Films

La Isla Minima

Un Film de Alberto Rodríguez
Avec Raúl Arévalo, Javier Gutiérrez (II), Antonio de la Torre
Drame | Espagne | 2014 | 1h44
10 Goya 2015, Festival du Film Policier de Beaune : Prix spécial Police et Prix de la Critique, Festival de Cinema Espagnol de Nantes : Prix du Public, Festival de San Sebastián : Coquillage d'Argent à Javier Gutiérrez
Le traumatisme du franquisme sous l’angle du thriller policier
Sans aucun doute l’un des films espagnols les plus attendus de l’année, La isla mínima franchit la frontière pour débarquer dans les salles françaises, un peu moins d’un an après sa sortie espagnole. Le sixième film d’Alberto Rodríguez a engrangé une série spectaculaire de récompenses, dont 10 prix aux derniers Goya.
Dans l'Espagne post-franquiste des années 1980 qui tente de soigner le traumatisme des quarante dernières années, la disparition de deux jeunes filles dans la campagne andalouse oblige deux policiers que tout oppose à collaborer. Mis à part le contexte spécifique, le scénario de base relève du classique voire du stéréotype dans le genre du polar/thriller. Mais l’intérêt du film réside bien plus dans son approche sociologique de cette époque difficile, par le biais de l’opposition entre Juan Robles, le flic aux méthodes expéditives ayant un lourd passé dans les forces répressives de Franco, et le jeune Pedro Suárez, idéaliste représentant la nouvelle génération ayant foi dans la démocratie naissante. Magnifiquement interprété par Javier Gutiérrez et Raúl Arévalo, le duo fonctionne très bien dans sa relation conflictuelle. Dans leur enquête sur les mystérieuses disparitions dans les paysages ruraux isolés, leur pire ennemi n’est pas tant le tueur en série – dont l’identité n’a au final que peu d’intérêt pour le spectateur – que l’omerta qui règne au sein des habitants. Cette loi du silence qui, paradoxalement, semble être la base du lien social dans la région où se déroule le film, empêche la progression de l’enquête et mène les deux policiers sur de fausses pistes, instaurant par là un réel suspense pour les nerfs.

La isla mínima ne serait pas le même film non plus sans le paysage qui compose à lui tout seul un personnage à part entière. L’Andalousie, ses villages pauvres et désolés, ses marécages poisseux... Alberto Rodríguez en fait une représentation quasiment abstraite de la psyché des deux personnages principaux. Des plans aériens sur les marécages du Guadalquivir qui forment une sorte de puzzle cérébral aux plaines arides avec seulement quelques habitations perdues au milieu, les décors renvoient toujours à l’idée d'isolement et d’incommunicabilité des personnages – et de l’Espagne –, leurs différences idéologiques en apparence inconciliables. La musique discrète permet de renforcer cette exploration psychologique dans l’Espagne d’après Franco, de même que la mise en scène enferme littéralement les personnages dans ce cauchemar éveillé. Le film joue en effet beaucoup avec les apparences, entre le réel et l’illusion, la légalité et l’illégalité dans les pratiques de l’enquête. Les multiples apparitions énigmatiques d’oiseaux auprès du personnage de Juan sont significatives de la dimension métaphysique du long-métrage. Dès le générique d’ouverture, des oiseaux survolent les marais, théâtre de l’enquête, et semblent observer les hommes courir vers leur perte.

Malgré ses indéniables qualités visuelles et scénaristiques, il manque toutefois à La isla mínima une certaine dose de folie. Certes l’enquête est passionnante parce que remplie d’imprévus et de fausses pistes, mais une fois celle-ci bouclée lors d’une scène finale bien rythmée, le ressenti général est d’avoir assisté à un film assez calibré dans son genre, renvoyant aux derniers polars américains ou encore à la série True Detective, des modèles dont Alberto Rodríguez a du mal à se démarquer pour constituer un film plus personnel.


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