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La vache qui chantait le futur

Un Film de Francisca Alegría
Avec Léonor Varela, Mia Maestro, Alfredo Castro
Drame | Chili, France, Allemagne | 2022 | 1h 38min
La vache qui chantait le futur
Un titre pas commun qui place au centre de notre imaginaire une vache. Quel animal énigmatique pour le cinéma quand y pense… Et c’est dans le sacre de ses messages qu’elle est ici contemplée. La réalisatrice Francisca Alegría (court-métrage : And the whole sky fit in the dead cow's eye) déplie ici, dans son premier long, les revers d’une vie familiale dans son trauma : le suicide de la mère de famille au prénom évocateur de Magdalena. Elle revient, muette et rédemptrice. Ils avaient besoin d’elle. Ils sont enfin prêts pour reprendre leur vie, blessures fermées.

Nous retrouvons – avec Inti Briones en tant que directeur de la photographie- avec grand plaisir un style de film éloigné des récentes productions au grain parfait, à la mise en scène fragmentée, aux corps dressés. Nous plongeons dans un plaisir fou d’un film personnel, tantôt inattendu tantôt nouvellement vrai. Proche et distant à la fois. Un film où la défunte revient aimer un peu mieux sa famille. Ses enfants qui finiront par lui pardonner son geste : sa fille Cécilia (Leonor Varela) qui a vu l’acte suicidaire de sa mère et son fils, dans l’amour inconditionnel qui remet en vie les objets qu’elle lui sème pour prendre sa clé des champs et le libérer de l’entreprise paternelle de production laitière. Elle, grande chirurgienne au cœur presque totalement glacé, lui, obéissant éleveur de vaches « mères-veilleuses ». Elle revient aussi pour faire entendre à l’amour de jeunesse, Enrique (Alfredo Castro) sa grande déception et douleur. Un couple qui n’a pas fonctionné ; peut-être qu’elle souhaitait être libre, lui ne la souhaitait qu’elle ? Une interrogation quant à la nature véritable qui unissait le père et la mère mais la violence qui en résulte est manifeste.

Bien entendu, ce personnage de mère met en évidence aussi la femme. Nous y voyons un hommage à son ardeur, son érotisme, sa soif de vivre, sa force pour défier les limites, envoûter et faire siennes les lois de la Nature. Sa fragilité aussi, le prix à payer pour être celle qu’elle est.

La vache qui chantait le futur
s’inscrit dans un territoire où l’hostilité s’impose avec surréalisme. Un film qui parlera à celles et ceux qui vécurent, en 2017, la mort de milliers de poissons (une relation non identifiée avec l’installation d’une usine à papier signalée pour ses déchets toxiques déversés, toujours en place aujourd’hui). Des faits inexplicables s’accumulent : les oiseaux migrent, les abeilles meurent, la rivière contamine… C’est seulement après le passage de la mort sur cette zone rude du sud du Chili, la région des Rivières, que l’espoir reprend vie. C’est seulement dans le partage des souffrances animales et humaines qu’une nouvelle étape peut démarrer, plus juste et respectueuse. Ainsi, le petit-fils Tomás est sauvé, et il sauve à son tour. Comme l’affiche le dessine si bien, il est le reflet de sa grand-mère décédée jeune et incomprise. Lui, saura faire autrement, porté par les siens.
Ce film est intéressant, touchant, prenant. Il revêt une esthétique bien à lui, un voyage sonore (Pierre Desprats, compositeur, Jean-Guy Véran, mixeur) et visuel étonnant (directrice artistique : Bernardita Baeza). Il est un besoin de raconter, de dire, de retrouver, de pardonner et d’aimer la Nature et notre nature. Il fait renaître les morts et nous autorise à les embrasser. Un film délicat qui ne nous mène pas aux pleurs mais à une vérité, peut-être. La terre-mère et ses enfants, les enfants et leur mère : les absents que nous portons tout autant qu’ils sont notre refuge.

Sortie le 26 juillet 2023

Marie-Ange Sanchez


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