Films

Affiche

La trilogie flamenca : Carmen

Un Film de Carlos Saura
Avec Antonio Gades, Laura del Sol, Paco de Lucía, Cristina Hoyos, Juan Antonio Jiménez, Pilar Cárdenas, Marisol, José Yepes
Drame | Espagne, Frace | 1984 | 1h12
Festival de Cannes 1983 : Prix de la meilleure contribution artistique au Festival International du Film, BAFTA 1985 : Meilleur film non anglophone
Trilogie flamenca : Carmen, il était une fois une habanera...
Après la sortie du documentaire Impulso d’Emilio Belmonte consacré à Rocío Molina, c’est le retour de Carmen, de Carlos Saura, dans une version restaurée depuis l’original de 1983, qui rend un bel hommage au flamenco.

Lorsque Prosper Mérimée publie en 1825 son Théâtre de Clara Gazul, on y découvre bon nombre de clichés traditionnels romantiques sur l’Espagne, de Grenade aux orangers en passant par le motif de la mantille et les bouteilles de Jerez. Dans Carmen, texte publié en 1847, il est beaucoup plus subtil, et parvient à créer dans ce format contraignant qu’est la nouvelle une œuvre d’art aux arabesques, par sa structure en abyme, qui a fasciné bien des créateurs, parmi lesquels Bizet. L’opéra de ce dernier conduit irrémédiablement à entendre résonner les notes de la habanera “El arreglito” lorsqu’on évoque le prénom de Carmen. Mais le cinéaste Carlos Saura a lui aussi convoqué le mythe dans son cinéma, et cette version restaurée, intégrée à la trilogie flamenca aux côtés de Bodas de sangre et El amor brujo, est un plaisir pour les sens.
D’ailleurs, dans cette adaptation, après avoir décidé de recruter la bien nommée Carmen (Laura del Sol) pour interpréter l’héroïne éponyme de son ballet, le chorégraphe Antonio (Antonio Gades) lui remet un exemplaire de l’ouvrage, dont il lui conseille la lecture. C’est dire si l’œuvre de l’écrivain habite le film, tantôt lue, tantôt décrite, toujours vécue et incarnée par les personnages.
Le genre du film ? Ce n’est pas une comédie musicale, en tout cas. Une compagnie de ballet qui monte l’œuvre classique et que l’on accompagne dans un jeu de métalepses brouillant les frontières entre personnages du ballet et professionnels de la danse en répétition, voire entre personnages du film et acteurs, puisque le célèbre guitariste Paco de Lucía y joue son propre rôle. De ce ballet, on ne découvrira pas le résultat sur scène, ce que l’on aurait peut-être vu dans un documentaire, mais – ce qui est autrement plus intéressant quand on est dans les coulisses - une sorte de work in progress qui montre le travail de création en cours.

De la danse, mais pas seulement

Le film donne une âme au texte : pas seulement une voix dans une mélodie devenue célèbre, mais un corps, une occupation contrôlée, précise, géométrique, de l’espace, où ce corps prend toute son importance ; en témoignent les plans rapprochés sur les différents membres sollicités, ainsi que sur les expressions des visages, le tout amplifié et démultiplié par les jeux de miroirs où l’on se demande qui regarde qui. Par la place occupée par la musique, on a certes pu classer Carmen dans la catégorie des films musicaux ; et pourtant, ce n’est pas une simple adaptation. D’abord, parce qu’il y a beaucoup de la société espagnole dans cette lecture : le folklore, le dialogue au sujet des choix de musiques, les costumes, les chants, la corrida, l’évocation de la prison de Carabanchel construite au lendemain de la Guerre Civile en sont quelques exemples. Par ailleurs, si la musique constitue le troisième protagoniste au même titre que le couple infernal Carmen/José ou Carmen/Antonio, selon le niveau narratif où l’on choisit de se situer, rappelons la fonction d’autres éléments sonores : les silences ont ainsi toute leur place dans le long-métrage, tout comme cette mélodie jouée à la flûte, comme rappel de l’amour naissant entre le chorégraphe et sa danseuse, qui ne trompe personne, surtout pas Cristina. Passion, envoûtement, jalousie et obsession constituent la colonne vertébrale du film, autant d’états du cœur qui se traduisent dans les gestes, dans les attitudes, dans les formes et dans les ombres.
On appréciera enfin tout le travail de l’artiste qui compose visuellement ce tableau en mouvement ; là où l’œuvre prend encore plus d’épaisseur et de texture et propose divers degrés de lecture, c’est dans les détails subtils : on en veut pour exemple l’affiche de Bodas de sangre comme clin d’œil, ou encore l’onomastique croisée avec celle du contenu de la nouvelle, faisant de ce film un classique qui vaut la peine d’être revu.

Audrey Louyer


+ d'infos
Voir ce film
 

À lire aussi
Tango
Films | Tango
Carlos Saura a déjà réalisé cinq films consacrés à la musique et à la danse (Noces de sang, 1981, Carmen, 1983, L’Amour sorcier, 1986, Sevillanas, 1991, et Flamenco, 1995), lorsqu’il répond favorablement à la proposition du producteur argentin Juan Carlos Codazzi de réaliser un film sur le tango. Pour cette première incursion dans un nouvel... Lire la suite

Fados
Films | Fados
Note d'intention du réalisateur J'ai découvert le Fado dans les films tournés au Portugal avec Amália Rodrigues. Ses chansons, tout comme celles d'Imperio Argentina et les tangos de Carlos Gardel, ont marqué mon enfance de l'après-guerre. Durant ces années d'éveil, ces sons et ces images se sont gravés à jamais dans ma mémoire. Le Fado ne devait... Lire la suite

Cria Cuervos
Films | Cria Cuervos
Le cinéma de Carlos Saura, période franquiste, est celui de la dissimulation. Comment mettre en images et dénoncer les affres de la dictature sans subir le joug de la censure ? Comment se construire des espaces de liberté dans un univers étriqué et univoque ? Telles sont les questions que le réalisateur s'est posées depuis son premier film en... Lire la suite

Carlos Saura - Don Giovanni, naissance d'un opéra
Interviews | Carlos Saura - Don Giovanni, naissance d'un opéra
Paul Douglas Grant (Films International): Avec votre dernier film, Io, don Giovanni (Moi, Don Juan), on est loin de Deprisa, deprisa ou de Cría Cuervos, sauf peut-être au niveau de l'importance de la musique. Quel fil conducteur voyez-vous dans cette trajectoire?Je ne sais pas... Je déteste faire ma propre psychanalyse. Peut-être qu'il y a trois... Lire la suite

Carlos Saura et la danse
Interviews | Carlos Saura et la danse
Fados est votre huitième film chorégraphique et musical. D'où vous vient cet intérêt pour la danse ?Je crois que cette passion est née lorsque j'étais photographe au Festival International de Musique et de Danse de Grenade. J'étais surtout fasciné par les répétitions, l'engagement incroyable des danseurs et leur ténacité. Cette expérience a... Lire la suite

Carlos Saura et la censure
Interviews | Carlos Saura et la censure
Jusqu'à la mort de Franco, vous avez cherché des formes intermédiaires pour dire ce qu'il n'était pas possible d'évoquer frontalement. Pouvez-vous nous rappeler cette période où vous cherchiez à contourner la censure ? Si vous regardez bien, la censure a toujours existé en Espagne sous une forme ou sous une autre. Même durant le Siècle d'Or, des... Lire la suite

Flamenco, flamenco

Carlos Saura - Flamenco, flamenco
Interviews | Carlos Saura - Flamenco, flamenco
A la différence, par exemple, de Tango, Flamenco Flamenco s’appuie sur une histoire de fiction, pourquoi ce choix ?

C’était un parti pris depuis le début : introduire devant la caméra autre chose que la beauté de la musique et de la danse m’aurait paru une trahison à la pureté de cet art ! Lire la suite

Les Voyous
Films | Les Voyous
L'histoire

Madrid, 1959, sous la dictature franquiste. Il règne dans la ville une ambiance brumeuse et pesante. Un jeune homme attaque une guichetière du kiosque de la Once et s'empare de la recette du jour.

Lire la suite

Peppermint frappé
Films | Peppermint frappé
A Cuenca, Julián, radiologue, tombe amoureux d'Elena, la femme d'un ami d'enfance tout juste retrouvé. Rejeté par celle-ci, il projette ses désirs sur Ana, une infirmière qui travaille avec lui, et entreprend de la transformer en Elena. Commence alors un étrange jeu pervers qui ne laissera personne indemne... En 1968, la projection du film lors... Lire la suite

Carlos Saura
Portraits | Carlos Saura
Né en 1932, Carlos Saura est issu d'une famille bourgeoise libérale. Il débute ses études dans l'ingénierie, mais sa passion pour la photographie est plus forte et c'est en 1952 qu'il intègre l'Instituto de Investigaciones y Estudios Cinematográficos de Madrid. Il y étudie la mise en scène, collabore avec ses amis Eduardo Ducay et Leopold Pomes à... Lire la suite

Anna et les loups : L’oppression et l’immobilisme du franquisme selon Carlos Saura
Actualités | Anna et les loups : L’oppression et l’immobilisme du franquisme selon Carlos Sau...
Anna, interprétée par Géraldine Chaplin (alors femme du réalisateur), est une gouvernante étrangère venue dans la Castille pour s’occuper de trois jeunes filles. L’isolement de la demeure ainsi que le comportement de ses employeurs ne font que confirmer que la famille cache quelque chose. Lire la suite

Argentina (zonda)

Maman a cent ans

Beyond Flamenco (Jota)

Vivre Vite
Films | Vivre Vite
Pablo, Meca et Sebas vivent de petits coups, qui leur permettent de prendre du bon temps. Maigres profits, mais pour de maigres besoins ; et l'amitié passe avant tout. Un soir, après un braquage de voiture, ils rencontrent Angela, serveuse dans un bar. Angela découvre rapidement la vie dangereuse mais indépendante que mène le trio. Elle aime le... Lire la suite

La trilogie flamenca de Carlos Saura

La trilogie flamenca : Noces de sang (1)
Films | La trilogie flamenca : Noces de sang (1)
Un triple coup de maître Ce film est composé de trois mains de maîtres : inspiré de l’œuvre éponyme « Bodas de sangre » de Federico García Lorca, Carlos Saura convoque devant sa caméra Antonio Gades pour chorégraphier la pièce et en interpréter le rôle principal. Le réalisateur nous transporte dans une répétition générale d’une... Lire la suite

La trilogie flamenca : Noces de sang (2)
Films | La trilogie flamenca : Noces de sang (2)
Carlos Saura et l’amour de la danse Très prolifique, Carlos Saura est connu en France pour son « Cría cuervos » et sa célèbre bande originale, « Porque te vas ». On l’aime aussi pour son sublime « ¡Ay, Carmela!» (1990) où trois comédiens sont piégés en territoire ennemi durant la Guerre civile ; pour son pamphlet anti-franquiste échappant à la... Lire la suite

La trilogie flamenca : L'amour sorcier