Films
Lost in the night
Certains acteurs ne sont pas très éloignés de leur personnage, ce qui brouille quelque peu les frontières entre réel et fictionnel. On pense notamment à Bárbara Mori, qui joue le rôle de la mère de famille faussement déjantée Carmen Aldama, et qui, comme Carmen, a eu auparavant de multiples rôles à la télévision comme au cinéma. On pense aussi à la jeune Ester Expósito, bien connue des habitués de la plateforme Netflix, et à son rôle dans la série Élite. Son personnage, Mónica, n’a d’ailleurs rien à envier à La Verónica du chilien Leonardo Medel, tout obnubilées que peuvent être ces jeunes femmes à la plastique parfaite, tombées dans l’obsession du corps exhibé sur les réseaux sociaux, et victimes de troubles de la personnalité borderline.
Mais ce qui nous marque avant tout, c’est l’hétérogénéité du projet, dans son discours, dans la juxtaposition de situations et de séquences, tout au long d’un film qui s’essouffle un peu à mi-parcours. On sait que l’art de la composition peut parfois mener à faire se rencontrer des univers éclatés et éclectiques, et que de cette diversité peuvent naître des éléments de créativité. Mais voilà : chaque monde – que ce soit celui de la riche demeure, celui de la famille orpheline ou celui de l’immensité lacustre – a son esthétique, ses codes, sa profondeur et sa densité, et même le choix d’un « long » long-métrage ne permet pas toujours des transitions fluides dans cette combinaison : n’en déplaise à notre génération de l’immédiateté, il n’y a que vingt-quatre images par seconde…
Le microcosme familial des Aldama perçu depuis le regard d’Emiliano, en revanche, mérite que l’on s’y arrête. Si Heli insistait sur la banalisation de la violence, cette dernière est ici tantôt contenue, tantôt exprimée, mais sans pour autant servir de ressort au suspense de la progression narrative : on la retrouve dans les écarts entre classes sociales, dans les échanges de mots, dans des gestes à peine perceptibles. Et c’est dans les interstices des interactions entre les personnages que se glisse l’art d’Amat Escalante : une photographie soignée, un décor de maison d’architecte aussi artificiel que certains bons sentiments affichés, mais également une évocation du rapport art/morale qui pose la question de la culpabilité et de la rédemption, le tout sur fond sonore des explosions qui rappellent l’enjeu politique et écologique qui sous-tend le film.
Finalement, on n’est jamais très loin de Buñuel ; après les jeunes enfants et adolescents livrés à eux-mêmes, les jeunes adultes font face aux problèmes d’une société malade, où les parents sont absents, ou fantoches. En cela, le thriller nous rappelle le long-métrage post-apocalyptique Cómprame un revólver, de Julio Hernández Cordón, dans le sentiment d’impuissance désespérante d’un présent verrouillé. Espérons que la collection de fers à cheval d’Emiliano contribuera à apporter un peu d’espoir à cette génération perdue dans la nuit.
Audrey Louyer
Son regard singulier avait parfaitement trouvé sa place dans notre esprit et il l'élargit encore avec Cómprame un revólver. Comment faire de son besoin d'expression et de ses désirs artistiques, un film ? Comment être soi et travailler l'image et le son de ce que le cinéaste pense, ressent, observe ? Comment le cinéma peut-il être une véritable... Lire la suite
“Je voulais la suprématie du visage » a confié le réalisateur lors d’un entretien avec le festival de cinéma d’Amérique latine de Biarritz. La Verónica est une possible critique de la société consommatrice d’images. Une femme, interprétée par Mariana Di Girolamo, au-delà de la crise de nerfs, une femme obscure et frondeuse. Un plan serré... Lire la suite