Portraits
Producteur engagé
Elias Querejeta est un monument du cinéma espagnol. Il a produit les plus grands réalisateurs, Carlos Saura et Victor Erice notamment, jusqu'au très prometteur Fernando León de Aranoa. Cette personne évoque la figure d'un producteur engagé, passionné de cinéma, qui accompagne le réalisateur dans son processus de création.
Elías Querejeta, ce basque de Hernani, né en 1935, est tout d'abord joueur de football au Real Sociedad de San Sebastián, l'un des clubs prestigieux de la péninsule. Mais très vite, il va s'orienter vers ce qu'il aime avant tout, le cinéma : il va écrire et diriger en 1960 et en 1961, en compagnie de son ami, autre basque, Antxón Eceiza, deux courts-métrages, A través de San Sebastián et A través del fútbol.
Ces premières expériences vont lui apprendre principalement deux choses. D'une part, pour exprimer ses particuliers points de vue, il doit être son producteur. D'autre part, un film n'est pas le résultat du génie d'un metteur en scène, mais le fruit de savoir-faire additionnés, le produit d'une équipe. Dès lors, après être intervenu marginalement dans la production de Noche de verano de Jorge Grau, Elías Querejeta va créer sa propre maison, où vont prendre place de manière permanente le chef de production Primitivo Álvaro, le monteur Pablo González del Amo, le directeur de la photographie Luis Cuadrado et le compositeur Luis de Pablo.
Dans ces années-là, le cinéma dominant, hormis les pionniers Juan Antonio Bardem et Luis García Berlanga, est sous la coupe d'une dictature qui se veut libérale pour l'extérieur afin d'attirer un tourisme européen qui allégera un déficit commercial, mais qui sur le plan intérieur exerce censure et répression. Carlos Saura présente à des producteurs le scénario de La caza et ne reçoit que des refus. Sa rencontre avec Querejeta va être capitale pour le cinéma espagnol. Ce dernier accepte le projet et son intuition va leur permettre de se jouer de la censure. Notre producteur va demander à Saura de rajouter à son script des éléments qui attireront le regard des censeurs, les obligeant à les supprimer et laissant dès lors de côté les éléments constitutifs, sous forme de métaphores, régime oblige, du film. Le succès international de La caza, qui grâce en grande partie à l'influence de Pier Paolo Pasolini, membre du jury, obtiendra l'Ours d'Argent de Berlin, empêchera une interdiction tardive de cette œuvre considérée par la suite comme subversive.
Une brèche s'était ouverte et ce duo va pendant quinze ans présenter plus de douze films, dont les célèbres El jardín de las delicias (1970), Ana y los lobos (1972), La prima Angélica (1973), Cría cuervos (1975), Elisa, vida mía (1977), Mamá cumple cien años (1979), Deprisa, deprisa (1980)... Placé à l'avant-garde du renouveau de ce cinéma, Elías Querejeta va produire et souvent co-écrire des "opera prima" de metteurs en scène qui vont marquer le 7e art espagnol, car intervenir ou co-rédiger un scénario est une chose qui lui tient fortement à cœur.
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Il n'oubliera pas son ami Antxón Eceiza, futur exilé politique, pour son second long métrage De cuerpo presente (1965). Mais surtout, après avoir produit Los desafíos en 1969, film dont Víctor Erice tourne l'un des trois sketches qui le composent, il va permettre à ce dernier de réaliser en 1973 ce qui est peut-être l'un des meilleurs films du cinéma ibérique, Concha de oro à San Sebastián, El espíritu de la colmena. Franco ne mourra que deux ans plus tard et c'est à nouveau par des métaphores que le metteur en scène va décrire une société qui vit en vase clos, la "colmena", la ruche, nom déjà utilisé par Camilo José Cela pour son roman sur le Madrid d'après-guerre ; la peur d'un enfant qui s'éveille à la vie, peur à travers le mythe de Frankenstein ; l'intrusion de l'histoire à partir d'un blessé, sûrement guerrillero, poursuivi par la Garde civile ; une réflexion sur le bien et le mal, sur les problématiques opposées des enfants et des adultes...
Cette même année, il produit le premier film de Manuel Gutiérrez Aragón, Habla mudita. Deux ans plus tard il fait de même pour le premier long métrage en 35 mm de Ricardo Franco, Pascual Duarte, d'après le fameux La familia de Pascual Duarte de Camilo José Cela, dont il co-écrira le scénario. En 1976, il permet à Jaime Chávarri de tourner un documentaire qui devait être à l'origine un court, El desencanto, sur la famille du poète franquiste décédé Leopoldo Panero, avant de produire mais aussi co-écrire Las palabras de Max d'Emilio Martínez Lázaro, qui obtiendra le Prix du Meilleur film à Berlin, film où sa fille Gracia sera comédienne avant de devenir metteur en scène avec El hombre y la industria en 1990.
Le dictateur mort et la démocratie s'installant peu à peu, un nouveau cinéma doit apparaître. Si marginalement le "cine de destape" (érotico-pornographique) connaît son heure de gloire, Elías Querejeta va permettre à des réalisateurs d'aborder des thèmes que la censure empêchait jusqu'alors comme l'homosexualité, la délinquance juvénile, la drogue, l'immigration... En fait un certain réalisme. Il accompagnera ainsi à nouveau Jaime Chávarri, Montxo Armendáriz, Víctor Erice, Manuel Gutiérrez Aragón... et produira une nouvelle "opera prima" en 1996 avec l'un des futurs grands cinéastes espagnols, Fernando León de Aranoa, qui tourne cette année-là Familia, avant qu'ils ne présentent ensemble Barrio et Los lunes al sol.
Enfin, et complémentairement à son idée du film comme résultat de compétences diverses, Elías Querejeta a permis à certains comédiens de sortir des rôles dans lesquels l'industrie cinématographique les avait confinés. José Luis López Vázquez, Ismael Merlo, Alfredo Mayo, Esperanza Roy, Rafaela Aparicio... ont pu ainsi montrer une gamme d'interprétation élargie.
On a souvent parlé du « cachet Querejeta », soulignant l'unité de sa production mais sous-entendant aussi une certaine intervention de sa part dans les réalisations. De nombreux témoignages infirment ce dire et il est vrai que présider à des projets, suivre leur développement, faire des suggestions va à l'encontre de l'image éculée du financier-producteur.
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