Films
Les repentis
Basé sur des faits réels, chacun.e sait ce qui va se jouer et la force du film réside dans l’interprétation des acteurs et actrices mais aussi dans une scénarisation impeccable. Icíar Bollaín et Isa Campo ont écrit le scénario conjointement et le moins que l’on puisse dire c’est que ce film est une grande réussite. Le sujet n’était pourtant pas évident puisqu’il s’agit encore d’une page très sensible de l’histoire de l’Espagne, et plus particulièrement du Pays Basque, malgré la dissolution de l’ETA il y a maintenant 10 ans.
Sans surprise, le film débute très rapidement avec l’exécution de Juan María Jaúregui et, bien plus que l’assassinat du politique où tout se passe très vite, la scène qui m’a beaucoup marquée est celle qui suit avec le téléphone (rouge) qui sonne. Nous savons ce que cette sonnerie signifie. Et dans le film, Maixabel Lasa (Blanca Portillo) le sait aussi. Elle n’a pas besoin de décrocher pour savoir que cet appel changera à tout jamais sa vie et celle de sa fille. La scène est remarquablement bien filmée : l’actrice apparaît uniquement à travers le miroir de la salle de bain et n’occupe qu’un tiers de l’écran. Une scène banale du quotidien avec une Blanca Portillo qui se sèche les cheveux (sèche-cheveux rouge également !) avant de comprendre à travers cette sonnerie qu’il est arrivé quelque chose de grave à son mari. Pas besoin de mots. De la même manière, sa fille l’apprendra sans que personne ne le lui dise. Il lui suffira d’un regard avec sa tante venue la rejoindre (avec une voiture rouge, décidément !) pour comprendre qu’un drame vient de se produire et que son “Aita” (père) n’est plus. Une scène poignante filmée dans un décor naturel grandiose qui contraste avec la douleur des deux personnages.
Mais le film ne se résume pas à la douleur d’une veuve et de ses proches. Loin de là ! Et c’est après ces scènes, qui plongent directement les spectateurs et spectatrices dans l’intimité et le deuil d’une famille, que le propos du film peut réellement commencer. Car c’est bien l’histoire d’une femme qui, au-delà de sa souffrance, fait le choix délibéré d’accepter de se confronter aux assassins de son mari, qu’ont voulu raconter Isa Campo et Icíar Bollaín.
Les producteurs, Koldo Zuazua et Juan Moreno, avaient beaucoup travaillé sur l’histoire de ces rencontres dites “restauratives” et rendues possibles par le gouvernement espagnol socialiste entre 2011 et 2012. Au départ, le scénario ne racontait que l’histoire d’une rencontre entre une victime et un prisonnier, tous les deux fictifs. Pour la réalisatrice Icíar Bollaín, cela n’était pas suffisant. Elle souhaitait raconter qui étaient ces personnes, tant les victimes que les terroristes, et voulait montrer comment ils en étaient arrivés à commettre des attentats pour aller ensuite faire face aux familles de leurs victimes à qui ils savaient avoir fait beaucoup de mal. Et c’est comme ça que les producteurs ont suggéré à Isa Campo et Icíar Bollaín de raconter l’histoire de Maixabel Lasa.
Beaucoup de personnes ont critiqué ces rencontres “restauratives” sans savoir exactement de quoi il s’agissait, comme si le simple fait d’accepter ces rencontres faisait office de pardon. Le film prétend ainsi montrer de quelle manière se sont réellement déroulées ces rencontres et rétablir une vérité. La réalisation est donc en soi très intéressante car elle ne se concentre pas sur un unique point de vue mais bien sur ce que vivent les deux parties. La douleur et le deuil d’un côté et la repentance de l’autre. Et c’est là que le long métrage tient sa force car pour la première fois un film aborde cette question du pardon. Et aborder ne veut pas forcément dire pardonner.
C’est d’ailleurs de ça dont il est question. La vraie Maixabel Lasa, si on peut l’appeler ainsi, est devenue une figure de référence au pays basque. Un an après le meurtre de son époux, elle est devenue directrice du service d’aide aux victimes du terrorisme du gouvernement basque. Lorsqu’elle choisit d’accepter de rencontrer les terroristes qui ont contribué à la mort de son mari, elle doit d’abord faire face aux réactions de ses proches qui ne peuvent concevoir une telle situation. En dépit de ces objections, elle accepte et dans le film, Blanca Portillo est bluffante de détermination.
Le face-à-face qui suit entre Maixabel Lasa (Blanca Portillo) et Luis Carrasco (Urko Olazabal) est d’une rare intensité. Même si on perçoit de l’appréhension dans l’attitude de Maixabel Lasa au moment de se retrouver en face d’un des assassins de son mari, la différence d’attitude entre les deux est flagrante. Épaules rentrées et regard baissé et fuyant pour l’ex-terroriste et tenue droite et regard affirmé pour Maixabel. L’affiche du film en est d’ailleurs une parfaite illustration : une Blanca Portillo, lumineuse et le regard haut à côté d’un Luis Tosar, sombre, le regard baissé et repenti.
“Se acabó. Puedo ser Maixabel otra vez”Cette rencontre au centre pénitencier Nanclares de la Oca sera finalement très positive pour Maixabel. Même si elle n’est pas à l’origine de cette rencontre et même si elle ne pardonne pas, elle confiera à sa fille la délivrance que ce face-à-face lui aura apportée. Comme un point final et le début d’une nouvelle page qui s’ouvre : “C’est terminé. Je peux redevenir Maixabel”. Elle qualifie d’ailleurs cette rencontre de réconfortante et d’inespérée face à un ex-membre de l’ETA sincèrement repenti qui n’est plus la même personne que jadis. La rencontre suivante avec Ibon Etxezarreta (Luis Tosar), un des membres du commando qui assassina Juan María Jaúregui se déroulera plus ou moins de la même manière, l’assurance de Maixabel contrastant avec la culpabilité et le malaise de l’ex- membre de l’ETA. Luis Tosar est touchant et impeccable dans ce rôle de repenti sincère. Ces rencontres, Maixabel ne les fait pas pour les assassins de son mari, pour qu’ils se sentent “soulagés” mais bien pour elle. Et c’est une fois de plus cet aspect-là qu’Icíar Bollaín, avec sa réalisation, met en avant. Tout le monde ne peut pas pardonner mais chacun.e a cette possibilité d’écouter et de donner une seconde chance.
Comme tous les films d’Icíar Bollaín où l’humain et le social sont des thèmes prédominants dans son travail, elle réalise avec Maixabel un film à la fois intime, fort et bouleversant sur une société, et plus particulièrement le peuple basque, terriblement meurtris par des décennies de violences terroristes. Pour ne pas vous gâcher le plaisir de découvrir la scène finale de ce magnifique film, je me contenterai d’écrire que celle-ci est particulièrement émouvante, dans un décor sublime et apaisant. Je retiendrai notamment l’intensité du regard entre l'ex-terroriste (Luis Tosar) et la fille de Maixabel (María Cerezuela)... Un film à voir absolument !
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Nominé dans 14 catégories* pour les Goya 2022, Maixabel a remporté lors de la cérémonie, le 13 février dernier, trois Goya : celui de la meilleure actrice à Blanca Portillo, le Goya du meilleur espoir féminin à María Cerezuela, qui interprète la fille de Maixabel et le Goya du meilleur acteur pour un second rôle à Urko Olazabal qui joue le rôle de Luis Carrasco, un des membres repentis de l’ETA aux côtés de Luis Tosar.
Film vu à l'occasion de la 31è édition du festival de cinéma espagnol de Nantes, du 8 au 20 mars 2022.
Cliquez pour regarder l'interview de la réalisatrice.
l'interview de la réalisatrice.
* Meilleur film (Maixabel) * Meilleure réalisation (Icíar Bollaín)
* Meilleure actrice (Blanca Portillo)
* Meilleur acteur (Luis Tosar)
* Meilleur espoir féminin (María Cerezuela)
* Meilleur acteur dans un second rôle (Urko Olazabal)
* Meilleur scénario original (Icíar Bollaín et Isa Campo)
* Meilleure musique originale (Alberto Iglesias)
* Meilleur son (Alazne Ameztoy, Juan Ferro et Candela Palencia)
* Meilleur montage (Nacho Ruiz Capillas)
* Meilleure conception de costumes (Clara Bilbao)
* Meilleur maquillage et coiffeur (Karmele Soler et Sergio Pérez Berbel)
* Meilleure production (Guadalupe Balaguer Trelles)
* Meilleure direction artistique (Mikel Serrano)
Agathe Ripoche
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