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Je préfère ressentir 
Gabriel Velázquez, réalisateur de Iceberg, est venu présenter son film aux Regards de Valence le 16 février 2013. L'occasion de lui demander des éclaircissements sur ses choix de mise en scène, et d'obtenir des réponses aux antipodes des interprétations que certains critiques ont faites de son troisième long-métrage. Ce qui amuse beaucoup ce réalisateur de Salamanque, qui privilégie le ressenti au rationnel...
Gabriel Velazquez
Iceberg est-il un film autobiographique ?

Disons que beaucoup d'éléments présents dans le film sont des souvenirs personnels de mon adolescence : la fille enceinte très jeune (c'est arrivé à l'une de mes amies d'alors), les « mauvais garçons », la mort du père... Quand mon père est mort, j'étais très jeune et je me suis senti très seul ; c'est cette angoisse et cette solitude que j'ai transposées dans le film. Quand j'étais petit, j'allais souvent au bord du Tormes ou à la campagne, où j'étais entouré d'animaux, de là peut-être leur présence dans le film. Les plongées sur la cour de récréation sont aussi un souvenir d'enfance : de mon lycée, en haut d'une colline, on avait une vue plongeante sur la cour d'une autre école. D'autres éléments sont une recréation à partir de mes souvenirs : par exemple, les uniformes des filles ne correspondent pas à la réalité, c'est moi qui ai voulu qu'ils soient roses. Le scénario est simple, certains éléments sont très intimes, d'autres plus anecdotiques. Il traduit bien ce qu'est l'adolescence. J'ai aussi été inspiré par le film d'Abbas Kiarostami, Où est la maison de mon ami ?

Tous les acteurs du film sont non professionnels, comment les as-tu trouvés ?

On a fait trois mois de recherche dans tous les établissements scolaires de Salamanque. On cherchait avant tout des visages. A la fin, c'est presque devenu une étude sociologique : dès qu'on rencontrait un jeune, on était capables de dire de quel lycée il venait, de quel quartier de Salamanque, simplement en le regardant et en l'écoutant parler.

Il y a beaucoup de non-dits dans le film, de faits non expliqués, de pudeur, tous les aspects dramatiques de l'histoire sont éludés.

En effet, car en tant que spectateur, je n'aime pas qu'on me raconte tout. Je préfère ressentir, me laisser porter par mes sensations et mes émotions, plutôt que de me faire imposer des choses par le réalisateur.

Cela explique-t-il le titre du film, ou la scène du début où après l'accident, la voiture est tirée de l'eau ?

Au départ, cette scène devait être l'affiche du film. En fait, on a beaucoup dit que Iceberg faisait référence à la partie cachée de l'adolescence, celle qu'on ne voit pas, mais si j'ai choisi ce titre, c'est simplement parce que j'aime le son de ce mot. Je voulais que le personnage principal soit dur, comme un glaçon, un bloc de glace. Ensuite, c'est le mot Iceberg qui a donné au film son orientation.

Et sur l'affiche et au générique, pourquoi cette typographie du titre, avec un R inversé et un G très séparés du reste du mot ?

C'est une typographie suédoise, froide. Franchement, l'explication est très simple : j'ai donné carte blanche au compagnon de ma monteuse. Il est artiste et je voulais absolument qu'il fasse quelque chose sur le film.

Pourquoi une quasi absence de dialogues ?

Lors du tournage il y en avait davantage, mais au montage nous avons surtout conservé les scènes où les personnages sont seuls, ce qui explique le peu de dialogues. J'ai peut-être aussi été influencé inconsciemment par le film de Jaime Rosales, Un tir dans la tête. Le montage a duré un an. Le DVD, qui sort en mars, proposera deux montages différents du film.

Le son et la musique jouent donc un rôle essentiel dans le film...

Oui, la prise de son est directe, mais il y a eu ensuite un gros travail de recherche de sons et de post-production. Quant à la musique, je l'ai confiée à Pablo Crespo, un ami de Salamanque qui vit au Mexique. Au début, je lui avais demandé de composer une musique très mélodique, mais le résultat ne m'a pas plu. On a donc fait un nouveau montage sur une musique pop, mais ça ne m'a pas convaincu non plus. Puis je me suis intéressé à la musique de la région de Salamanque, et ça a été une vraie révélation. J'ai demandé à un artiste local de fabriquer tous les instruments – tambours, flûtes, etc. – et je les ai envoyés à Pablo au Mexique.

Faut-il voir une charge contre la religion dans le spectacle religieux donné par les filles de l'école?

C'est évident, car j'ai reçu une éducation catholique douloureuse, avec un fort sentiment de culpabilité. Quand la fille arrache sa médaille, elle se débarrasse du poids de Dieu. Dans un premier temps, je voulais qu'elle incarne la Vierge Marie, mais j'ai trouvé ça excessif, j'ai donc opté pour le personnage de l'ange. J'ai ensuite cherché une construction logique autour, ce qui a amené à l'idée du spectacle de l'école. J'aimais l'idée d'un ange qui sauve un chasseur à la fin du film.

Iceberg est un film salmantin. Comment a-t-il été reçu en Espagne ?

Salmantin à 100% ! Il a été entièrement tourné à Salamanque, avec une équipe et des acteurs du coin, c'est un film artisanal. Ça a été un gros succès à Salamanque, et un gros stress pour moi le jour de la première dans ma ville. Le film a ensuite tourné dans tous les festivals espagnols, Gijón, Valladolid, San Sebastián...

Christelle Guignot

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