Films
Le lundi 6 mars 2023. Un film qui fait écho aux inspirations du réalisateur costaricien Ariel Escalante Meza pour narrer la relation d’un homme avec les siens : Domingo (Carlos Ureña). Il est aussi le témoin des opérations frauduleuses du gouvernement qui déplacent les habitants pour construire des routes, pour s’approprier leurs terres qui ont vu naître et mourir leurs parents. Ce vieux est celui qui parle avec la brume et qui se lance, à corps perdu, dans la défense de ce qu’il est, malgré tout.
Domingo et la brume prend des allures de conte dont le personnage principal porte un imperméable jaune lorsqu’il se déplace depuis sa maison située sur le haut du village et celle de ses amis ou de sa fille, plus en contrebas. Il est celui qui marche, écoute les autres, voit et entend la violence que tous subissent. Il est aussi celui qui a commis des erreurs.
Les responsables de cette violence inhérente : les voleurs de terres, le travail non valorisé et l’argent qui manque à tous, la précarité environnementale. Des personnages écorchés qui rappellent ceux de Yasmina Khadra dans L’Olympe des infortunes. Il y a Mauricio dont la maison a été attaquée, Paco qui a des problèmes avec ses plantations de pommes de terre, et d’autres, plus jeunes ou plus anciens qui tombent les uns après les autres, fuient ou meurent.
Une bande son travaillée comme une dentelle par Marco Salaverría Hernández. Elle oscille entre les bruits de moteurs -tracteurs, grues, motos- et les sons naturels du milieu -crissements de feuilles, cris d’oiseaux, d’animaux, grenouilles, chouettes- et laisse encore de l’espace à des sons que nous reconnaissons comme relevant d’instruments plus traditionnels. Nous saluons toute l’équipe du son et de la musique : Mauricio López, Celeste Polimeni, Erik Vargas, Sergio Gutiérrez.
Ariel filme la solitude d’un homme déchu dans ce que nous pressentons comme la fin de sa vie, face à son passé, ses erreurs, sa culpabilité et son innocence, sa liberté aussi. Ariel l’accompagne de sa propre compagne incarnée par la présence d’une brume bleutée s’opposant poétiquement à des plans tout autant poétiques mais dans les tons plus chaleureux de jaune et d’orange grâce au recours de sources lumineuses dans de nombreux plans de nuit.
Des plans organisés comme des tableaux dont le choix du cadre aux coins arrondis ajoute à la création d’une esthétique personnelle. Des scènes théâtralisées à la décoration épurée faite d’objets du quotidien. Des fondus enchaînés participent aussi de la narration poétique. Et puis une voix féminine déclame un poème qui interroge le spectateur : intervention protectrice ou menaçante. L’étrangeté imbibe l’écran et ce sont les thèmes corrélés à la condition humaine des citoyens de cette région dont il est question : la violence envers les femmes, l’addiction à l’alcool, la valeur de leur propre vie.
Tous portent la sentence interrogée par Domingo : « Si je pars, vous ne me trouverez plus ? » Si ces habitants sont déplacés, détruits, avalés par la brume qui les menace, alors, existeront-ils encore et ainsi, ailleurs ?
Un pays qui éveille le désir de voyager mais un pays qui renferme aussi la décadence. Tout ne se résume pas à une carte postale et Ariel décrit son territoire à sa manière. Le réalisateur a précisé dans les propos recueillis par son attachée de presse Claire Viroulaud (Ciné-Sud Promotion): "Je pense que mon pays n'est pas prêt à accepter la violence matérielle, mais aussi sociale, économique et politique. Et pour dire la vérité, cela me met en colère. Parce que ce n'est pas en montrant la face la plus séduisante d'un pays qu'on évolue. Cela nous ramène au ocntraire à des temps obscurs. Je voudrais que le Costa Rica soit un pays plus inclusif et égalitaire." (pour en lire plus, notre interview au réalisateur arrive bientôt sur Cinespagne.com).
Le cinéma du Costa Rica entre dans une nouvelle étape, bien accompagnée par une équipe de cinéastes et producteurs comme Julio Hernández Cordón (Las marimbas del infierno, Comprame un revolver, etc), Nicolás Wong Díaz ou Gabriela Fonseca Villalobos, déjà bien amortie avec Nathalie Álvarez Mesén (Clara Sola), et l’authenticité de ce film témoigne encore de la valeur du 7e Art depuis un nouvel horizon.
Ariel signe un deuxième long-métrage à la manière de grands noms du cinéma international (Apichatpong Weerasethakul. Ariel porte un regard oblique plein d’amour sur les « fêlés » en nous offrant leur lumière.
Festival de Cannes 2022- Sélection "Un certain regard". Distribution: Epicentre Films.