Interviews
Javier Rebollo - Lola Mayo - La Mujer sin piano
Je crois que cette femme, croisée dans la nuit, contient en elle un film.
Javier Rebollo est un réalisateur espagnol qui aime les expérimentations, le court-métrage et surtout le plaisir de filmer. Depuis plus de quinze ans, il collabore avec Lola Mayo, avec qui il a écrit tous ses films et monté la société de production “Lolita Films”. Après un premier long-métrage intitulé Lo que sé de Lola, il présentait cette année au festival du cinéma espagnol de Nantes La mujer sin piano, un film nocturne et madrilène sur une femme qui décide de fuir son appartement alors que son mari dort. Le réalisateur et sa scénariste reviennent sur leurs méthodes pour nous éclairer sur une certaine façon d'écrire les films.
Daniel Touati/Cinespagne.com : La mujer sin piano est un film qui laisse beaucoup de liberté au moment du tournage. De quelle manière avez-vous écrit ensemble le scénario ?
Lola Mayo : Javier vient de l'audiovisuel alors que moi je me suis construite par la littérature, le journalisme et la poésie. Je pense donc plus en mots quand Javier pense en images. Nous travaillons en cercles concentriques et par accumulation, c'est à dire que nous commençons avec une image que nous développons...
Lola Mayo : Javier vient de l'audiovisuel alors que moi je me suis construite par la littérature, le journalisme et la poésie. Je pense donc plus en mots quand Javier pense en images. Nous travaillons en cercles concentriques et par accumulation, c'est à dire que nous commençons avec une image que nous développons...
Javier Rebollo : Je lui dis : j'ai vu une femme dans la rue. Je crois que cette femme, croisée dans la nuit, marchant seule avec ses valises, contient en elle un film. Le directeur artistique nous envoie alors des photos : une femme dans un lit au dessus duquel est accroché un tableau, une femme dans une boutique de perruques, un homme qui regarde la télévision... Ces images nous amènent à l'écriture, de telle sorte qu'écrire revient à remplir des vides. Il n'y a ni début, ni fin. Il n'y a pas encore une idée principale à développer. Ensuite, les idées apparaissent peu à peu. C'est une méthode un peu infantile, comme un jeu.
Vous voulez dire qu'il n'y a pas encore une idée précise du personnage dans le scénario ?
Javier Rebollo : Le scénario final est court, les dialogues n'y sont pas très développés. Nous voulons laisser la "réalité" et les hasards de tournage nous apporter des choses. L'important, ce sont des personnages et une ambiance. Nous avons un personnage, une femme à l'âge de la ménopause, qui s'enfuit de chez elle, et nous avons une ambiance, Madrid la nuit. À partir de cela, un bon début et une bonne fin, il ne s'agit plus que de combler les vides. Le début est clair, une femme qui part, et la fin est tout aussi claire, une femme qui revient.
Lola Mayo : Nous l'expliquons de manière simple mais cela demande beaucoup de travail. Voilà pourquoi je disais que nous travaillons en cercles concentriques. Ainsi, après avoir accumulé autant de notes, nous aboutissons à un document d'environ 300 pages...
Avant de commencer le tournage ?
Lola Mayo : Bien avant! Avant même de savoir si nous allons en faire un film. Nous passons de nombreux mois, voire une année à écrire un scénario. Petit à petit, ces 300 pages se réduisent jusqu'à aboutir à un scénario normal de 80 pages environ. Mais au début, nous accumulons, nous nous permettons tout avant d'éliminer certains aspects...
Javier Rebollo : ...et nous faisons tout faire au personnage. Récemment, les carnets de travail de Dostoïevski ont été publiés en France. Il s'agit des notes qui sont à l'origine de son roman Les Possédés. Ces cahiers sont beaucoup plus gros que le livre. Il permettent de voir comment travaillait Dostoïevski. Si le personnage doit se marier, l’écrivain le fait successivement se marier avec une princesse, un pauvre, un psychopathe... Il ne se limite pas à une hypothèse, il les accomplit toutes. Nous travaillons de manière très semblable. Nous plaçons Rosa, le personnage principal, dans un nombre de situations incroyables. Au final, peu d'entre elles arrivent à passer l'épreuve du temps. C'est étrange parce qu'un scénario ne représente plus rien au final, alors qu'au début, c'est un grand iceberg, comme le disait Hemingway, dont la majeure partie reste cachée.
Comment travaille-t-on au jour le jour avec une équipe de tournage sans avoir un scénario très précis ?
Javier Rebollo : Le scénario est précis car les lieux sont très définis. Les bars, les rues, sont les thèmes du film. Un film peut parler d'un espace, de murs, et c'est déjà un scénario. Un personnage qui marche dans la rue, voilà le sujet (…). Je travaille beaucoup en visitant les lieux avec l'équipe, en allant dans les bars où nous allons tourner. On s'assoit, on prend un verre. Une des raisons pour lesquelles nous faisons du cinéma avec Lola, c'est pour rester proches de notre équipe. Pour moi, faire un film est une forme de bonheur, de connaissance, pas une profession. Je le vois comme de l'amateurisme, qui pour moi est synonyme de complicité. L'amateurisme est un mot mal vu en français mais que j'adore. Nous travaillons donc d'une manière très peu professionnelle.
Lola Mayo : Depuis notre premier court-métrage en 1995, nous travaillons exactement avec la même équipe. Le même directeur photo, le même monteur, le même décorateur... Il n'existe pas entre nous ces hiérarchies qui définissent habituellement les tournages. Un ami me disait récemment qu'aux Etats-Unis il ne lui était pas permis de toucher les câbles ou de parler avec les figurants car c'est le rôle du second assistant. Il y a mille assurances qui te protègent. Pourtant, si tu ne touches pas ce qui t'entoure, alors c'est comme si ça n'existait pas...
Javier Rebollo : ... et faire du cinéma signifie quelque chose de matériel. Il faut toucher les objets, toucher le corps des acteurs. Le matin, il faut faire la bise aux membres de l'équipe. C'est une famille au meilleur sens du terme. (…) Le tournage doit être une métaphore du film. Comme le disait Rivette, chaque tournage est un documentaire sur le film en train de se faire. Je ne dis jamais « Action », ce serait ridicule. Je ne dis pas toujours « Coupez ». Je me retiens pendant le plan pour voir ce que va faire l'acteur. Parfois, si tu ne coupes pas, l'acteur est mal à l'aise et il te donne quelque chose. Parfois, nous tournons même sans clap pour que le comédien soit pris par surprise et ne sache pas exactement quand commence le plan, pour qu'il ne se sente pas prisonnier. Le clap gêne beaucoup les acteurs même s'ils ne le savent pas. Il y a une habitude rigide dans « Moteur », « Ça tourne », « Clap », « Action » qui les rend nerveux. La liberté de l'acteur se situe souvent dans ce moment indéfini qui précède le « Action ».
Avec un tournage comme celui-ci qui tente de maintenir une grande liberté, le scénario continue-t-il d'évoluer fortement au cours du montage ?
Javier : Oui, c'est une idée fondamentale. On tourne contre le scénario et on monte contre ce qui a été tourné. J'ai appris cela de Truffaut. Le montage est l'ultime réécriture du scénario. De fait, beaucoup de grands films se sont faits au montage. On dit parfois que les films qui ont le meilleur montage sont ceux dont le montage est le plus spectaculaire, mais c'est un mensonge. On ne peut jamais savoir quel est le film le mieux monté parce qu'il faudrait voir tous les rushes qui ont été mis à la poubelle et de quelle manière ils ont été montés.
Tu n'aimerais pas réaliser un film pour lequel tu alternerais des moments de tournage et des moments de montage ?
Javier Rebollo : C'est intéressant que tu me dises cela parce que, il y a quelques années, j'étais obsédé par le fait de terminer les films et de les laisser reposer. Je voulais me laver les yeux avant de monter. Dans ce film, nous avons fait l'inverse. Nous devions le terminer rapidement pour pouvoir l'emmener au festival de San Sebastián. Alors, d'une manière délirante, je tournais de nuit jusqu'à 6 heures du matin, j'allais ensuite prendre un verre au lever du soleil. À 8 heures, j'allais en salle de montage jusqu'à 14 heures, je dormais 2 ou 3 heures, puis je partais de nouveau sur le tournage. J'ai ainsi découvert que lorsque je tourne et monte en même temps, je sens les personnages grandir avec moi et c'est très bon. Cette méthode est utilisée à Hollywood, c'est aussi comme cela que fonctionnait François Truffaut. Je me dis parfois que c'est étrange car il faut avoir réalisé le film pour savoir quel film on voulait faire. Quand je commence un film, je ne sais pas précisément de quel film il s'agit et, si je le savais, je m'ennuierais. Quand tu es sur le point de le savoir, le tournage se termine, le film est monté et tu l'abandonnes. C'est seulement beaucoup plus tard que tu sais de quoi parle le film.
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