Films
El autor
Le roman a eu un succès grandissant : depuis 1986, il a été réédité plusieurs fois, pourvu d'une introduction et d'un épilogue, mais Martín Cuenca (Amours cannibales) le transforme encore : pour en faire un portrait ironique, inquiétant, manipulateur pourtant, de son héros et narrateur.
Dans une introduction à une édition, Javier Cercas relate les circonstances de la création du roman, et les intentions qui l'animaient : écrire consiste à créer un jeu dans lequel on risque tout. Les thèmes centraux de son livre sont tant la vocation littéraire que la responsabilité de l'écrivain, les limites de son éthique, les subtiles relations entre la vérité, le réel et le fictif. L'apprenti-écrivain du roman comme celui, réel, de El móvil, se servent de la réalité et la façonnent à leur guise, influençant les personnages, les manipulant pour faire de leurs péripéties la trame de l'histoire.
Le réalisateur en a fait de même, risquant le tout pour le tout, mettant en scène l'ambition d' Alvaro, désireux de faire «de la littérature» et non un roman de gare, à l'aide des voisins de l'appartement qu'il loue à cette fin à Séville durant l'été 2017.
En effet, Alvaro rêve depuis longtemps d'écrire un roman et depuis trois ans suit assidûment les cours d'un atelier d'écriture (le professeur est incarné par Antonio de la Torre). Mais c'est sa femme Amanda qui tire le gros lot, avec un best-seller consacrant son premier roman. Alvaro ne supporte pas cela, ni l'infidélité de sa femme. Petit employé chez un notaire, il doit subir les incessants bavardages de son collègue ; son univers est étriqué et gris, sa vie pathétique. Mais grâce à de supposées vacances que lui impose son patron, il va donner à son ambition une chance de s'épanouir.
Les injonctions de son professeur d'écriture «Vis, regarde, écoute ton entourage !», et celles d'Amanda le conduisent à faire de ses voisins ses protagonistes, et comme leur vie s'englue dans un quotidien banal, Alvaro n'hésite pas à manipuler leur destin, pervers et fourbe malgré son air angélique.
Il se servira tour à tour des insatisfactions de la concierge, de la méfiance et des déboires professionnels de ses voisins pour alimenter l'intrigue de son roman, sans scrupule, dans une parfaite immoralité et impunité, croit-il.
Mais il sera pris à son propre piège...
Là s'arrête le roman de Javier Cercas, qui se centrait sur le jeune auteur ; le scénario de Martín Cuenca est plus ancré dans le siècle, avec les portraits des voisins : du désir inavoué de laisser une trace, qui remplit les ateliers d'écriture, de la punition vouée à l'insatisfaction sexuelle, de la méfiance raciste et misanthrope, de la naïveté supposée. Il pousse le scénario vers la manipulation comme trait de caractère inhérent à l'écrivain.
Entre ironie et perversité, entre cruauté et naïveté, le film brille grâce non seulement au sujet et à son traitement, avec ses péripéties imprévisibles, mais aussi grâce au jeu des acteurs : excellent Javier Gutiérrez, qui tel une page blanche, ne laisse rien transparaitre et boit tout, entier, parfaite Adelfa Calvo en concierge curieuse, naïve, et insatisfaite, étonnant Antonio de la Torre en professeur d'atelier d'écriture méprisant puis opportuniste...
Dépassant le huis-clos du roman, le huis-clos de la cage d'escalier, le metteur en scène nous livre un portrait ironique de notre réalité dérisoire.
Un film qui a été nominé aux Goya, qui a valu à Javier Gutiérrez un Goya pour son interprétation, un film qui dénote et surpasse beaucoup de réalisations espagnoles actuelles, et dont le propos pose des questions non seulement littéraires mais actuelles : qui manipule qui ? Une comédie, vraiment ? On rit, on réfléchit, on s'inquiète et on s'indigne... Courez vite voir El autor !
Film vu à l'occasion du Festival du cinéma espagnol de Nantes, Mars 2018.
Compétition Officielle pour les Prix du Jury Jules Verne, Prix du Jury Jeune et Prix du Public.
Françoise-Claire Buffé-Moreno
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