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La dernière frontière
Un documentaire sélectionné en compétition pour le prix parrainé par le Colegio de España (Paris). Les membres du jury étaient également dans la salle : José Luis Sanchez Noriega (professeur d'histoire du cinéma), Fabienne Aguado (directrice de projets culturels à la Casa Velazquez), Beatriz del Pozo (flamencologue et auteure de l'ouvrage La Chana : bailaora), Aizpea Goenaga (réalisatrice), El Irra (Auteur de la BD Aller au ciel pour voir) et Justo Zambrana (directeur du Colegio de España). Tous les festivaliers de cette projection ne pouvaient qu' être attentifs à ce film au titre qu'on suppose déjà évocateur.
Un noir et blanc, une région, des hommes et une sculpture. Rodin et les siens, les déplacés. Ceux que l'on étiquette. Les victimes des décisions gouvernementales irresponsables envers les êtres humains. Ceux que nous ne connaissons pas ; ceux, pourtant, qui sont devenus au fil des décennies, l'excuse de tous les faux discours et les causes des plus humanistes. Ceux qui vivent dans la jungle, les entrants, les passants et les restants. On voit tout cela dans le film de Armesto.
L'histoire de ce réalisateur avec Nantes est longue et intense. Lors de la présentation il n'a pas hésité à nous livrer tout ce que cette ville avait changé pour lui. Elle fait partie du documentaire, cité historique qui est devenue avec le temps et le mémorial de l'abolition de l'esclavage un miroir pour l'histoire des hommes, de leurs déplacements, des ignominies subies, des victoires au prix de la vie. Los burgueses de Calais : la última frontera est en quelque sorte un autre mémorial de la jungle de Calais.
Jesús Armesto opte pour un noir et blanc à la puissance expressive indéniable. Il sublime les hommes et les femmes concernés, il sublime la sculpture d' Auguste Rodin qui donne son titre au film, il sublime les intervenants divers comme une jeune femme espagnole enseignante de français et d'anglais pour les hommes, femmes et enfants du camp, une psychologue nantaise, un enseignant universitaire belge, le juge Baltazar Garzón, une eurodéputée, une photographe de terrain et un homme du camp ayant dû se déplacer dans plus de cinq pays et obligé de se déplacer à nouveau. Personne ne se tait, tous parlent et dénoncent à leur façon. Les images, porteuses d'une remarquable poésie, sont comme des phrases au bord d'une rivière de témoignages qui, nous le souhaitons vivement, parviendront à se faire entendre et tous seront enfin considérés en tant qu'hommes, femmes et enfants dignes d'être attendus dans le respect des droits universels.
S'il ne fallait retenir qu'une phrase et qu'une image du documentaire, nous citerions "Le monde sera métissé ou ne sera pas" puis une femme lectrice de poèmes circonstanciés, assise au bord du lit d'une chambre louée, fenêtre ouverte d'où le coucher de soleil illumine le profil de la poétesse.
La brutalité est la grande réalité filmée en noir et blanc, des hommes, des femmes, des enfants, des photos et la nature en plans serrés, fixes. Les mots lus par la poétesse, ceux qui disent les maux, sont filmés en couleur. Quelques surimpressions pour passer de la poésie à la jungle. Et beaucoup de dignité pour filmer là où le combat d'hommes, femmes et enfants relève d'un courage incommensurable. La jungle est le lieu où on les a laissés tomber.
Jesús Armesto a réalisé un chef d'œuvre qui utilise le langage cinématographique avec élégance pour rendre digne l'humain que les puissants tentent d'effacer. Quelques-uns essaient, envers et contre tout, de se joindre à eux parce qu'ensemble nous sommes tous plus vivants. Parce que cette femme filmée chez elle par Armesto est un exemple à suivre dans le respect de l'autre. Elle leur lave et repasse les vêtements en se souvenant de sa grand-mère qui luttait à sa manière contre les crimes contre l'humanité de ce genre. Sa présence est sage et écrase n'importe qui oserait recourir à des arguments politiques. Cette femme transmet et nous l'écoutons. Elle représente la force de la sculpture de Rodin et l'application de la légende des bourgeois de Calais, ceux qui étaient prêts au sacrifice pour que tous les autres vivent, avec la nuance que cette femme représente le peuple et non la bourgeoisie.
Combien de temps reste-t 'il pour que les générations issues des jungles françaises, européennes et d'autres lieux se tiennent debout et avancent à l'unisson vers ceux qui les auront laissés tomber comme de vulgaires torchons sur la terre inondée ?
Marie-Ange Sanchez
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