Interviews
Cinespagne.com : Comment t’est venue l’envie d’être actrice ? Tu as suivi les traces de ton père comédien ?
Lola Dueñas : Je n’ai pas vraiment suivi les traces de mon père qui faisait surtout du théâtre, mais effectivement, quand j’étais petite, j’étais toujours avec lui.
C’est curieux d’ailleurs, parce que ma sœur aussi et pourtant, elle a fait du droit… Il est vrai que j’ai eu beaucoup de chance d’évoluer dans cet univers dès l’enfance. Mon père était acteur, ma mère produisait des pièces de théâtre et ils avaient une troupe qui regroupait, à cette époque, de très grands acteurs et des metteurs en scène magnifiques. Et j’ai vu tout ça ! Bien sûr, ça reste !
C.C : À quel moment arrive l’envie d’étudier, d’apprendre la comédie, le métier d’actrice ?
L D : Quand j’étais adolescente, j’en avais très envie mais je me sentais perdue. C’était comme si je me l’interdisais. Un jour José Luis Gómez, un acteur espagnol incroyable, un très grand homme de théâtre, a organisé des auditions. Il avait acheté à Madrid une ancienne église dont il avait fait un théâtre et il montait sa propre école. Cependant, pour l’intégrer, il fallait avoir 25 ans et je n’avais pas l’âge, je n’avais que 20 ou 21 ans. J’ai dit que j’en avais 25 et j’ai passé les auditions avec succès. Mais lorsqu’il m’a demandé ma date de naissance, je lui ai donné la vraie parce que je suis incapable de mentir. Il a hésité un moment et m’a même demandé : « Mais qu’est-ce que je vais faire de toi ? » Mais finalement, il a accepté et j’ai pu entrer dans son école. C’est lui qui m’a formée au théâtre. C’est une chance incroyable que j’ai eue, car cette formation n’existe plus. En réalité, il était incapable d’être prof : il nous faisait tous pleurer… Il n’a fait que les premières années, mais j’ai eu cette chance formidable d’être formée par lui. Il nous a appris la parole, il nous a appris à dire ! Il n’y a pas d’école en Espagne pour apprendre ça !
C.C : Dans ta biographie, il y avait aussi Juan Carlos Corrazza…
L D : Non, je n’ai fait qu’un stage de 15 jours avec lui et je n’ai pas aimé sa méthode de travail qui est, pour moi, trop basée sur la psychologie. Ça ne m’intéresse pas du tout de travailler de cette façon ; une sorte d’Actor’s Studio bizarre avec une actrice qui s’était mise à pleurer en racontant ce que sa mère lui faisait… Je ne veux pas voir ça, ça ne m’intéresse pas, ça me fait du mal. J’ai vu aussi le pouvoir que donne cette méthode au maître et ça m’a dérangée. Mais je reconnais que le jour où j’ai travaillé une scène avec lui, tout s’est très bien passé et ça m’a beaucoup plu. Le jour où on a travaillé ensemble, j’en ai profité, mais comme méthode ça ne m’intéresse pas du tout. Ma formation, c’est le théâtre de l’Abadía, de José Luis Gómez à Madrid !
Quand je faisais du théâtre, j’adorais l’instant où on est en coulisses et où on entre en scène…
C.C : Tu dis avoir peur de monter sur scène mais le tournage des Ogres n’est-il pas un premier pas vers un retour au théâtre ?
L D : Oui, c’est ce que je me suis dit pendant le tournage, que la vie m’envoyait un message. C’était extraordinaire parce qu’on montait sur scène mais la caméra était là ! J’ai pensé qu’après ce film, il fallait que je remonte sur scène mais… l’année prochaine, OK ? (rires) En fait, je sais parfaitement avec qui je veux travailler, j’ai tout en tête.
C.C : Ce serait une création ?
L D : Non, je veux travailler avec celui que je considère comme le meilleur metteur en scène de théâtre en Espagne actuellement, Andrés Lima. Il me l’avait proposé il y a quelque temps, j’avais accepté mais j’étais terrifiée et j’ai finalement refusé. J’ai comme une dette envers lui ! Il a beaucoup d’humour et il me dit souvent « Si tu veux faire du théâtre, ma belle, c’est toi qui produis ! Parce que si tu changes d’avis, c’est ton problème…»
C.C : Est-ce que le tournage des Ogres t’a permis de vaincre ta peur ?
L D : Non, pas du tout, la peur sera là mais on montera quand même le projet. Quand je faisais du théâtre, j’adorais l’instant où on est en coulisses et où on entre en scène et comme c’est quelque chose que l’on a tourné avec Les Ogres, j’ai vraiment eu le souvenir des sensations et j’ai ressenti l’envie de les vivre à nouveau. Mais c’est aussi et surtout pour continuer à me former car j’ai très peur de faire toujours la même chose. Il faut faire attention à ne pas se répéter soi-même. Sans formation, on tombe dans la répétition. C’est dangereux, je trouve.
C.C : C’est, en effet quelque chose qui ressort dans ton parcours. Tu as une carrière largement reconnue en Espagne et tu remets tout en question en t’installant en France, la formation, c’est une ligne de conduite ?
L D : Oui, je pense, mais il n’y avait pas non plus beaucoup de possibilité de travailler en Espagne et j’avais envie de tourner. C’est aussi pour survivre, pour apprendre, ne pas rester sans rien faire à se lamenter et pour réagir face à cette situation. J’avais deux possibilités : soit je restais là assise au bar à boire des bières, soit j’apprenais le français. Mon choix a été vite fait, j’ai appris le français et je continue. Je continue à apprendre : je réagis !
Dans Alléluia, pour la première fois, je me suis sentie complètement libre…
C.C : Est-ce différent pour toi de jouer en français ou en espagnol ?
L D : Oui, c’est très différent. C’est beaucoup plus difficile en français pour moi. D’abord il y a toujours la peur de ne pas être comprise, ce qui est inacceptable. Les gens payent leur place ! Je travaille donc beaucoup les textes avant. Par exemple, j’enregistre mes amis pour entendre dire mon texte par des voix différentes. Mais ce qui est très difficile c’est que, pour moi, en espagnol, l’émotion s’exprime directement, alors qu’en français, le chemin est moins direct. Il y a une étape supplémentaire de réflexion, d’intellectualisation. Dans Alléluia, pour la première fois, je me suis sentie complètement libre mais c’est surtout parce que le réalisateur n’accordait aucune importance à mon accent. Ça m’a donné le courage de l’oublier et de vivre le personnage. Et puis, il y avait aussi la post-synchronisation ! C’est rassurant… Je suis très « lourde » avec l’équipe-son sur un tournage, les pauvres ! Mais, oui, c’est plus difficile en français. Il faut bien maîtriser la langue pour être libre et ce n’est pas encore mon cas.
C.C : À propos d’Alléluia, on ne t’attend pas du tout dans un rôle comme celui-là, comment s’est passée la rencontre ? Comment le réalisateur Fabrice Du Welz t’a-t-il choisie ?
L D : Quelqu’un lui avait parlé de moi et lui avait conseillé de m’appeler. Il avait vu mon travail, trouvait que j’étais une bonne actrice, mais il n’était pas convaincu, il lui semblait que ce n’était pas cela qu’il cherchait. Le lendemain matin, il m’a vue par hasard dans un supermarché à Paris et il m’a suivie. Le jour d’après, il m’envoyait le scénario. J’aime beaucoup quand il raconte ce moment car pour lui, c’est devenu une évidence ; c’est très joli car il dit que quand il m’a vue au supermarché, il a ressenti quelque chose, il s’est dit, « c’est ça, c’est elle ! » Il a dû beaucoup se battre pour m’imposer car, au début, les producteurs refusaient que ce soit moi, principalement à cause de mon accent espagnol. Ils pensaient que c’était une folie que de me confier le rôle principal. Fabrice m’a tenue au courant de tout, il ne m’a rien caché et il a toujours fait preuve de loyauté. Il a imposé sa volonté de faire ce film avec moi aux 3 producteurs et, ce qui a été très drôle, c’est qu’à la fin de la première semaine de tournage, les producteurs sont venus sur le plateau et ont été à mes petits soins alors qu’au départ, ils ne voulaient pas de moi !
C.C : Tu connaissais l’histoire de ces deux personnages, les « Tueurs de la Lune de Miel » ? Oliver Stone en a fait une version, est-ce que tu avais vu ou lu d’autres œuvres racontant cette histoire ou tu l’as découverte au moment où on t’a proposé le scénario ?
L D : Je n’en avais jamais entendu parler et quand j’ai reçu le scénario chez moi et que j’ai vu « inspiré de l’histoire vraie de Raymond Fernandez et Martha Beck », je n’en revenais pas ! J’ai vu l’absolue nécessité de faire ce film. J’ai lu le scénario d’un trait, j’ai fait des recherches sur Internet, je n’ai pas dormi de la nuit, j’ai lu tout ce que je trouvais sur eux. Quel couple de fous ! Même si c’est aussi une histoire d’amour très forte, pour moi ce sont deux fous. J’ai été très étonnée d’entendre Fabrice dire que c’est de l’amour… Pour moi, ce n’est que de la folie !
C.C : Mais est-elle amoureuse de lui, ou a-t-elle peur de retomber dans sa solitude ?
L D : Elle est amoureuse de lui, cela ne fait aucun doute mais il est vrai aussi qu’il la réveille, il lui sauve la vie en quelque sorte… Mais ce qui prime c’est qu’elle est folle amoureuse de ce monstre et elle en devient encore plus monstrueuse que lui. Elle est, par exemple, incapable de mentir. Si vous regardez bien le film, vous verrez qu’elle ne sait pas mentir, contrairement à lui qui ne vit que dans le mensonge.
J’adore mon métier, j’ai toujours envie de tester de nouvelles choses.
C.C : On peut dire que tu as brillamment relevé le défi. Tu es excellente dans un rôle très surprenant ! Comment t’arranges-tu avec l’éclectisme dont tu fais preuve dans le choix de tes rôles ?
L D : J’adore mon métier, j’ai toujours envie de tester de nouvelles choses. Par exemple, hier soir j’étais extrêmement fatiguée mais quand mon agent m’a appelée pour me parler d’un film avec un réalisateur italien, je n’ai plus ressenti aucune fatigue ! J’ai tout le temps envie d’essayer des choses différentes, c’est ça que j’aime, aller là où la vie me porte. Alléluia est arrivé dans ma vie et j’ai su le saisir.
C.C : Un des membres du jury, Jean Benguigui, a dit en interview qu’il n’acceptait les rôles que s’il pensait pouvoir apporter quelque chose de lui. C’est aussi ton cas ?
L D : Oui, c’est systématique. Je mélange toujours un peu la vie avec le cinéma, c’est ma façon de travailler. Les émotions naissent en moi, Lola, puis je fais avec tout ce qui m’entoure. Almodóvar dit que je suis un Frankenstein, je me compose et compose mes personnages en partant de moi mais aussi de tout ce que je peux vivre, voir… Le moindre détail pourra me servir, un tableau, ton t-shirt, quelqu’un qui passe dans la rue…
C.C : N’y a-t-il pas un risque de schizophrénie ?
L D : Ah, je vais peut-être finir schizophrène, qui sait ? Non, au contraire, je trouve ça très sain parce que, finalement, j’exprime tout ce qui peut m’arriver, je m’en débarrasse en jouant en quelque sorte. Je pense qu’on a tous tout ce qu’il faut pour exprimer des émotions, mais pour jouer, il faut aller chercher les bons éléments pour exprimer les émotions justes et s’en débarrasser.
C.C : Justement ça n’a pas été trop difficile de se débarrasser d’Alléluia ?
L D : À ce moment-là, j’étais hébergée chez un ami en attendant que l’appartement que j’avais loué se libère. Après le tournage, je suis arrivée chez lui et quand il m’a prise dans ses bras pour m’accueillir, je me suis effondrée en sanglots ! J’étais complètement détruite émotionnellement et physiquement mais après quelques jours où on dort, on mange, on aime, ça passe, on est guéri…
Sur un tournage, j’aime beaucoup le travail et l’échange…
C.C : Comment définirais-tu un bon réalisateur ?
L D : Pour moi, c’est quelqu’un qui a quelque chose à dire, qui a un univers, un regard sur la réalité et qui est capable de placer la caméra, de donner des indications à l’acteur…
C.C : D’après toi, jusqu’à quel point un réalisateur doit-il diriger l’acteur ?
L D : Sur un tournage, j’aime beaucoup le travail et l’échange avec le réalisateur. Ce que je préfère, c’est travailler, essayer des choses et que le réalisateur me dise ce qu’il en pense. On ne peut pas se voir soi-même, c’est lui qui voit le tableau de l’extérieur, c’est comme un guide qui m’amène sur le bon chemin. Mais je n’aime pas du tout faire beaucoup de prises. Certains réalisateurs peuvent faire jusqu’à 13, 14 prises et pour moi, c’est trop, ce n’est pas nécessaire et il n’y a plus de plaisir à jouer. J’aime les réalisateurs qui aiment les acteurs, qui savent dire la phrase qu’il faut. Dans ces cas-là, j’ai l’impression de redevenir enfant, une petite fille qui joue. Avec une simple indication, une petite phrase, il éveille une image en moi et je me sens vraiment comme une enfant qui s’amuse, c’est extraordinaire ces moments-là ! Et puis il y a la relation réalisateur-actrice ; c’est très spécial et très joli aussi.
Recevoir un prix, une récompense, c’est savoir que je vais continuer à tourner…
C.C : Es-tu une actrice cinéphile ?
L D : Oui mais, en ce moment, le temps me manque cruellement ! J’avoue que quand j’ai 3 jours, je n’ai pas envie d’entendre parler de cinéma. J’ai envie de cuisiner ! C’est la première chose que je fais quand je rentre. J’ai envie d’aller au marché, d’enlever les talons hauts, ne pas me maquiller et ne pas me coiffer… Mais quand tout se sera un peu calmé, alors, oui, je vais m’y remettre, mais j’aime regarder les films, seule chez moi. Je ne devrais pas dire ça mais c’est vrai, la solitude pour regarder un film, c’est très important. Je prends un réalisateur que j’aime, ça peut être de genres très divers, et je regarde tous ses films ! J’adore faire ça ! Récemment, par exemple je me suis mise à regarder tous les Pialat… J’adore !
C.C : Tu as des modèles d’actrices, de réalisateurs ?
L D : J’ai une grande admiration pour Gena Rowlands, c’est une actrice incroyable ! Et quand j’étais jeune, à Madrid, j’ai adoré Victoria Abril ! Ce sont des femmes qui m’inspirent.
C.C : Tu as un beau parcours, Cannes, les Goyas, la Concha d’argent à Saint-Sébastien, quel effet ça fait ces récompenses, qu’on te rende hommage dans un festival ?
L D : La Concha, je la voulais depuis toujours et quand je l’ai eue, ça m’a rendue vraiment très heureuse. San Sebastián, en Espagne, c’est LE festival, la référence. J'y suis très attachée d’ailleurs. Et puis, la statuette est vraiment très jolie ! Recevoir un prix, une récompense, c’est savoir que je vais continuer à tourner, que j’ai fait ce que je voulais faire et que ça va continuer. La dernière fois que je suis venue ici, c’était pour mon premier film et, entre ce moment-là et maintenant, qu’est-ce que j’ai tourné !
¡ Volver ! ¡ Almodóvar !
C.C : Ça fait une différence de partager un prix comme à Cannes ou de recevoir une distinction individuelle ?
L D : J’ai vraiment adoré le principe de partager le prix pour Volver, j’ai trouvé ça très joli parce que je l’ai compris comme étant un prix pour Pedro. Si on récompense toutes les actrices, en réalité, c’est un prix pour le réalisateur ! C’est ça que j’ai trouvé beau.
C.C : Les 3 films présentés à l’occasion de ta venue (Volver, Yo también, Mar adentro) c’est toi qui les as choisis ? Peux-tu nous dire 1 mot sur chacun ?
L D : Volver ! Almodóvar ! (rires) À l’origine, c’était Volver, Ce que je sais de Lola et Mar adentro qui avaient été retenus et c’est moi qui ai préféré remplacer Ce que je sais de Lola par Yo también. Mar adentro a complètement changé ma vie, ça m’a bouleversée. Volver c’était… le rêve ! Yo también, ça a été la confiance totale des réalisateurs. Ils ont eu une confiance aveugle en moi !
C.C : Vous êtes fidèle dans le travail ?
L D : Oui, très fidèle, et les autres aussi le sont avec moi ! Avec Ramón Salazar, j’ai fait tout ce qu’il a fait, et c’est très beau d’avancer avec quelqu’un dans la vie comme au cinéma. Au cinéma et dans la vie, on mélange tout ! Je suis comme ça et lui aussi et c’est incroyable de voir à quel point chacun de ses films, représente une part de lui. Je connais sa vie, je sais ce qui lui est arrivé, et je vois ce qu’il a changé dans sa façon de tourner, je vois comment il avance en tant qu’homme et en tant que réalisateur. Et de leur côté, les réalisateurs te voient vieillir devant les caméras, et ça c’est très beau…
Yo, también : deux mots séparés par une virgule, tel un pont entre deux mondes. Celui du handicap qui isole, inspire la pitié ou la curiosité et celui de la normalité, subjectif et aux contours imprécis. Sur ce pont, se trouvent deux hommes qui ne font qu'un : Pablo Pineda, 35 ans, premier trisomique à avoir obtenu un diplôme universitaire en... Lire la suite
Dans un petit village de la Mancha, des femmes s'appliquent à nettoyer, astiquer les tombes avec énergie, sous un vent qui semble de feu. C'est sur ce plan séquence, aride et légèrement décalé, que s'ouvre le film, d'emblée loin des clichés movida-esques, érotiques et urbains auxquels on a pu être parfois tenté de réduire le cinéma... Lire la suite
2013 avait été qualifiée « d'année horrible » par le quotidien El País tant avait été forte en Espagne, et particulièrement pour le cinéma espagnol, la chute du nombre d'entrées dans les salles. L'année 2014 apparaît comme celle de tous les records. Lire la suite