Portraits
Un cinéaste engagé
Basilio Martín Patino, cinéaste quasiment inconnu en France, sera l'invité d'honneur du 11ème festival Cinespaña de Toulouse qui se tiendra du 29 septembre au 8 octobre 2006. Ce sera l'occasion, dans une large rétrospective, de découvrir la figure d'un cinéaste engagé aussi bien du point de vue des idées que de celui de l'esthétisme. Le festival nous fait l'honneur de nous livrer une biographie de ce réalisateur qui sera publiée dans le catalogue de l'édition 2006.
Parce qu'il aime avant tout le cinéma, il crée dans sa ville Salamanca, tout en obtenant une licence en Filosofía y Letras, un ciné-club au sein du Syndicat Espagnol Universitaire, seule institution permise à l'époque, et la revue Cinema universitario. Juste le temps nécessaire pour préparer deux ans après ce qui restera l'un des actes fondamentaux du cinéma espagnol, Las Conversaciones Cinematográficas de Salamanca, regroupant une bonne partie de la profession (Sáenz de Heredia, García Escudero, Muñoz Suay, Del Amo, le jeune Saura, García Berlanga, Romero-Marchent, Fernán Gómez..., brochette très diverse mais consciente de la difficile situation qu'elle vit).
Avec Juan Antonio Bardem il signera l'appel suivant: « ... Le cinéma espagnol vit isolé. Isolé non seulement du monde, mais de notre propre réalité. Alors que le cinéma de tous les pays concentre son intérêt sur les problèmes que pose la réalité au quotidien, servant ainsi une mission essentielle de témoignage, le cinéma espagnol reste un cinéma de poupées grimées. Il ne présente ni les problèmes ni les témoignages que notre temps demande à toute création humaine... ». Cette réalité que le régime ne peut souffrir car son cinéma, outil au service de son idéologie, n'évoque que les valeurs que les vainqueurs ont remises en place, une Espagne élue de Dieu, au passé historique glorieux, dont la famille est l'unité de base et qui constitue le vrai rempart contre la menace judéo-maçonnico-marxiste... (sans oublier, divertissement et aliénation obligent, comédies et films « costumbristas »).
Cette réalité que Basilio Martín va à son tour mettre en images en 1960, après avoir intégré l'Instituto de Investigaciones y Experiencias Cinematográficas (devenu plus tard la Escuela Oficial de Cinematografía), avec son court-métrage de fin d'études, Tarde de domingo, film mettant en scène une jeune fille restée seule dans un appartement madrilène tout l'après-midi d'un quelconque dimanche, ses parents étant sortis. La protagoniste voit passer le temps, étrangère aux bruits qui l'entourent. Elle regarde mi-intéressée mi-distante les évènements quotidiens qui se déroulent sur la placette au bas de chez elle.
Un an plus tard, toujours en quête d'authenticité et en complète opposition avec le dominant documentaire de complaisance-promotion touristique, il va réaliser deux courts, El Noveno et Torerillos, avec la collaboration des futurs metteurs en scène Mario Camus, José Luis Borau, Luis Enciso (plus l'acteur Fernando Rey et le monteur Pedro del Rey pour le second, personnes qui participeront cette même année au Viridiana de Luis Buñuel).
Avec El Noveno, B. M. Patino nous présente la fête du village de San Felices de los Gallegos afin de commémorer l'arrêt de justice de 1852 abolissant l'impôt que devaient payer les habitants (un neuvième de leur revenu) au Duc d'Albe. Images et montage nous plongent dans l'essence populaire de l'acte, dans une continuité cinématographique qui vaudra au réalisateur ses premiers problèmes avec la censure, les autorités d'alors considérant que la représentation conventionnelle de la fête était affectée... Avec Torerillos, en s'appuyant sur un fait traditionnel de la province de Salamanca, le désir de certains jeunes de se faire remarquer en affrontant sans aucune mesure de sécurité des taureaux sur des places de village et en démontant l'illusion entretenue par ceux qui l'ont appelé "Fiesta nacional", B. M. Patino va, par un astucieux montage, utiliser des matériaux visuels et sonores d'origines diverses : titres et coupures de journaux, extraits d'entretiens et déclarations de vrais torerillos, scènes tauromachiques filmées..., montage impulsant rythme et composant un véritable scénario.
Apparaissent ainsi ce qui va constituer chez notre réalisateur deux éléments prédominants de son œuvre : l'utilisation de matériaux visuels et sonores antérieurs, déjà existants, destinés à d'autres fins et dont il tirera une nouvelle signification ; une réflexion critique sur l'utilisation et les signifiants du genre appelé documentaire.
Ce regard lucide sur les artifices d'une société d'après-guerre va le conduire en 1965 à son premier long métrage, emblème de ce qui restera le Nuevo Cine Español, Nueve cartas a Berta. Sur fond de Salamanca, sa ville, il nous conte, à la suite du voyage qu'a effectué un jeune étudiant à l'étranger où il a connu l'amour avec une fille d'exilé et sous forme de neuf lettres, la dure réalité qu'il rencontre à son retour dans sa ville natale, avec les contraintes sociales et l'immobilisme ambiant, conséquences d'un conflit que tout adolescent méconnaît ou rejette. Dès lors, il va se partager entre fictions (Del amor y otras soledades ; Los paraisos perdidos) et des films où la problématique principale reste le questionnement sur le rôle de la caméra, sur l'utilisation de la machine à enregistrer et la nature du produit présenté.
Ainsi, avec Canciones para después de una guerra, le montage construit sur des séquences communément utilisées jusqu'alors, une dialectique son-image d'où ressort le non-dit officiel et la mémoire collective. Avec Queridísimos verdugos, il interviewe trois anciens de la Légion, des rangs franquistes ou du séminaire devenus « administrateurs de justice », i. e. bourreaux. Plus qu'une attaque contre la peine de mort, c'est à travers ces entretiens une mise en cause du pouvoir qui commande à ces actes. Ces deux derniers films eurent évidemment à souffrir de la censure. Caudillo est la première partie d'un film qui ne sera jamais tourné dans son intégralité. Ici encore, à partir de matériaux existants, Patino va les regrouper suivant un ordonnancement thématique et leur donner une lecture différente. La mort du dictateur enlèvera tout intérêt à une éventuelle suite.
Madrid, a priori une fiction, souligne l'antagonisme entre deux visions de la capitale castillane, celle de la Guerre et l'actuelle, et La seducción del caos, en liant imaginaire et faits réels, met en valeur techniques et rôles télévisuels. Remise en cause de « l'authenticité audiovisuelle » qu'il reprendra dans la série Andalucía, un siglo de fascinación, avec notamment "Desde lo más hondo", "Casas Viejas" ou "El jardín de los poetas".
Basilio Martín Patino a maintenant soixante-seize ans. Avec Octavia, en 2002, il semblerait nous avoir légué un testament, un récit triste sur l'immobilisme des choses malgré leur apparent changement. Il ne peut rester sur une telle note, lui qui a tellement œuvré pour un cinéma péninsulaire autre et que nous sommes fiers de recevoir à Cinespaña en lui rendant un vibrant hommage.
Avec Juan Antonio Bardem il signera l'appel suivant: « ... Le cinéma espagnol vit isolé. Isolé non seulement du monde, mais de notre propre réalité. Alors que le cinéma de tous les pays concentre son intérêt sur les problèmes que pose la réalité au quotidien, servant ainsi une mission essentielle de témoignage, le cinéma espagnol reste un cinéma de poupées grimées. Il ne présente ni les problèmes ni les témoignages que notre temps demande à toute création humaine... ». Cette réalité que le régime ne peut souffrir car son cinéma, outil au service de son idéologie, n'évoque que les valeurs que les vainqueurs ont remises en place, une Espagne élue de Dieu, au passé historique glorieux, dont la famille est l'unité de base et qui constitue le vrai rempart contre la menace judéo-maçonnico-marxiste... (sans oublier, divertissement et aliénation obligent, comédies et films « costumbristas »).
Cette réalité que Basilio Martín va à son tour mettre en images en 1960, après avoir intégré l'Instituto de Investigaciones y Experiencias Cinematográficas (devenu plus tard la Escuela Oficial de Cinematografía), avec son court-métrage de fin d'études, Tarde de domingo, film mettant en scène une jeune fille restée seule dans un appartement madrilène tout l'après-midi d'un quelconque dimanche, ses parents étant sortis. La protagoniste voit passer le temps, étrangère aux bruits qui l'entourent. Elle regarde mi-intéressée mi-distante les évènements quotidiens qui se déroulent sur la placette au bas de chez elle.
Un an plus tard, toujours en quête d'authenticité et en complète opposition avec le dominant documentaire de complaisance-promotion touristique, il va réaliser deux courts, El Noveno et Torerillos, avec la collaboration des futurs metteurs en scène Mario Camus, José Luis Borau, Luis Enciso (plus l'acteur Fernando Rey et le monteur Pedro del Rey pour le second, personnes qui participeront cette même année au Viridiana de Luis Buñuel).
Avec El Noveno, B. M. Patino nous présente la fête du village de San Felices de los Gallegos afin de commémorer l'arrêt de justice de 1852 abolissant l'impôt que devaient payer les habitants (un neuvième de leur revenu) au Duc d'Albe. Images et montage nous plongent dans l'essence populaire de l'acte, dans une continuité cinématographique qui vaudra au réalisateur ses premiers problèmes avec la censure, les autorités d'alors considérant que la représentation conventionnelle de la fête était affectée... Avec Torerillos, en s'appuyant sur un fait traditionnel de la province de Salamanca, le désir de certains jeunes de se faire remarquer en affrontant sans aucune mesure de sécurité des taureaux sur des places de village et en démontant l'illusion entretenue par ceux qui l'ont appelé "Fiesta nacional", B. M. Patino va, par un astucieux montage, utiliser des matériaux visuels et sonores d'origines diverses : titres et coupures de journaux, extraits d'entretiens et déclarations de vrais torerillos, scènes tauromachiques filmées..., montage impulsant rythme et composant un véritable scénario.
Apparaissent ainsi ce qui va constituer chez notre réalisateur deux éléments prédominants de son œuvre : l'utilisation de matériaux visuels et sonores antérieurs, déjà existants, destinés à d'autres fins et dont il tirera une nouvelle signification ; une réflexion critique sur l'utilisation et les signifiants du genre appelé documentaire.
Ce regard lucide sur les artifices d'une société d'après-guerre va le conduire en 1965 à son premier long métrage, emblème de ce qui restera le Nuevo Cine Español, Nueve cartas a Berta. Sur fond de Salamanca, sa ville, il nous conte, à la suite du voyage qu'a effectué un jeune étudiant à l'étranger où il a connu l'amour avec une fille d'exilé et sous forme de neuf lettres, la dure réalité qu'il rencontre à son retour dans sa ville natale, avec les contraintes sociales et l'immobilisme ambiant, conséquences d'un conflit que tout adolescent méconnaît ou rejette. Dès lors, il va se partager entre fictions (Del amor y otras soledades ; Los paraisos perdidos) et des films où la problématique principale reste le questionnement sur le rôle de la caméra, sur l'utilisation de la machine à enregistrer et la nature du produit présenté.
Ainsi, avec Canciones para después de una guerra, le montage construit sur des séquences communément utilisées jusqu'alors, une dialectique son-image d'où ressort le non-dit officiel et la mémoire collective. Avec Queridísimos verdugos, il interviewe trois anciens de la Légion, des rangs franquistes ou du séminaire devenus « administrateurs de justice », i. e. bourreaux. Plus qu'une attaque contre la peine de mort, c'est à travers ces entretiens une mise en cause du pouvoir qui commande à ces actes. Ces deux derniers films eurent évidemment à souffrir de la censure. Caudillo est la première partie d'un film qui ne sera jamais tourné dans son intégralité. Ici encore, à partir de matériaux existants, Patino va les regrouper suivant un ordonnancement thématique et leur donner une lecture différente. La mort du dictateur enlèvera tout intérêt à une éventuelle suite.
Madrid, a priori une fiction, souligne l'antagonisme entre deux visions de la capitale castillane, celle de la Guerre et l'actuelle, et La seducción del caos, en liant imaginaire et faits réels, met en valeur techniques et rôles télévisuels. Remise en cause de « l'authenticité audiovisuelle » qu'il reprendra dans la série Andalucía, un siglo de fascinación, avec notamment "Desde lo más hondo", "Casas Viejas" ou "El jardín de los poetas".
Basilio Martín Patino a maintenant soixante-seize ans. Avec Octavia, en 2002, il semblerait nous avoir légué un testament, un récit triste sur l'immobilisme des choses malgré leur apparent changement. Il ne peut rester sur une telle note, lui qui a tellement œuvré pour un cinéma péninsulaire autre et que nous sommes fiers de recevoir à Cinespaña en lui rendant un vibrant hommage.
+ d'infos
Filmographie
• Espejos en la niebla (2008)
• Capea (2005)
• Fiesta (2005)
• Corredores de fondo (2005)
• Homenaje a Madrid (2004)
• Octavia (2002)
• Andalucía: un siglo de fascinación (1996)
• La seducción del caos (1991)
• Madrid (1987)
• Los paraísos perdidos (1985)
• El horizonte ibérico (1983)
• El nacimiento de un nuevo mundo (1982)
• Inquisición y libertad (1982)
• Retablo de la Guerra Civil Española (1980)
• Hombre y ciudad (1980)
• Caudillo (1974)
• Queridísimos verdugos (1973)
• Canciones para después de una guerra (1971)
• Paseo por los letreros de Madrid (1968)
• Rinconete y Cortadillo (1967)
• Del amor y otras soledades (1968)
• Nueve cartas a Berta (1966)
• Imágenes y versos de la navidad (1962) court-métrage
• Torerillos (1962) court-métrage
• El noveno (1961) court-métrage
• Tarde de domingo (1960) court-métrage
• Imágenes sobre un retablo (1955) court-métrage
• Capea (2005)
• Fiesta (2005)
• Corredores de fondo (2005)
• Homenaje a Madrid (2004)
• Octavia (2002)
• Andalucía: un siglo de fascinación (1996)
• La seducción del caos (1991)
• Madrid (1987)
• Los paraísos perdidos (1985)
• El horizonte ibérico (1983)
• El nacimiento de un nuevo mundo (1982)
• Inquisición y libertad (1982)
• Retablo de la Guerra Civil Española (1980)
• Hombre y ciudad (1980)
• Caudillo (1974)
• Queridísimos verdugos (1973)
• Canciones para después de una guerra (1971)
• Paseo por los letreros de Madrid (1968)
• Rinconete y Cortadillo (1967)
• Del amor y otras soledades (1968)
• Nueve cartas a Berta (1966)
• Imágenes y versos de la navidad (1962) court-métrage
• Torerillos (1962) court-métrage
• El noveno (1961) court-métrage
• Tarde de domingo (1960) court-métrage
• Imágenes sobre un retablo (1955) court-métrage
À lire aussi
Dossiers | Le cinéma de l'Espagne démocratique
Durant de nombreuses années, hors des frontières de la Péninsule, on ne connaissait guère du cinéma espagnol que les noms de Luis Buñuel ou de Carlos Saura... quand survint le phénomène Pedro Almodóvar, l'enfant terrible de la movida, vite perçu comme une incarnation du renouveau espagnol. Puis sont apparus Fernando Trueba, José Juan Bigas Luna,... Lire la suite
Durant de nombreuses années, hors des frontières de la Péninsule, on ne connaissait guère du cinéma espagnol que les noms de Luis Buñuel ou de Carlos Saura... quand survint le phénomène Pedro Almodóvar, l'enfant terrible de la movida, vite perçu comme une incarnation du renouveau espagnol. Puis sont apparus Fernando Trueba, José Juan Bigas Luna,... Lire la suite
Actualités | Adieu Luis García Berlanga
Samedi dernier, le cinéma espagnol a perdu l'une de ses grandes figures, le réalisateur Luis García Berlanga. Il est décédé à l'âge de 89 ans à son domicile madrilène. "Avec Buñuel, c'est un des cinéastes les plus importants de tous les temps", affirme sans détour Álex de la Iglesia, président de l'Académie du Cinéma en Espagne, institution dont... Lire la suite
Samedi dernier, le cinéma espagnol a perdu l'une de ses grandes figures, le réalisateur Luis García Berlanga. Il est décédé à l'âge de 89 ans à son domicile madrilène. "Avec Buñuel, c'est un des cinéastes les plus importants de tous les temps", affirme sans détour Álex de la Iglesia, président de l'Académie du Cinéma en Espagne, institution dont... Lire la suite