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Vampir, cuadecuc : quand Dracula rencontre l'avant-gardisme espagnol
Pour aborder Vampir Cuadecuc, il est préférable d'avoir vu Les Nuits de Dracula, tant l'interaction entre les deux est portée à un haut niveau. Jesús Franco accepte dès le départ que son ami Pere Portabella le suive sur le tournage de son film.
Les Nuits de Dracula se veut, selon les propos de son réalisateur, l'adaptation du roman de Bram Stoker la plus fidèle possible (le titre anglais étant d'ailleurs Bram Stoker's Dracula). Ce film lui permet d'approcher une figure littéraire prestigieuse tout en apportant sa touche si particulière : zooms à outrance, décadrages brusques, jeux d'acteurs statiques, invraisemblances nombreuses.... Ce sont quelques uns des défauts constants qui font le cinéma de Franco, mais qui paradoxalement constituent aussi son attrait. Les Nuits de Draculane manque cependant pas de maîtrise technique à certains moments, témoignant d'un académisme esthétique en rupture avec le reste du long-métrage.
Vampir Cuadecuc déconstruit le film de Franco. Tout d'abord Portabella remplace les couleurs artificielles par le Noir & Blanc. Ensuite il supprime la bande-son et les dialogues et y ajoute à la place un enregistrement expérimental de bruits, le plus souvent des collisions, réalisé par Carles Santos. L'impression générale n'en est que plus absurde, comme si le film nous était désormais raconté du point de vue d'une entité d'outre-tombe incapable d'entendre les sons diégétiques et de s'intégrer dans l'espace sensible. La séquence dans laquelle Jonathan Harker est livré par Dracula à trois femmes vampires gagne par ce processus en intensité. Mais loin de se résumer à un making-of très libre, Vampir Cuadecuc peut se lire comme une critique du cinéma de Jesús Franco, et par extension du cinéma d'exploitation de l'époque, vu par les élites comme un genre régressif importé de l'étranger. L'absence de dialogue reflète sans doute le reproche principal de ces mêmes élites au cinéma d'horreur, à savoir ses dialogues banals et son absence de profondeur psychologique. Privés de la parole, les acteurs de Vampir Cuadecuc/Les Nuits de Dracula ne sont plus que des fantômes sans identité. L'insistance de Portabella à filmer les coulisses du film, comme le maquillage des acteurs, la mise en place des lumières et des décors (voire la préparation de la brume – élément gothique par excellence - dans la forêt avec les brumisateurs), remet en question la fiction. En se plaçant au plus près de Jesús Franco lorsque celui-ci tourne ses scènes, Portabella offre une version dupliquée des Nuits de Dracula, une sorte de « director's cut » avant l'heure.
Vampir Cuadecuc démystifie en partie l'histoire que met en scène Jesús Franco. L'incohérence entre le tournage dans les environs de Barcelone et l'ambiance londonienne de l'époque victorienne du récit se révèle encore plus par l'utilisation du Noir & Blanc. L'aspect théâtral devient évident, avec la préparation mentale des acteurs mise en exergue, Portabella semble parodier les techniques propres à Franco lorsqu'il abuse des zooms sur les visages. On note aussi l'intérêt que porte Christopher Lee pour ce projet qui lui permet de prendre ses distances avec son personnage dans les productions de la Hammer, qui selon lui était devenu un cliché. Preuve en est de la dernière séquence où on le voit réciter les dernières pages du livre de Bram Stoker – la mort de Dracula – face caméra, dans sa loge. Pour autant, Les Nuits de Dracula semble influencé par les codes du cinéma gothique anglo-saxon, et Pere Portabella le rappelle ironiquement (ou est-ce une erreur involontaire ?) en ouvrant son film par le texte « Basé sur le film de Jesús Franco, produit par la Hammer ».
Au final, Vampir Cuadecuc est un exemple atypique et rare de pont entre deux mondes artistiques à l'opposé l'un de l'autre. Jesús Franco, représentant d'un cinéma d'exploitation déprécié par les élites culturelles, s'intègre le temps d'un tournage à la haute sphère artistique de son pays grâce au making-of du renommé Pere Portabella, chef de file d'un cercle d'artistes espagnols opposés au Franquisme. Ou quand la culture avant-gardiste s'empare de la « sous-culture » commerciale pour toucher un public différent.
Dans une époque ou le cinéma ne peut s'empêcher de toujours raconter des histoires, le film de Portabella nous rappelle que le cinéma consiste avant tout à filmer ce qui se passe devant l'objectif d'une caméra. L'œuvre a donc un caractère expérimental qui ravit le premier quart d'heure, mais qui lasse bien vite par manque de liaison véritablement... Lire la suite
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