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Carlos Saura retranscrit une ambiance oppressante avec justesse. La caméra au plus proche de la jeune femme renvoie l’image de l’innocence et en même temps de la séduction, comme lorsqu’elle marche silencieusement cheveux au vent. La place du hors champs devient centrale, tant on imagine les frères en train de l’épier. La tournure allégorique chère à Saura trouve ici son expression la plus directe. Les frères – les loups du titre du film - représentent les trois forces oppressives de l’Espagne tardo-franquiste : l’armée, l’Eglise et le sexe. De son côté, la grand-mère paralysée incarne la dictature vieillissante, immobile et conservatrice. L’irruption de la nouvelle génération dans cet univers cloîtré permet au réalisateur d’exorciser ses propres frustrations, et de confronter les Deux Espagnes par la voie d’un cinéma crypté, ou « oblique » selon le terme employé par l’historien John Hopewell. La conclusion tragique et violente du film permet de prendre la mesure de l’acte transgressif de l’auteur. En jouant habilement sur les limites entre explicite et implicite, Saura produit un discours détourné sur l’hypocrisie des élites franquistes.
Anna et les loups est un film dans lequel la tension ne diminue jamais, bien au contraire. Même quand ils ne sont pas présents à l’écran, les frères tyranniques hantent toujours l’esprit du spectateur, impuissant face au déchaînement de leurs pulsions malsaines. L’humour noir des dialogues, écrits par l’incontournable Rafael Azcona, participe au climat angoissant de dérèglement du quotidien. Le personnage de Fernando symbolise parfaitement l’ambiguïté dans lequel baigne le film. Fernando Fernán Gómez compose un rôle complexe, un personnage difficile à cerner : un moment possible porte de sortie d’Anna, il montre finalement sa faiblesse dans la dernière partie en se soumettant à l’autorité de ses frères. La loi du plus fort l’emporte, et Saura démontre par-là comment le refoulé contamine toute la société espagnole, de la bourgeoisie frustrée (les employeurs d’Anna) jusqu’à la nouvelle génération (Anna). Le réalisateur se rapproche clairement de Luis Buñuel, de par la contamination du réel par un imaginaire morbide et inquiétant mais cependant fascinant. Anna ne peut ainsi s’empêcher de « jouer » avec ses patrons, de comprendre leurs motivations. Une attitude qui se conclut en toute logique sur un déchaînement de violence inouï, annonciateur de la brutalité caractéristique du cinéma espagnol de la Transition.
Un tel film subversif ne pouvait que déplaire aux autorités. Pour autant, le franquisme souhaitait diffuser une image plus libérale à l’étranger en ce début des années 70, et nul doute que le film de Saura fut autorisé dans cette optique, d’autant plus qu’il s’agit d’un film d’auteur, donc susceptible d’attirer moins de spectateurs que le cinéma populaire. Il n’en reste pas moins qu’Anna et les loups demeure, quarante ans plus tard, une œuvre d’une puissance politique intacte.
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Né en 1932, Carlos Saura est issu d'une famille bourgeoise libérale. Il débute ses études dans l'ingénierie, mais sa passion pour la photographie est plus forte et c'est en 1952 qu'il intègre l'Instituto de Investigaciones y Estudios Cinematográficos de Madrid. Il y étudie la mise en scène, collabore avec ses amis Eduardo Ducay et Leopold Pomes à... Lire la suite