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la violence extrême est une composante narrative qui devient encore plus brutale si elle n’est pas directement visible 

Aussi explosif et surprenant qu'une bombe à retardement, le deuxième film de Carlos Vermut, intitulé La Niña de fuego (Magical Girl, 2014) sort en France le 12 août 2015.
Rencontré à Paris lors de la 8è édition de Different ! l'autre cinéma espagnol, le réalisateur enchante par sa gentillesse et sa modestie. Dans cet entretien, il évoque la direction d'acteur, sa passion pour la culture japonaise, la crise espagnole et la violence au cinéma.

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Carlos Vermut - La Niña de fuego
Bonjour Carlos, tout d'abord, félicitations pour votre film! Comment vivez-vous votre arrivée à Paris? Est-ce que vous connaissiez la capitale française et le festival Different, l'autre cinema espagnol?

Merci beaucoup, oui, je connais cette ville car je suis venu à Paris plusieurs fois pour des raisons professionnelles. La première fois c'était quand je dessinais des bandes dessinées. Je suis passé par Paris après avoir été à Angoulême. Les trois dernières fois, je suis venu pour le festival Différent, invité par José Maria Riba. Malheureusement, je n'ai jamais eu le temps de profiter vraiment de la ville et je voudrais venir plus souvent et rester pendant un mois pour y vivre.

Dans ce film vous dirigez des acteurs d'horizons et de générations différents, comme la jeune et prometteuse Lucía Pollán, l'acteur mythique José Sacristán ou Bárbara Lennie, qui a gagné le Goya de la meilleure actrice grâce à votre film. Quel rapport entretenez-vous avec vos interprètes ?

Avant de tourner La Niña de fuego et Diamond Flash, mon premier long-métrage, j'avais peur de la direction d'acteurs. Je viens du monde de la bande dessinée et j'avais entendu parler d'expériences négatives de tournages. Le travail avec eux a été très facile et agréable, pas du tout traumatique. Je pense que ces acteurs merveilleux ont quelque chose en commun qui m'a aidé à travailler. Leur âge et origine n'ont pas changé grand chose, j'ai eu confiance en leur talent.

La Niña de fuego dévoile la forte influence que la culture japonaise a sur votre imaginaire cinématographique. Quels sont vos réalisateurs japonais préférés ?

En effet, je me sens très proche du cinéma japonais parce que j'y retrouve certaines de mes obsessions de cinéaste, notamment la présence d'un côté obscur et farfelu dans les récits filmiques. Je m'intéresse beaucoup à la tendance du peuple japonais à occulter les sentiments, les désirs et les émotions. Mes réalisateurs préférés sont Nagisa Oshima, Teshigahara Hiroshi, Kurosawa, Kiyoshi Kurosawa, Takashi Miike et Takeshi Kitano.

La Niña de fuego sort en France avec le titre éponyme de la chanson de Manolo Caracol. Comment est née l'idée d'inclure cette musique qui « hispanise » d'une certaine manière le film pour le public français?

Ce fut un hasard ! Honnêtement, je n'avais pas pensé à cette chanson à l'écriture du scénario. Dans la première version, Bárbara allait dans un karaoké et chantait la chanson pop Aprendiz de Malú. Nous nous sommes rendus compte par la suite qu'il était très difficile d'obtenir les droits de cette chanson. De plus, il était plus intéressant de montrer le personnage de Bárbara chez elle dans une sorte de réclusion permanente. J'ai donc fini par trouver cette chanson de La Niña de fuego, en découvrant une version moderne de Pony Bravo, intitulée Ninja de Feu.

Le manque d'argent est l'élément déclencheur de l'histoire puisque Bárbara tombe dans un cercle vicieux où elle doit réussir à trouver de plus en plus d'argent pour rembourser sa dette. Cette omniprésence de l'argent qui représente une fatalité dans la vie des personnages nous révèle la situation de crise actuelle que traverse l'Espagne. C'était ton intention de montrer ce contexte socioculturel?

Même si La Niña de fuego commence comme un film noir classique, il finit par parler de la crise parce qu'il se situe dans l'Espagne de 2014, et pas dans un passé lointain ou un lieu indéterminé. À travers cette histoire de chantage, je voulais réfléchir à notre servitude à l'argent et à la manière dont nous portons préjudice aux autres afin de nous enrichir. En Espagne, nous nous sommes rendus compte tout d'un coup que le capitalisme était la pire des idées. Nous ne pensions pas cela avant, quand la crise affectait d'autres pays et pas le nôtre. Peu à peu, nous réalisons à quel point nous sommes coupables et responsables de ce qui nous arrive et comment nous pouvons changer la situation.
Dans le film, les personnages ne sont pas conscients non plus de ce qu'ils provoquent ; ils obtiennent de l'argent et ne se posent pas trop de questions. Il nous arrive un peu la même chose tous les jours. Nous sommes entourés de biens et nous ignorons à quel prix nous les possédons.
Mon idée, c'était de situer les personnages du film dans le contexte socioculturel actuel et de ne pas éviter le thème de la crise même s'il n'est pas évoqué directement. Je pense que la crise espagnole ne parle pas seulement de l'Espagne, mais de l'Occident en général.

Contrairement à vos courts-métrages et bandes dessinées, comme la dernière intitulée Cosmic Dragon, vos long-métrages expriment une vision plus obscure et tragique. Comment le format ou le support délimitent-ils la nature même du message ?

Je dois avouer que je n'étais pas conscient de cet aspect mais c'est vrai que ma troisième bande dessinée est une adaptation d'une comédie et la quatrième et dernière a été pour moi un « divertissement » qui n'exclut pas pour autant un côté tragique de l'humour.

Ce côté à la fois tragique et comique est très typique de la comédie espagnole...

C'est exact. Mais, je n'ai jamais été conscient de cette différence de ton entre mes bandes dessinées et mes long-métrages parce que je n'ai jamais tracé de frontière dans la création, le support étant complètement circonstanciel.

J'ai également remarqué que dans La Niña de fuego la violence est montrée avec beaucoup plus de distance et d'humour et de manière moins explicite que dans Diamond Flash. Est-ce que vous pensez que l'humour peut être un instrument pour exprimer la violence indirectement ?

Je crois que les limites de l'humour sont tracées par ceux qui ont souffert de la violence. Pour les autres, c'est difficile de tracer ces limites et de se demander : de quoi et de qui pouvons-nous rire ? Quelle est la limite de la violence ?
Dans La Niña de fuego, j'ai montré une violence plus implicite non seulement à cause d'une position morale, mais surtout parce que la violence extrême est une composante narrative qui devient encore plus brutale si elle n'est pas directement visible. On ne voit jamais les mauvais traitements dont est victime Bárbara après avoir passé la porte du Lézard noir, mais ses bandes plâtrées cachent des blessures qui doivent être très graves.

À propos de la violence qui se cache derrière la porte du Lézard noir, pourquoi l'appeler de cette façon ?

Le Lézard noir est une référence freak et personnelle au cinéma et à la littérature japonaise. Il y a un livre très connu qui s'appelle le Lézard noir.

Ah oui ! Je connais le film Le Lézard noir dans lequel apparaît un acteur travesti japonais...

Oui, le personnage de femme fatale qu'il incarne me paraît génial et en plus, dans le roman, on ne se sait pas s'il s'agit d'un homme ou d'une femme ! À la fin de La Niña de fuego, j'utilise une chanson de ce film, reprise par le groupe Pink Martini, The Song of The Black Lizard.

Pourquoi Bárbara décide d'ouvrir la porte du Lézard noir en sachant les dangers atroces qui l'attendent ? Que symbolise pour toi ce motif de la porte qui apparaît de manière récurrente au cinéma, par exemple dans Le Secret derrière la porte de Fritz Lang, Shining de Stanley Kubrick ou dans les films de David Lynch ?

En écrivant le scénario du film, Bárbara m'est apparue comme un personnage très puissant qui utilise la soumission comme une arme pour atteindre ses objectifs. Cette idée de la soumission comme une force m'a donné celle de la violence qui se cache derrière la porte. Je crois qu'il y a quelque chose de terrifiant dans l'idée d'une porte fermée, le conte de Barbe Bleu parle de cela. Il y a aussi une scène de Twin Peaks : Fire Walk with Me de David Lynch, que je trouve très angoissante : c'est celle où Laura peint une porte fermée dans sa chambre et, à un moment donné, Laura se réveille et la peinture représente une porte ouverte. L'image de cette porte provoque en moi une panique totale.

Quel regard portez-vous sur le cinéma d'auteur espagnol et sur la possibilité de produire et réaliser ce genre de films en Espagne ?

Il est certain qu'il y a aujourd'hui des jeunes réalisateurs comme moi qui se mettent à faire des long-métrages, sans faire appel à des grosses boîtes de production. C'est important que les réalisateurs puissent envisager la possibilité de réaliser des long-métrages avec peu de moyens parce qu'on apprend beaucoup plus dans un long que dans un court, même si les deux expériences sont merveilleuses. Je suis optimiste quant à l'avenir du cinéma espagnol : pour que le cinéma aille bien il faut qu'on le veuille. S'il n'y a pas des gens optimistes qui osent faire des films, personne ne pourra dire que le cinéma espagnol se porte bien. Il faut donc être optimiste.

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