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C'est donc un film de la transition, l'illustration d'un avant et d'un après dans l'histoire du cinéma nord-américain et en même temps d'un tournant dans la carrière de son réalisateur.
Sam Peckinpah, considéré comme un cinéaste de référence à Hollywood (The Wild Bunch, Grupo salvaje, 1969; La cruz de hierro, 1977) revisite des codes et des genres cinématographiques qu'il connait bien, notamment celui du western, à un moment où les formes classiques du cinéma hollywoodien s'épuisent. Ce genre de film qui peut nous paraitre quelque peu « cliché » plus de 50 ans après sa sortie se révèle cependant loin d'être un simple film d'action marqué par l'enchainement rapide des péripéties. Il est facile à regarder, exaltant, et d'un intérêt certain dans l'histoire du cinéma.
Il a en quelque sorte une double nationalité, réalisé par un nord-américain familier d'Hollywood il a été tourné entièrement au Mexique avec bon nombre d'acteurs de nationalité mexicaine et s'inscrit dans la grande tradition des films nord-américains qui ont pour sujet ce pays (cf. Le Mexique lieu symbolique et fantasmatique dans le cinéma américain, Sabine Coudassot-Ramirez, Quitterie Duhurt, In: Caravelle, n°74, 2000. pp. 227-240) et livre donc aux spectateurs une vision du Mexique que l'on pourrait qualifier d'hollywoodienne, une vision fortement stéréotypée et codifiée. Sam Peckinpah même s'il se déclare en rupture avec la production hollywoodienne ne s'en éloigne par totalement du point de vue de son esthétique cinématographique et s'insère dans une certaine tradition. Les recherches menées par Sabine Coudassot-Ramirez et Quiterrie Duhurt ont montré qu'il existe une "sur-représentation du Mexique" dans le cinéma nord-américain. Durant la période étudiée, entre 1929 et 1993, pas moins de 541 productions ont pour sujet de près ou de loin le Mexique. C'est donc un phénomène courant du cinéma nord-américain mais qui se cantonne principalement à certains genres : le western, le mélodrame, le film noir ou polar et le thriller. Le genre de la comédie étant à l'inverse très peu représenté. Cette prépondérance des genres cités a pour effet de créer une vision fondamentalement négative du Mexique, une terre où règne la loi du plus fort et où toutes les dérives sont permises.
Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia ne déroge pas à la règle, c'est un film sombre, l'un des plus violent de Sam Peckinpah qui livre une vision "américanisée" du Mexique notamment à travers le prisme du genre cinématographique du western, genre emblématique et fortement codifié qui met en avant le personnage du chasseur de primes, du meilleur tireur où le Mexique joue un rôle important. Dans cette transposition à l'époque moderne, les voitures ont remplacé les chevaux et les Mexicains les Indiens. Un univers et un genre qui nous sont familiers et dont on reconnait les codes. L'intrigue simple devient l'occasion d'un voyage à travers le Mexique, un road trip meurtrier. Là encore c'est un autre genre emblématique du cinéma nord-américain qui est repris par Sam Peckinpah, le road movie. Dans ce genre, le périple sur les routes est le fil conducteur du scénario. On trouve ici tous les ingrédients indispensables au road movie : des meurtres, des hôtels et une histoire d'amour. Le personnage, Bennie (Warren Oates), voit dans la quête et l'objectif qu'il se fixe une chance de repartir à zéro.
Mais cette quête loin d'être vertueuse et de mener au bien est au contraire une aventure meurtrière et sanglante. La violence est omniprésente tout au long du film et elle est de toutes sortes. Le film a une construction cyclique (en revenant au point de départ la réussite de la quête du héros est d'emblée remise en cause) et s'ouvre avec une scène de violence et se termine avec son pendant, à la violence du père répond celle de la fille. Entre ces deux scènes d'ouverture et de fermeture, sortes de rideaux qui ouvrent et ferment la scène au théâtre, on assiste à une succession de meurtres et les cadavres s'amoncèlent durant le périple de Bennie, personnage principal et le moteur de l'action. C'est un film macabre et teinté d'humour noir qui n'est pas sans rappeler l'esthétique de certains réalisateurs appartenant à la génération suivante à Hollywood comme celle de Quentin Tarantino, connu pour réaliser des films dans lesquels la violence côtoie l'absurdité.
Ici c'est toute la quête qui est absurde car il s'agit de retrouver un homme mort et qui ne sera donc pas tué ou jugé pour sa faute et l'absence du personnage tout au long du film illustre toute la vacuité de sa recherche. La quête de Bennie est une quête de l'inexistant, du néant. Car c'est la recherche d'un criminel qui engendrera d'autres crimes. On remarque un changement de tonalité au cours du film, à partir de la découverte de la sépulture du mort, Bernnie ouvre une boite de Pandore, qui déverse solitude et vide. Le crime du mort apparait tel un péché originel qui déclenche une série d'événements macabres; le père en réclamant sa tête a jeté une malédiction qui s'abat sur les personnages, comme dans un conte. Loin de faire l'apologie de la violence, Sam Peckinpah semble au contraire la condamner en même temps qu'il la montre pour nous faire réfléchir sur son sens. Voilà un classique à découvrir.
Sophie Almonacil
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