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En Espagne, on ne présente plus Diego Galán : critique de cinéma, directeur du Festival de San Sebastián pendant 10 ans, il collabore depuis les années 80 au quotidien El País. On lui doit également de nombreux ouvrages sur le cinéma espagnol dont Fernando Fernán Gómez, ese señor tan pelirrojo (1984), Pilar Miró, nadie me enseñó a vivir (2006) ou Un joven llamado Saura (2009). En parallèle de ses activités littéraires, il a aussi réalisé des documentaires pour TVE.
Avec Con la pata quebrada, Diego Galán poursuit son travail d’historien du cinéma, s’intéressant cette fois à la représentation de la femme dans les films espagnols des années 30 à nos jours. De La Dolorosa (Jean Grémillon, 1934) à La vida empieza hoy (Laura Maña, 2010), Galán a sélectionné et monté des dizaines d’extraits selon deux critères : la chronologie d’abord, la typologie des femmes ensuite. Con la pata quebrada retrace ainsi l’évolution de la condition féminine au sein de la société espagnole sur plus de 70 ans.Femme au foyer tu seras
Si dans les films de la IIe République les images de la femme étaient multiples, le cinéma du franquisme va se peupler de héros masculins et cantonner les personnages féminins à des rôles stéréotypés. Les titres des films sont à ce propos révélateurs. Malgré quelques héroïnes historiques au patriotisme exalté (Agustina de Aragón en 1950, Isabelle la Catholique dans Alba de América en 1951), la femme est avant tout bonne chrétienne, femme au foyer accomplie, épouse soumise (Los maridos no cenan en casa, 1956) et mère courage (Ama Rosa, 1960), suivant en cela le précepte de la section féminine de la Phalange, « Hay que ser femeninas, no feministas ». D’où l’adage qui donne son titre au documentaire, « Mujer casada y honrada, con pata quebrada y en casa ».
L’objectif ultime de toutes les jeunes filles doit donc être le mariage (El arte de casarse, 1966), certains films de l’époque laissant même entendre que certaines ne vont à l’université que dans le but de se trouver un mari. L’amour est évidemment romantique, le mari un prince charmant (El día de los enamorados, 1959), et tout 'happy end' passe par un mariage à l’église. Hors ce sacrement, point de salut : les célibataires sont systématiquement présentées comme des vieilles filles amères, souvent rondes et laides. Curieusement, les hommes sont en revanche souvent peu pressés de convoler ; l’occasion de croustillants dialogues misogynes sur les femmes, toutes bavardes, médisantes et têtues. Et dans la bouche d’un curé, forcément pécheresses et tentatrices…
Le manichéisme domine la production cinématographique du franquisme : à la femme « décente » ou la religieuse (La hermana alegría, 1955, Teresa de Jesús, 1962) s’oppose la femme libérée sexuellement (Sara Montiel), méchante du film, qui détruit des mariages mais meurt heureusement à la fin, punie par la justice divine. A l’étrangère, symbole de libertinage depuis toujours, s’oppose le prototype de la femme nationale des « espagnolades » (Lola la piconera, 1952, Carmen la de Ronda, 1959).
De la morale franquiste tu t’affranchiras
Les choses commencent à se gâter à partir des années 60 : avec l’arrivée massive des touristes, la morale officielle du régime est contrainte de s’adoucir. Minijupes et bikinis se multiplient à l’écran, pour le plus grand plaisir des Espagnols… sauf quand leurs femmes veulent adopter à leur tour la nouvelle mode (Objetivo: bi-ki-ni, 1968). La mort de Franco en 1975 sonnera le glas de près de 40 ans de censure, et le nu féminin envahira alors les écrans (Zorrita Martínez, 1975, Tres suecas para tres Rodríguez, 1975, La adúltera, 1976). Mais au-delà du « destape » général, le cinéma espagnol va se faire le témoin des lois votées pendant la Transition démocratique : divorce (Caray con el divorcio, 1982), contraception, avortement (Abortar en Londres, 1977), émancipation de la tutelle masculine (¿Qué he hecho yo para merecer esto?, 1984), jusqu’aux difficultés actuelles de concilier travail et vie de famille (Mataharis, 2007).
On ne peut que saluer l’énorme travail de visionnage et de montage que représente un tel projet, conduit avec la collaboration de la Filmoteca Española, l’Instituto de la mujer, RTVE, l’Archivo NO-DO, la Cinémathèque française et de réalisateurs tels que Basilio M. Patino. Le cinéphile hispaniste retrouvera avec plaisir bon nombre de classiques (Morena clara, 1936, Raza, 1941, Fuenteovejuna, 1947, Calle mayor, 1956, El último cuplé, 1957), le néophyte découvrira un cinéma souvent méconnu à l’international… si le film est distribué en France, car il s’adresse avant tout à un public espagnol. Un regret cependant, et de taille: comme le dit la voix off en conclusion, ce documentaire se veut une « simple esquisse des circonstances de la femme ». En effet, pas d’analyse sociologique approfondie ici, juste une compilation d’extraits de films commentée de façon légère et somme toute superficielle, contrairement à ce que laissait augurer le titre. On reste donc sur sa faim, avec l’impression d’avoir regardé un programme télé. Les spécialistes n’y trouveront pas leur compte, les autres passeront assurément un agréable moment!
Christelle Guignot
"Con la pata quebrada" : une expression propre à la langue espagnole ?
Il semblerait que cette expression vienne du Quichotte de Cervantes mais je n'ai pas pu le vérifier. La phrase entière est en réalité : « femme mariée et honnête avec la jambe cassée reste à la maison »...
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