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Un Film de Julio Hernández Cordón
Avec Mathilde Hernández Guinea, Rogelio Sosa, Sostenes Rojas, Wallace Peyreda, Mariano Sosa
Drame | Mexique | 2018 | 1h24min
Quinzaine des Réalisateurs 2018 - 4 nominations
Si l'Enfer nous était conté
Deuxième film pour Julio Hernández Cordón. Il avait tourné Las marimbas del infierno (sorti en salles le 10 janvier 2018) et nous revient à la réalisation avec Cómprame un revólver, distribué par Rezo Films le 20 mars 2019. Programmé en avant-première au 20ème festival Regards de Valence.

Son regard singulier avait parfaitement trouvé sa place dans notre esprit et il l'élargit encore avec Cómprame un revólver. Comment faire de son besoin d'expression et de ses désirs artistiques, un film ? Comment être soi et travailler l'image et le son de ce que le cinéaste pense, ressent, observe ? Comment le cinéma peut-il être une véritable expérience personnelle et à la fois suggérer aux autres ? Telles sont les questions qui nous ont hantées en sortant de la projection. Julio Hernández Cordón a réalisé deux films véritablement originaux dans le sens où il exploite son propre regard, ses pensées, ses réflexions pour les porter à l'écran. Un film qui nous parle du chaos, ses tripes posées sur la table.

L'Enfer sur terre

Un carton en lettres rouges ouvre le film. Nous sommes au Mexique. Les narcotrafiquants ont le pouvoir. Les femmes ne sont que peu nombreuses. Un ordre nouveau est en place. La fiction commence ici. Un terrain de baseball et de la terre sèche à perte de cadrage. Les plans très larges sont plutôt rares. L'effet est assuré, notre focalisation est dirigée sur cet environnement précis et complètement indéterminable, celui du quotidien du gardien de terrain, le père de l'enfant Huck (possible référence au livre de Mark Millar, Huck). Il protège sa fille qui lui a été « laissée » suite au rapt de sa femme et de sa fille aînée. Elle porte des vêtements de garçon, les cheveux cachés, parfois une casquette et un masque en papier mâché ainsi qu'une chaîne à la cheville pour empêcher son possible kidnapping. La mascarade est une lutte journalière pour ces deux personnages interprétés à cent pour cent.

Les narcotrafiquants, régulièrement vêtus de robes en guise de trophées des soirées de sexe forcé, les oppriment, vendent de la drogue au père, le soumettent à l'esclavage, exigent de lui l'entretien et la préparation du terrain pour leurs envies de détente. La maintenance, l'obéissance et la cachette doivent être totales pour échapper à la mort.

Cet ordre cauchemardesque détruit l'homme désarmé, ce qui reste de l'Humanité évolue dans le crime. Les enfants, malgré ces prédateurs, sont encore, à ce niveau-là du film, porteurs d'espoirs.

La jeune enfant sera la conquérante

L'espace du film fait écho à l'histoire des narcotrafiquants en Amérique latine où tous tendent vers la violence et le nihilisme. Les enfants du film sont aussi un écho à La nuit du chasseur ou Les Aventures de Huckleberry Finn de Mark Twain. Julio Hernández Cordón réalise, par son film, un exorcisme de la fragilité de la vie et de l'ultra-violence. Les enfants ont une place réservée dans le film : une génération future à qui le devoir de survie incombe. Des enfants qui sont le reflet de nos erreurs. Face aux adultes, et depuis ce qu'il leur reste d'innocence, ils se défendent, s'organisent, s'arment, se cachent, s'entraident. Ils jouent aussi ; c'est d'ailleurs une scène filmée au naturel dans une citerne qui leur sert de piscine qui nous placera définitivement du côté de ces enfants à la Timpelbach. De jeunes personnages lumineux pour un sujet noir, le réalisateur met à nu le système destructeur de la mini société qu'il projette. L'homme est détruit par l'homme. Julio veut « parler de ce qui se passe autour [de lui] et de ce qui [l']angoisse ».

Après le jour poussiéreux, parfois suant mais toujours marqué par la violence environnementale et le jeu que veut préserver le père, viennent la nuit noire et une fête d'anniversaire en l'honneur du grand caïd de la région, à laquelle doivent se rendre les adultes soumis. Et là encore, tout bascule pour toujours plus de tuerie. Puis vient le jour, deux personnages sur un fleuve et un acte terrible. Les enfants imitent toujours les adultes...

Le film tisse une toile narrative substantielle telle une odyssée de la terre. Le constat de la société y est acide. Le début d'un changement constructif ou la fin de tout car même l'enfant cède à la monstruosité pour sa survie immédiate. Un film auquel on pense. Le décor est réaliste, il est celui qui accueille le festival international du cinéma dans le Désert (de Sonora, Hermosillo); il s'y trouve plus de 130 terrains de baseball. La photographie est signée Nicolas Wong avec qui le réalisateur avait déjà travaillé sur Atrás hay relámpagos. Les acteurs ne sont pas des comédiens de profession : la fille du réalisateur joue Huck, sa deuxième fille joue une enfant séquestrée, son père est joué par un voisin et musicien de noise rock, des joueurs de baseball et des boxeurs d'Hermosillo interprètent les narcotrafiquants. La réflexion est toujours là. Cómprame un revólver fait écho à d'autres films de genre western futuriste ou fiction apocalyptique comme Mad Max mais avec ce truc en plus des comédiens et de l'équipe technique qui donnent tout au film. Julio Hernández Cordón, sa famille de sang et sa famille artistique, ont fait un film stupéfiant qui saura attirer les spectateurs curieux et en attente de voir un film ultra réfléchi, ultra percutant, ultra personnel.

Marie-Ange Sanchez


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Julio Hernández Cordón - Las marimbas del infierno - VOESP

Cómprame un revólver