Interviews

Laurent Hugues - Festival Reflets

Le cinéma Zola à Villeurbanne, c'est presque le village d'Astérix! 
Interview de Laurent Hugues, directeur général du cinéma Le Zola de Villeurbanne, où s'est déroulé du 14 au 28 mars le festival Reflets du cinéma ibérique et latino-américain.
Laurent Hugues
Quel a été votre parcours jusqu'à votre arrivée au cinéma le Zola?

Mon parcours est relativement simple. J'ai fait des études de cinéma à Lyon pendant 5 ans, et la dernière année de mon cursus, j'avais le choix entre partir à l'armée ou trouver un stage pour ma 5ème année. J'ai cherché un stage dans les salles de la région et je me suis retrouvé au Zola. Je n'avais aucune prédestination à faire cela, mais j'ai donc été objecteur de conscience au Zola pendant 20 mois. C'était vraiment bien parce que c'était en prolongement de mes études, dans quelque chose que j'adorais, le cinéma. Arrivé au Zola, j'ai eu envie de faire avancer la salle, de développer de nouvelles choses qui n'existaient pas et d'apprendre le métier. Après mon objection, on m'a rappelé pour que je m'occupe de la programmation du festival parce que la personne en charge s'en allait, et voilà, cela fait 16 ans que je suis au Zola!

Vous ne vous lassez pas?

Ce que j'aime, c'est découvrir les choses et les partager avec le public. Mais ce qui est usant par contre, c'est la transformation du paysage culturel. Il y a une véritable dichotomie entre l'événementiel et le culturel. L'événementiel, ce sont des manifestations qui par leurs moyens s'imposent au public: le Festival Lumière, les Nuits Sonores, des festivals qui ont les moyens d'être un événement. Et nous qui sommes là depuis des années, avec des moyens qui s'amenuisent toujours plus. Ce qui est lassant aussi, c'est que le cinéma Zola à Villeurbanne c'est presque "le village d'Astérix"! Dans le quartier République à 20h le soir, il n'y a que le Zola qui est ouvert, il n'y a que le Zola comme activité de quartier. Il n'y a vraiment pas de vie, c'est ce qui est difficile. Si on continue à vivre, c'est qu'on a une identité et une implantation dans la ville et avec les associations de Villeurbanne et de Lyon. Mais on a quand même de supers résultats, on a fait 80 000 entrées cette année, on a été classés il y a 3 ans la 8e salle mono-écran de France, hors Paris.

Mais vous avez aussi la force de proposer plusieurs festivals. Comment sont nés les Reflets du cinéma ibérique et latino-américain?

Le festival est né à Lyon, au Cinématographe, que dirigeait à l'époque l'ancien directeur du Zola, Alain Liatard. Il est issu de la volonté des communautés latino-américaines, et particulièrement chiliennes, de montrer le cinéma latino-américain, qui n'était absolument pas connu à l'époque. En voyant ça, la communauté espagnole s'est rajoutée, et voilà, les Reflets sont nés! Puis cette manifestation a suivi Alain Liatard, qui est devenu directeur du Zola autour des années 1984-1985, mais c'est resté pendant longtemps un festival de cinéma uniquement. Vers les années 2000, on s'est dit: pourquoi ne pas élargir le festival? La culture latino-américaine, ce n'est pas que le cinéma, c'était aussi la fête, les expositions, et on a ouvert les Reflets à tout cela. On est évidemment contraints car on a une salle de 240 places – on a essayé de le faire dans une autre salle de Villeurbanne mais cela ne correspondait pas – donc on est un peu victimes de notre succès. On aurait le potentiel pour faire 20 000 spectateurs, là on est bloqués à 13 000. On éclate donc notre programmation et nos expositions à d'autres salles, comme l'Espace Info à Villeurbanne. On fait aussi des séances documentaires dans trois bibliothèques de Lyon, à l'Institut Cervantes et à la Faculté Catholique. On essaie de trouver des petites idées, comme on n'a pas beaucoup d'espace. Par exemple, comme les bars de quartier ferment les uns après les autres, on ne peut plus faire de concerts dans ces bars, donc maintenant on programme des petites rencontres musicales de 15 à 20 minutes avant les séances. C'est la première année qu'on le fait, et on aura eu 8 groupes sur 15 soirées, allant de 1 à 12 musiciens, c'est pas mal! On fait également des délocalisations: au France à Saint Etienne, aux Alizés à Bron, à Gérard Philippe à Vénissieux et au Toboggan à Décines. Ces partenariats fonctionnent bien, parce que des gens viennent de toute la région et même de toute la France. On a une spécificité, qui est que sur 35 films que l'on passe pendant le festival, environ 23-24 sont vraiment en première vision; soit en avant-première, soit inédits.

Comment choisissez-vous votre programmation?

Ce qu'il faut savoir, c'est que le Zola est géré par l'association Pour le cinéma, qui compte 70 membres environ. Pour les Reflets, on monte une équipe de programmation qui se répartit les zones géographiques de production. Ces personnes se renseignent à partir du mois de septembre, et des émissaires sont envoyés dans les festivals pour revenir avec des titres. On a des contacts dans les pays, qui nous donnent des retours sur les films qui sont sortis. Après ce premier travail de défrichage, et après notre autre festival du Film Court en décembre, on se jette à corps perdu dans la programmation des Reflets, que l'on a environ un mois pour faire! On a vraiment très très peu de temps. Je suis assez fier de ce que l'on fait, parce qu'avec pas vraiment de moyens on arrive à proposer des choses vraiment intéressantes. Après il y a des "couacs" en terme de qualité de production forcément, parce qu'on se veut être le reflet des productions latino-américaines. Quand on a la possibilité de passer un film bolivien ou vénézuelien - il y en a tellement peu! - ils ne sont pas forcément d'une qualité exceptionnelle, mais il faut garder en tête que ce sont des films rares, et c'est notre rôle de sensibiliser le public à cela.

Et c'est à partir de cette programmation que vous choisissez les thématiques principales du festival?

Tout à fait. Il y a deux manières de choisir les thématiques. Quand il y a surabondance d'un certain thème dans les films produits, évidemment on le met en valeur. Et puis il y a d'autres thématiques qui émergent au fur et à mesure des résultats sur les recherches de films. Cela a été le cas cette année pour Ellas et pour Regards d'enfants. On s'est rendu compte que c'étaient des thèmes qui revenaient énormément. Ce n'est pas un hasard si aujourd'hui les réalisateurs veulent montrer le monde par les yeux des enfants ou revenir sur la condition des femmes en Amérique Latine. C'est qu'il y a une vraie préoccupation sur où on va, sur ce qu'on fait du monde. A mon sens, cela dénote une volonté d'interpeller les spectateurs. On est dans une année importante, électorale en France, aux Etats-Unis, mais aussi ailleurs, c'est vraiment une préoccupation qui transpire des films.

Vous avez aussi un journal des Reflets...

Oui, Salsa Picante, qui existe depuis très longtemps, depuis le début des années 1990. Il nous donne l'occasion d'en dire un petit peu plus sur les films, sur les réalisateurs, et des fois même sur la situation géopolitique des films. On aime bien publier des articles éclairant sur la situation, par exemple assortir la Guerre civile en Colombie au film Les petites voix de Jairo Eduardo Carrillo. C'est vraiment important d'apporter ce plus là aux spectateurs. C'est un lien entre l'association Pour le cinéma, le Zola et les spectateurs, car on ne veut pas être un simple lieu de consommation du film. On a toujours dit que ce qui ferait la différence avec le Zola c'est l'humain, le lien social et l'échange. On aime donner un petit accompagnement au film, c'est ce qui fait que notre travail est différent de celui des multiplexes. On insiste vraiment sur le fait que derrière un film, il y a un réalisateur qui veut faire passer un message. L'intérêt est de savoir si les gens ont reçu ce message, comment ils l'ont reçu, pourquoi, et de pouvoir en parler.

Beaucoup de réalisateurs ont pu être présents cette année?

C'est comme chaque année je dirais, il y en a quelques-uns qui sont venus et d'autres qui devaient venir et qui se sont désistés au dernier moment, parce que malheureusement le printemps est aussi une période propice aux tournages. Par exemple, pour Malveillance, on voulait faire venir Balagueró, mais finalement cela n'a pas été possible. Il y a aussi la question de pouvoir économique, faire venir seul un réalisateur du Pérou ou d'Argentine, c'est beaucoup trop cher. On se met donc en collaboration avec d'autres festivals pour faire venir un invité. Cela nous oblige à travailler ensemble, mais c'est bien car cela pousse à se donner mutuellement des coups de main, à monter des partenariats et à court-circuiter les problèmes que peut nous poser l'économie.

N'avez-vous pas de plus en plus de concurrence dans la programmation de films latino-américains en France?

Les films latino-américains sont de plus en plus distribués, mais ils sont dispersés, donc on a encore l'exclusivité sur ce qu'on propose. Par exemple on a programmé Flamenco, flamenco parce que ça nous semblait être une évidence. Mais ce que j'ai appris après avoir dû refuser du monde pour la séance du week-end dernier, c'est que le film n'est même pas sorti à Lyon! Un film de Carlos Saura, on parle quand même de l'un des plus grands réalisateurs espagnols! On sait qu'on a encore un rôle, une place à tenir, car ces films sont tellement noyés dans la masse de tous les autres films qui sortent qu'on ne sera jamais pénalisés. Et après, il y a d'autres films qui ne trouvent même pas de distributeurs en France. C'est le cas de Pájaros de papel d'Emilio Aragón, qu'on a passé pendant le festival. Les gens sortaient de la salle les larmes aux yeux en disant que le film était magnifique!

Pour la prochaine édition des Reflets, avez-vous déjà des projets?

Non, pas encore. Des éléments à améliorer oui, d'une année sur l'autre on essaie toujours de développer des choses, mais en terme de programmation rien, parce que c'est tellement mouvant... C'est très spontané les Reflets! D'ailleurs il faudra qu'on trouve un nouveau nom, parce que les Reflets du cinéma Ibérique et Latino Américain c'est beaucoup trop long (rires)! Par contre, on est obligés de faire évoluer le festival dans le temps, car c'est un véritable héritage: quand ce festival est né j'avais 12 ans! On utilise aujourd'hui les nouveaux outils, comme Facebook, et on essaie aussi d'améliorer le site internet. Bref, il y a toujours de nouvelles choses à faire!


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