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Un film duel
Ayer no termina nunca est un film duel qui fonctionne en opposition et en complémentarité. Certains y verront l'influence du Yin/Yang asiatique, culture chère à la réalisatrice, car sans jamais tomber dans le manichéisme ou le jugement de ses personnages, Isabel Coixet filme un face-à-face entre un homme et une femme obligés d'affronter leur passé commun. La dualité, fil conducteur du film, se retrouve non seulement dans les thèmes évoqués, la photo, les personnages bien sûr, mais aussi dans la construction du scénario.
La première partie du film où résonnent des échos de tragédie grecque amène peu à peu le spectateur à la révélation du drame passé. L'interprétation de Candela Peña et Javier Cámara, extraordinaires de justesse et de sincérité, exprime à la fois la distance et l'intimité révolue du couple. Des phrases qui restent en suspens, un dialogue tout en retenue, la douleur des personnages ne surgit qu'à travers quelques répliques assassines. Une rupture, la sortie de Javier Cámara du champ, semble indiquer que plus aucune communication n'est possible. On croirait presque que le film va s'arrêter sans que le propos n'ait vraiment avancé. Mais le retour de Javier Cámara à l'écran met fin à la censure que chacun semblait s'imposer. Dans cette seconde partie, plus de retenue, le couple exprime ce qu'il a au fond du cœur sans agressivité, va vers l'autre, les corps se touchent enfin. L'intimité et la complicité passées rejaillissent et le spectateur assiste à des retrouvailles interprétées avec une finesse et une sincérité magnifiques. Finalement reste entre cet homme et cette femme une grande tendresse pour l'autre et pour le couple qu'ils ont été. L'opposition s'est faite complémentarité, équilibre.
Ayer no termina nunca est aussi un film duel par le choix de la photo. Les teintes sont majoritairement gris-bleu, froides quand il s'agit du présent, et prennent des tonalités ocres dans les rares flashes-back. Ces derniers ont d'ailleurs plus une fonction sensitive que narrative. Ils sont des irruptions soudaines de la sensualité et de l'amour passés. Enfin, les non-dits, les pensées retenues de la première partie s'expriment en un superbe noir et blanc, comme des portraits animés de Candela Peña et Javier Cámara.
L'aspect duel de Ayer no termina nunca apparaît également dans la juxtaposition d'une tragédie personnelle et d'une tragédie nationale, celle de la crise économique dont sont victimes les personnages. Le décor est en ce sens révélateur. Le bâtiment qui abrite le couple est inachevé et participe de la grisaille ambiante. Il y a des gouttières et des gravats tout comme dans nombre de bâtiments en Espagne, commencés et laissés en plan, frappés de plein fouet par l'éclatement de la bulle immobilière. Allusion à ces projets faramineux qui n'ont jamais vu le jour mais qui ont, malgré tout, provoqué expulsions et destructions, le décor sert le film ainsi que l'interprétation. Face à ce désastre, deux voix incarnées par les personnages se dessinent: rester en dépit des difficultés ou faire le choix de l'exil.
Isabel Coixet filme sans jugement les différentes tentatives de ses personnages pour affronter la douleur, s'en extraire, panser –penser– ses plaies, refaire surface, renaître à la vie. La dernière scène, à première vue superflue, complète pourtant parfaitement le portrait de chacun et apporte l'équilibre entre les deux personnages. On assiste là à une nouvelle acceptation de l'autre, basée sur la connaissance du passé et sur un immense respect. Une fin d'une grande sensibilité et d'une grande pudeur qui ne peuvent laisser indifférent. Les personnages sont apaisés, les spectateurs bouleversés.
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