans un pays des Balkans. Los exiliados románticos, second long-métrage de Jonás Trueba (le fils de Fernando Trueba) suit trois jeunes espagnols dans un road-movie qui signera la fin de leur insouciance: un film de copains léger et tendre, tourné lui aussi avec peu de moyens. Joaquín Oristrell, l’un des meilleurs scénaristes espagnols de comédies, viendra présenter son dernier film, sans doute le plus singulier de la compétition : Hablar, unique plan-séquence d’1h10 tourné en deux jours sur les 500 mètres qui séparent la station de métro de Lavapiés et le théâtre Mirador de Madrid. Vingt acteurs parmi les plus en vue du cinéma espagnol actuel y improvisent de courtes scènes de vie qui saisissent l’état de sidération dans lequel est plongée l’Espagne aujourd’hui. Loreak de Jon Garaño et José Mari Goenaga, quoique entièrement tourné en basque, raconte une histoire universelle; preuve en est que ce film représentera l’Espagne aux Oscars 2016. Enfin, Negociador, de Borja Cobeaga, aborde le sujet sensible de ETA sur le ton de la comédie, une première en Espagne. A l’affiche de ces deux films, l’acteur Josean Bengoetxea, dont la carrière a explosé depuis son rôle dans Ander en 2009, sera présent pour l’occasion.

La compétition Opera Prima, un vivier de jeunes talents

CineHorizontes porte une attention toute particulière aux réalisateurs émergents, la sélection de leurs films dans des festivals étrangers étant pour eux un tremplin indispensable. C’est dans ce but qu’en 2014 le festival a créé la section Opera Prima, dédiée aux premiers longs-métrages. Cette année, cinq films y seront présentés en présence de leurs réalisateurs. A cambio de nada, de Daniel Guzmán, raconte l’initiation d’un jeune délinquant de banlieue avec une grande justesse de ton. Sexo fácil, películas tristes, d’Alejo Flah, met en scène, via le procédé du film dans le film, les allers-retours entre notre vie réelle pas toujours rose et les délicieux mensonges du cinéma. A escondidas conjugue avec délicatesse et sensibilité homosexualité et immigration: un sujet anti-commercial pour le financement duquel Mikel Rueda a bataillé pendant sept ans, mais qui fait aujourd’hui de lui une figure de proue du jeune cinéma basque. Todos tus secretos, du valencien Manuel Bartual, réflexion sur notre univers hyper-connecté, est particulièrement audacieux dans sa forme: le principe du split screen y est poussé ici jusqu’à une mosaïque de neuf lieux différents, tous filmés en plan-séquence, et qui correspondent à ce qu’enregistre la webcam de l’ordinateur de neuf personnages. Ce film suit en partie les 10 préceptes insolites du Manifeste #Littlesecretfilm, lancé en février 2013 par un groupe de réalisateurs espagnols désireux de se livrer à un exercice de réalisation extrême limitant les conditions de tournage. L’animation ne sera pas oubliée avec Pos eso, sélectionné au Festival d’Annecy 2015 et dont le réalisateur Sam Ortí a travaillé pour les prestigieux studios Aardman (Shaun le mouton) avant de monter sa propre structure, Conflictivos Productions. Une animation satanique en pâte à modeler bourrée de clins d’œil aux classiques de l’horreur et assaisonnée d’un humour ravageur qui joue sur les clichés de l’hispanité. Jubilatoire !

La compétition documentaire, entre films-chocs et hommages

Deux grandes tendances cette année dans la section documentaire, créée en 2013: un cinéma militant et des documentaires sur des icônes de la culture espagnole. Ciutat morta, de Xavier Artiga et Xapo Ortega, financé uniquement par souscription populaire, fait partie de la première catégorie. Les réalisateurs, qui se sont rencontrés à Barcelone en 2011 lors du Mouvement 15-M, y reconstituent l’affaire 4-F, survenue à Barcelone le 4 février 2006 et passée sous silence car elle pointe les graves dysfonctionnements de la police, la justice et l’administration. Remine, el último movimiento obrero, de Marcos Merino, revient sur la lutte acharnée des mineurs des Asturies en 2011 contre la fermeture programmée des mines annoncée par le gouvernement Rajoy. Le film, qui a nécessité 14 mois de tournage et 400 heures de rushes, a été financé à 70% par le réalisateur. Son succès dans les festivals a permis à Marcos Merino, qui sera présent à Marseille, de tourner d’autres histoires de résistance. Dans En tierra extraña, la réalisatrice Icíar Bollaín s’intéresse une fois de plus à une question sociale brûlante: la nouvelle émigration que connaît l’Espagne depuis la crise, celle de trentenaires surdiplômés contraints de partir à l’étranger, en l’occurrence à Edimbourg où ils sont 20.000, et d’y vivre de petits boulots, entre espoir et ressentiment.
Dans un genre très différent, Paco de Lucía, la légende du flamenco, est un hommage émouvant du réalisateur Curro Sánchez à son père. Dans Tras Nazarín, Javier Espada, fondateur du Centre Buñuel de Calanda, se livre à un voyage mémoriel sur les décors naturels du film éponyme à partir des photos faites à l’époque par Luis Buñuel et Manuel Álvarez Bravo. Il y rencontre les témoins du tournage de ce chef-d’œuvre de 1958, également projeté pendant le festival. Javier Espada amènera dans ses bagages 50 photos prises par Buñuel lors des repérages effectués pour chacun des 21 films de sa "période mexicaine": l’exposition Le Mexique photographié par Buñuel se tiendra du 8 au 15 novembre parallèlement au festival.

Isabel Coixet, invitée d’honneur de la 14ème édition

C’est aussi l’universalité du cinéma espagnol qui sera mise en avant cette année à travers l’invitée d’honneur de CineHorizontes : la réalisatrice catalane Isabel Coixet. Avec une dizaine de fictions à son actif, tournées aux quatre coins du monde et la plupart du temps dans d’autres langues, Isabel Coixet pratique un cinéma international depuis ses débuts. Une mini-rétrospective lui sera consacrée avec quatre longs-métrages qui nous emmèneront au Canada (Ma vie sans moi, 2003), en Mer du Nord (The secret life of words, 2005), au Japon (Carte des sons de Tokyo, 2009) et en Espagne (Ayer no termina nunca, 2012). Pour l’occasion, Isabel Coixet se livrera à l’exercice de la leçon de cinéma, inaugurée en 2014 par le réalisateur Ramón Salazar: le dimanche 8 novembre, elle donnera une master class sur les personnages féminins dans ses films.

Une programmation qui allie classiques, films d’auteur et succès publics

Une nouveauté cette année au programme de CineHorizontes: le Film d’or, titre honorifique créée par le festival pour distinguer un classique du cinéma espagnol totalement disparu des écrans. C’est Peppermint frappé de Carlos Saura (1967) qui inaugurera cette nouvelle section et qu’on retrouvera en copie restaurée.

Pour fêter les 400 ans de la publication du second tome du Don Quichotte, CineHorizontes programmera quatre adaptations cinématographiques du roman de Cervantès: Don Quichotte, film entamé par Orson Welles en 1955 mais resté inachevé, et dont les dix heures de rushes ont été reconstitués par Jess Franco en 1992; Lost in La Mancha, documentaire de Keith Fulton et Louis Pepe (2002), seule trace du tournage catastrophe du Quichotte mort-né de Terry Gilliam; El caballero Don Quijote, que Manuel Gutiérrez Aragon tourna en 2002 en complément de la série télévisée qu’il avait réalisée en 1992 et qui ne correspondait pas à sa vision de l’œuvre; et enfin Honor de cavalleria, du catalan Albert Serra (2007), expérience contemplative unique et singulière.

On retrouvera également la section non compétitive "Una ventana al sur", fruit du partenariat avec l’ASECAN (Asociación de Escritores Cinematográficos de Andalucía) et qui mettra en avant la créativité du cinéma andalou en donnant un coup de projecteur sur les films primés par cette institution en 2014: La isla mínima de Alberto Rodríguez, El Niño de Daniel Monzón et Carmina y amén de Paco León.

Les gros succès publics trouveront aussi leur place: Ocho apellidos vascos, qui a battu tous les records d’entrées (10 millions) en Espagne et que le festival se devait donc de programmer, ou la trilogie de l’acteur-réalisateur Carlos Iglesias sur l’émigration espagnole. La comédie autobiographique culte Un franco, 14 pesetas (2006), où il raconte sa propre histoire, celle d’un gamin qui dans les années 60 a suivi ses parents partis travailler en Suisse et qui n’est revenu en Espagne qu’à l’adolescence, et sa suite Dos francos, 40 pesetas (2014). A ces deux films s’ajoute Ispansi (2011), qui évoque le destin méconnu des quelque 3.000 enfants espagnols envoyé en URSS en 1937 par le gouvernement républicain pour les mettre à l’abri de la Guerre civile.

CineHorizontes? Neuf jours dédiés à un cinéma espagnol toujours plus inventif et engagé, qui réussit malgré la crise qui le frappe à trouver son public, y compris à l’international.

Christelle Guignot

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