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En effet, cet exercice de style extrêmement réussi ne s'embarrasse pas des raisons qui incitent les personnages à agir d'une façon ou d'une autre, ni d'inventer un passé à ses protagonistes. Il s'agit là plutôt d'un concentré d'éléments du film noir, genre ambigu et insaisissable s'il en est. Les incontournables sont là : la femme fatale par qui le malheur arrive, le héros qui se sacrifie, le flic corrompu, l'univers de la nuit, la poursuite en voitures, et tout y est parfaitement rythmé. La bande-son au service de l'action « intervient ponctuellement et à des moments précis » sans pour autant prendre le pas sur les scènes qu'elle accompagne.
Pour son premier court-métrage, Manuel Fernández Arango a fait le choix volontaire de s'en tenir au point de non-retour, à ce moment très bref et très précis où tout bascule. Le spectateur ne doit pas s'attendre à ce qu'on lui raconte une histoire, c'est à lui-même de le faire ! Chacun peut imaginer le parcours qui a entraîné inexorablement ces trois personnages vers le choc final auquel on assiste, la collision entre trois destins dont aucun protagoniste ne sortira indemne.
Interrogé sur sa direction d'acteurs, Manuel Fernández Arango a avoué son exigence quant à l'implication des acteurs dans la construction des personnages. Après « un casting très sélectif », le réalisateur et ses acteurs ont « appris à vraiment se connaître » en faisant de nombreux essais. Les personnages s'en sont trouvés étoffés et « finalement, ce qui a fonctionné, c'est que les personnages ont été créés par les acteurs et que [le réalisateur] a supervisé ce processus ». Le paramètre indispensable à cette façon de travailler, c'est la confiance, et Manuel Fernández Arango semble l'avoir largement gagnée : il travaille actuellement sur un long-métrage en collaboration avec Pau Cólera, l'un des acteurs principaux d'Alicia.
Tourné en huit jours pendant l'été 2012 entre Madrid, les Asturies et Getafe, ce court-métrage s'inscrit dans la plus pure tradition du film noir, non seulement par ses personnages mais aussi par le choix des décors, intérieurs comme extérieurs, entièrement naturels. Une boîte de nuit, des docks, un paysage urbain froid et sombre à souhait servent l'esthétique noire et confèrent à ce premier opus une saveur bien particulière.
Saupoudré de clins d'œil, le film s'enrichit des références diverses du réalisateur, qui apparaissent au gré de l'attention du spectateur. Cela va de la plus évidente, Alice au pays des merveilles, dans le titre et le nom de la boîte de nuit (Maravillas), au slogan touristique des Asturies (Asturias, Paraíso Natural) en passant par l'influence des techniques du western dans le cadrage grand angle pour les scènes de poursuites en voiture et de duel. Le réalisateur aux goûts très éclectiques s'est imprégné des œuvres de nombreux « grands maîtres », de François Truffaut à Lars Von Triers ou Ridley Scott, qu'il qualifie de « piliers » pour la construction de son esthétique. Manuel Fernández Arango, originaire de la région des Asturies, a étudié à l'ECAM (Escuela de Cine y Audiovisual de Madrid) où il s'est spécialisé dans la production. Tout en menant en parallèle ses projets personnels, il travaille actuellement pour une société de production grâce à laquelle il a eu « la chance de collaborer avec Ridley Scott », présent récemment en Espagne pour le tournage de son nouveau film Exodus.
Niant tout propos politique, le réalisateur n'a pas pu, cependant, s'empêcher de sourire lors de l'interprétation de la première scène de son film comme d'une métaphore de la situation économique actuelle de l'Espagne et ses conséquences sur le cinéma espagnol. En effet, dans un dialogue où la menace est à peine voilée, l'un des trois protagonistes se plaint auprès d'un petit malfrat d'avoir « hérité d'une affaire qui ne rapporte pas un sou » et en blâme l'ancien gestionnaire, que l'on découvre agonisant sur un crucifix dans une chapelle désaffectée. Manuel Fernández Arango nie donc toute visée politique mais admet que « la crise a touché de plein fouet le secteur du cinéma, que cette blessure malheureusement intégrée ressort forcément » et que « le pays ne valorise plus du tout sa création cinématographique. »
Enfin, très enthousiasmé par le Film Noir Festival, Manuel Fernández Arango a fait part de ses premières impressions en tant que réalisateur sélectionné assistant à la naissance de ce festival : « Les festivals thématiques sont déjà très intéressants parce qu'ils permettent à des auteurs qui travaillent le même genre de se rencontrer, d'échanger, de s'enrichir mutuellement. S'agissant du Film Noir, c'est encore plus précieux car c'est un genre assez rare actuellement dans le court-métrage. J'espère donc qu'il y aura de nombreuses autres éditions du Film Noir Festival car l'accueil a été réellement très chaleureux et ce projet mérite vraiment de prendre de l'importance pour qu'il y ait au moins un festival européen de grande renommée sur ce genre ! »