Interviews

En Espagne, Gibraltar est un sujet tabou. 
Entretien avec Raúl Santos, jeune réalisateur andalou, qui présentait son documentaire La Roca au 8ème Festival du Cinéma Européen de Séville. Le film a finalement remporté le prix du Meilleur documentaire européen. Le documentaire raconte par l'intime l'histoire de Gibraltar, possession anglaise toujours revendiquée par l'Espagne.
Raúl Santos - La Roca
À la fin de votre documentaire, vous dédiez le film à votre père. Puis-je savoir pourquoi?

Je suis né dans la région qui se trouve aux alentours de Gibraltar, à Algésiras plus précisément. J'ai des amis espagnols de toutes les villes proches comme Tarifa, La Linea ou Castellar de la Frontera. En revanche, je n'ai jamais rencontré de jeunes de Gibraltar, nous ne nous mélangions pas, les jeunes de Gibraltar ne voulaient pas nous voir et nous non plus. Il y a un très fort clivage entre les deux communautés du fait que les Espagnols revendiquent Gibraltar depuis des années et que le gouvernement anglais refuse toujours de le céder. Les Espagnols ont un très fort ressentiment à ce sujet et il est tabou d'en parler. Cela a d'ailleurs été un problème pour réussir à faire ce film. J'ai dédié ce film à mon père car il m'a toujours dit qu'il ne fallait pas s'arrêter à ce genre de considérations et s'ouvrir aux autres, partager et s'enrichir les uns des autres.

Justement, comment avez-vous fait pour financer votre film? Cela a-t-il été difficile?

Très difficile. Quand j'ai commencé à parler de ce projet et à demander des financements aux gouvernements et aux autres financeurs espagnols, j'ai été traité comme un traître! Les étrangers ne se rendent pas compte à quel point ce sujet est sensible en Espagne et comment la haine des uns et des autres a détruit toute possibilité de discussion sur ce sujet. Le documentaire a donc entièrement été autoproduit par ma société de production 700G. Il a été très difficile de trouver les fonds mais nous avons fini par y arriver et je suis très content de pouvoir le présenter ici à Séville, car le festival agit comme un tremplin pour le documentaire. C'est notre seul moyen pour faire parler de ce film et espérer pouvoir le distribuer partout dans le monde. Car ce qui est intéressant à propos de ce film, c'est que, même si ici en Espagne il est très dur d'en parler, beaucoup de personnes dans le monde sont intéressées par cette histoire et ont envie de voir le film et d'en savoir un peu plus sur Gibraltar.

En regardant votre documentaire, j'ai eu l'impression qu'il y avait eu un très gros travail d'écriture avant de passer à la réalisation. Est-ce le cas?

Oui et non. En effet j'ai beaucoup travaillé avant de tourner, notamment sur les archives et les documents que l'on peut voir dans le film. Mais c'est ça la magie du documentaire: vous commencez votre projet avec une idée bien précise en tête, et plus vous avancez, plus vous rencontrez de personnes et plus votre idée sur le sujet s'affine pour donner naissance à quelque chose auquel vous n'aviez pas pensé à l'origine. C'est ce qui m'est arrivé lors du tournage lorsque j'ai rencontré tous les protagonistes. J'en suis venu à cette idée de réaliser le film comme une histoire d'amour tragique et d'autodestruction dans le style de Roméo et Juliette. Je n'avais pas entrevu cette facette de l'histoire entre Gibraltar et les villages alentours, avec les habitants du Rocher et les Espagnols qui viennent y travailler.

C'est donc avec votre propre société de production que vous avez produit ce film. Pourquoi avoir créé votre propre structure? Et quels sont vos futurs projets après La Roca?

Je viens de la publicité. J'ai travaillé pendant plusieurs années pour plusieurs grandes agences à Paris, New York, Londres, Berlin, Madrid. Je n'aimais pas ce que je faisais, je n'étais pas bien dans ce milieu qui ne me correspondait pas. J'ai toujours voulu faire du cinéma, ça a été toujours été ma passion. À un moment donné, je n'ai pas pu en faire plus, et avec un groupe d'amis d'enfance qui ont la même passion que moi (notamment Alexis Morante qui présentait lui aussi son court-métrage Matador on the road) nous nous sommes lancés et avons créé 700G. Nous avons pu faire nos projets personnels comme La Roca. Actuellement je n'ai pas encore de nouveau projet, l'aventure avec La Roca est loin d'être terminée. Je dois maintenant réussir à le distribuer dans le monde entier. Je passe beaucoup de temps dans des réunions et des entrevues avec des distributeurs et autres pour essayer de donner à La Roca une vie à l'étranger, en espérant pouvoir intéresser les spectateurs à cette histoire.