Interviews
Santiago A. Zannou - El truco del manco
Dans les cités, il y a des talents exceptionnels.
Interview, lors de la Biennale d'Annecy, de Santiago A. Zannou, le réalisateur d'El truco del manco (La combine du manchot), Goya 2009 du meilleur premier film, de la meilleure chanson originale et du meilleur acteur révélation (José Manuel Montilla). Santiago vient d'un milieu modeste. Né à Madrid en 1978 d'un père africain et d'une mère espagnole, il a étudié au Centre d'études cinématographiques de Barcelone, où il enseigne aujourd'hui l'histoire du cinéma et l'analyse filmique. Il est le premier réalisateur noir en Espagne.
Bonjour Santiago, combien de temps as-tu mis pour réaliser ton premier opus?
En fait ce film a mis cinq ans à voir le jour car il a été tourné avec des gens de la rue, des acteurs amateurs qui ne s'étaient jamais retrouvés devant une caméra. Et la morale est belle, car les gens des cités ont beaucoup de talent, il faut juste leur en donner la chance et l'expérience.
Peux-tu expliquer comment t'est venu ce titre ?
Le titre vient de mon expérience personnelle. J'avais un copain qui était manchot et qui n'arrivait pas à rouler ses joints. Il a fini par y arriver avec une main... La combine du manchot, c'est un clin d'œil ! Et puis dans les cités, quand on n'a rien, quand on a moins de possibilités que les autres, il faut trouver des combines pour s'en sortir.
Tu as parlé tout à l'heure de cinéma social, mais le film porte-t-il en lui une dimension politique?
Je crois que les cinéastes ont à un rôle à jouer, une responsabilité. Le film peut renfermer cette dimension politique dont tu parles, briser des tabous en montrant une autre image des gens des quartiers. Cela va plus loin encore si l'on considère que les jeunes d'aujourd'hui se plaignent toujours, qu'ils ne sont jamais contents, alors que souvent ils ont tout. Les jeunes de ces quartiers difficiles luttent pour s'en sortir, triment et y croient malgré les coups durs, ça c'est fort! Le confort de nos sociétés nous empêche de lutter.
Ton film évoque la famille de substitution via la belle amitié fraternelle entre Cuajo et Adolfo, toujours là l'un pour l'autre, alors que leurs familles respectives ne les comprennent pas. André Gide disait "Familles je vous hais", y a-t-il quelque chose de cet ordre-là dans ton film?
Bien sûr! Parfois on se sent plus proche de cette famille de substitution: les goûts en commun, la même vision de l'existence... Et il n'y a pas forcément besoin de paroles, cela ne s'explique pas. L'amitié entre ce black et ce gitan le montre. Ils sont plus que des potes, il y a de l'amour là-dedans et ils peuvent compter l'un sur l'autre, ça sert à ça la famille!
La musique, et plus précisément le hip hop, est essentielle dans ton film, elle accompagne l'évolution des personnages. Pourquoi le hip hop?
J'aime cette musique qui correspond parfaitement à la cité, à l'âme des personnages. C'est mon frère qui est musicien qui l'a réalisée. De plus, dans le hip hop il y a cette dimension de combat, d'énergie qui avance, de métissage qui convenait parfaitement à ce que j'avais envie de faire passer. Le hip hop c'est la vie, c'est l'espoir mais c'est aussi un truc chaotique. Cuajo, qui interprète un hip hop flamenco, est porteur de ce message, c'est cette musique qui le fait rêver, tenir et s'accrocher.
Le film a été tourné dans les quartiers chauds de Barcelone. Où en particulier?
En fait, cela ne se voit pas dans le film. Je n'avais pas envie de stigmatiser un quartier plus qu'un autre. D'ailleurs, ce film aurait pu se passer à Paris, Valence, Madrid, Londres ou New York, il y a une certaine universalité dans la dureté de ces cités.
Dans la première partie du film on voit Cuajo sur le marché et un vieux gitan qui lui offre une canne. Cuajo est-il un Petit Prince moderne des cités?
Tout à fait. La canne renvoie à la baguette magique. Cuajo, même handicapé moteur, se bat et y croit toujours. Il est très positif même s'il a du mal à marcher et qu'il met trois heures à prendre une douche ou à aller aux toilettes. Il incarne l'espoir, il ne râle jamais, il veut vivre deux fois plus que les autres et en ce sens il donne une leçon de vie.
La première image du film montre Cuajo et la difficulté qu'il a pour entrer dans la douche. Pourquoi ce plan?
Je voulais juste rendre hommage à ces gens au courage héroïque. Il y en a beaucoup comme lui qui luttent et qui sont des personnes dont on ne parle jamais. Cette scène nous aide à mieux appréhender le personnage et sa personnalité. C'est un battant. Son frère a tout pour être heureux, il est beau, il n'a aucun handicap, mais finalement c'est Cuajo qui porte en lui le bonheur, qui aborde l'existence de la bonne manière.
Cuajo prononce à la fin du film une phrase qui m'a touché et qu'il adresse à son pote Adolfo: « A m? no me digas que no se puede » (Ne me dis pas à moi que c'est impossible). Elle a une résonance précise?
Oui, je crois que tout est possible avec du cœur et de la volonté. Si l'on en a vraiment envie, on peut arriver à des résultats étonnants, et je le répète: dans les cités, il y a des talents exceptionnels. Moi par exemple, je viens d'un milieu pauvre et j'ai dû me battre pour arriver où je suis. Je travaillais dix heures par nuit dans le port de Barcelone à nettoyer des bateaux et à vider les fosses septiques, et j'enchaînais avec mes cours de cinéma dans la foulée après un p'tit dej. Je n'ai jamais manqué un cours, j'y allais avec la banane!
Comment as-tu fait la connaissance de José Manuel Montilla, alias Cuajo ?
Figure-toi que je l'ai rencontré dans les studios de mon frère et j'ai tout de suite accroché. C'est un mec simple, un bosseur, le succès de son Goya ne l'a pas changé, il aide des gars des cités en leur refilant du boulot et en favorisant leur réinsertion. Cette année, il a fait 95 concerts, il a réalisé plusieurs disques et écrit un livre, on a cosigné ensemble un scénario et il a même deux magasins de fringues !
Quels sont tes projets?
Je pars dans quelques jours en Afrique, au Bénin, pour tourner un autre projet sur l'immigration. C'est un beau défi qui me tient à cœur...
En fait ce film a mis cinq ans à voir le jour car il a été tourné avec des gens de la rue, des acteurs amateurs qui ne s'étaient jamais retrouvés devant une caméra. Et la morale est belle, car les gens des cités ont beaucoup de talent, il faut juste leur en donner la chance et l'expérience.
Peux-tu expliquer comment t'est venu ce titre ?
Le titre vient de mon expérience personnelle. J'avais un copain qui était manchot et qui n'arrivait pas à rouler ses joints. Il a fini par y arriver avec une main... La combine du manchot, c'est un clin d'œil ! Et puis dans les cités, quand on n'a rien, quand on a moins de possibilités que les autres, il faut trouver des combines pour s'en sortir.
Tu as parlé tout à l'heure de cinéma social, mais le film porte-t-il en lui une dimension politique?
Je crois que les cinéastes ont à un rôle à jouer, une responsabilité. Le film peut renfermer cette dimension politique dont tu parles, briser des tabous en montrant une autre image des gens des quartiers. Cela va plus loin encore si l'on considère que les jeunes d'aujourd'hui se plaignent toujours, qu'ils ne sont jamais contents, alors que souvent ils ont tout. Les jeunes de ces quartiers difficiles luttent pour s'en sortir, triment et y croient malgré les coups durs, ça c'est fort! Le confort de nos sociétés nous empêche de lutter.
Ton film évoque la famille de substitution via la belle amitié fraternelle entre Cuajo et Adolfo, toujours là l'un pour l'autre, alors que leurs familles respectives ne les comprennent pas. André Gide disait "Familles je vous hais", y a-t-il quelque chose de cet ordre-là dans ton film?
Bien sûr! Parfois on se sent plus proche de cette famille de substitution: les goûts en commun, la même vision de l'existence... Et il n'y a pas forcément besoin de paroles, cela ne s'explique pas. L'amitié entre ce black et ce gitan le montre. Ils sont plus que des potes, il y a de l'amour là-dedans et ils peuvent compter l'un sur l'autre, ça sert à ça la famille!
La musique, et plus précisément le hip hop, est essentielle dans ton film, elle accompagne l'évolution des personnages. Pourquoi le hip hop?
J'aime cette musique qui correspond parfaitement à la cité, à l'âme des personnages. C'est mon frère qui est musicien qui l'a réalisée. De plus, dans le hip hop il y a cette dimension de combat, d'énergie qui avance, de métissage qui convenait parfaitement à ce que j'avais envie de faire passer. Le hip hop c'est la vie, c'est l'espoir mais c'est aussi un truc chaotique. Cuajo, qui interprète un hip hop flamenco, est porteur de ce message, c'est cette musique qui le fait rêver, tenir et s'accrocher.
Le film a été tourné dans les quartiers chauds de Barcelone. Où en particulier?
En fait, cela ne se voit pas dans le film. Je n'avais pas envie de stigmatiser un quartier plus qu'un autre. D'ailleurs, ce film aurait pu se passer à Paris, Valence, Madrid, Londres ou New York, il y a une certaine universalité dans la dureté de ces cités.
Dans la première partie du film on voit Cuajo sur le marché et un vieux gitan qui lui offre une canne. Cuajo est-il un Petit Prince moderne des cités?
Tout à fait. La canne renvoie à la baguette magique. Cuajo, même handicapé moteur, se bat et y croit toujours. Il est très positif même s'il a du mal à marcher et qu'il met trois heures à prendre une douche ou à aller aux toilettes. Il incarne l'espoir, il ne râle jamais, il veut vivre deux fois plus que les autres et en ce sens il donne une leçon de vie.
La première image du film montre Cuajo et la difficulté qu'il a pour entrer dans la douche. Pourquoi ce plan?
Je voulais juste rendre hommage à ces gens au courage héroïque. Il y en a beaucoup comme lui qui luttent et qui sont des personnes dont on ne parle jamais. Cette scène nous aide à mieux appréhender le personnage et sa personnalité. C'est un battant. Son frère a tout pour être heureux, il est beau, il n'a aucun handicap, mais finalement c'est Cuajo qui porte en lui le bonheur, qui aborde l'existence de la bonne manière.
Cuajo prononce à la fin du film une phrase qui m'a touché et qu'il adresse à son pote Adolfo: « A m? no me digas que no se puede » (Ne me dis pas à moi que c'est impossible). Elle a une résonance précise?
Oui, je crois que tout est possible avec du cœur et de la volonté. Si l'on en a vraiment envie, on peut arriver à des résultats étonnants, et je le répète: dans les cités, il y a des talents exceptionnels. Moi par exemple, je viens d'un milieu pauvre et j'ai dû me battre pour arriver où je suis. Je travaillais dix heures par nuit dans le port de Barcelone à nettoyer des bateaux et à vider les fosses septiques, et j'enchaînais avec mes cours de cinéma dans la foulée après un p'tit dej. Je n'ai jamais manqué un cours, j'y allais avec la banane!
Comment as-tu fait la connaissance de José Manuel Montilla, alias Cuajo ?
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