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Piggy

Un Film de Carlota Martínez-Pereda
Avec Laura Galán, Richard Holmes (II), Carmen Machi,Irene Ferreiro, Camille Aguilar, Claudia Salas, Pilar Castro, José Pastor, Fernando Delgado-Hierro, Julián Valcárcel
Thriller, Horreur | Espagne | 2022 | 1h39
Un film de genre remarquablement humain
Après avoir remporté de nombreux prix pour son court métrage du même nom (dont notamment le Goya du meilleur court métrage en 2019), la réalisatrice Carlota Pereda a décidé de poursuivre l’aventure au cinéma. Cerdita est son premier long métrage et elle nous régale d’une remarquable suite toute en tension. Si le pari est toujours risqué de convertir un court en long métrage sans que celui-ci ne perde ce qui fonctionnait si bien au format court, la réalisatrice a relevé le défi haut la main avec un très bon film de genre qui connaît déjà quelques succès.

L’actrice Laura Galán, qui a reçu pour ce rôle de nombreux prix dont le récent d’interprétation féminine au festival Cinespaña de Toulouse, est époustouflante. Son personnage n’est d’ailleurs pas particulièrement sympathique mais il est aisé de comprendre la souffrance qu’endure cette jeune fille au quotidien. Si Cerdita est bien entendu un film de genre, à savoir un cinéma lié à l’horreur, la réalisatrice joue aussi sur d’autres tableaux et traite de sujets importants tels que le harcèlement, la vengeance et bien sûr la grossophobie, sans oublier de conserver une touche d’humour au sein du climat de terreur qu’impose le genre.

Le corps, gros, est au centre du film mais toujours filmé avec bienveillance, y compris dans les scènes où l’actrice se retrouve fort dénudée. Alors que nous sommes habitué·e·s à plutôt voir des corps minces sur nos écrans et surtout dans des rôles principaux, Carlota Pereda offre à son actrice principale un magnifique rôle de composition dans lequel, si ce n’était pas le sujet du harcèlement dont elle est victime, on en oublierait presque qu’elle est en surpoids. D’ailleurs, sans les remarques des habitants du village, et par conséquent celles de sa mère qui veut la protéger, ou les moqueries de ses camarades de classe, son poids ne semble pas être un problème pour elle. Comme dans la vie réelle, c’est le regard de la société qui stigmatise et discrimine les personnes en surpoids et le véritable problème est bien là, comme le dénonce remarquablement la cinéaste. Les réseaux sociaux en prennent aussi pour leur grade car ici leur unique rôle est, comme bien souvent malheureusement, celui de se faire sentir encore plus mal en se comparant aux autres ou en lisant des commentaires agressifs et négatifs sur sa personne.

Surnommée Cerdita (petite truie) par ses harceleuses, Sara a en commun avec ce surnom quelque chose de quasi animal dans son attitude. A l’image du taureau qui se cache quelque part dans la petite ville et que la guardia civil doit retrouver, Sara est à plusieurs reprises filmée en train de fuir ses prédateurs. Tout d’abord, ses camarades qui tentent de la noyer dans la piscine avec une épuisette, dans une scène particulièrement éprouvante où nous nous retrouvons, nous aussi, à manquer de souffle, ou encore la scène où elle est poursuivie en voiture par de jeunes garçons qui l’animalisent. A ce moment-là, même les cris de la jeune femme s’apparentent à ceux d’un animal en détresse. Le personnage de Sara a ce petit quelque chose en elle de sauvage, probablement relatif à cette soif de vengeance qui la rapprochera inévitablement du tueur, le seul à la comprendre et à faire quelque chose pour elle, même si bien sûr il franchit une ligne rouge. C’est d’ailleurs ce ressenti qui nous avait marqués à la fin du court métrage de la réalisatrice, nous laissant sur une sensation particulière et dérangeante où quand les bourelles deviennent victimes, nous ne pouvons nous réjouir tant c’est affreux mais en même temps, après leurs actes, il est difficile d’avoir de l’empathie. Et c’est là que l’aspect psychologique est traité de manière très intéressante car il est difficile de savoir ce que ressent Sara quand elle voit la camionnette du tueur s’éloigner avec, à son bord, ses harceleuses. Son silence est-il marqué par la peur ? Ou alors ressent-elle une certaine satisfaction intérieure face à cette vengeance « divine » ? Difficile de répondre à ces questions qui resteront en suspens jusqu’à la fin et peut-être même au-delà.

En second rôle, Carmen Machi est comme toujours très juste dans son rôle de mère, sévère, voulant le bien de sa fille et qui, en pensant bien faire, ne se rend pas compte qu’elle ne fait qu’aggraver la situation. Une famille aimante mais qui ne sait pas s’y prendre et qui, par sa maladresse, contribue à l’isolement et au mal-être de la jeune fille. Tout comme la scène dans la boucherie où son père ne voit pas que sa fille est isolée du reste des adolescentes et ne trouve rien de mieux que de leur dire que c’est sa fille qui a tué les lapins. Rien d’étonnant alors que Sara soit perturbée et ne sache comment réagir face à ce tueur inconnu qui semble être le seul à la comprendre, à veiller sur elle et à l’aimer comme elle est. Et il faut dire que ce tueur, interprété par l’excellent Richard Holmes, nous apparaît presque comme sympathique. Loin de l’image de certains tueurs en série sanguinaires où leurs crimes peuvent se lire sur eux, ce dernier a un visage et un regard extrêmement doux. Et malgré ce quelque chose de bestial qui le lie aussi à Sara, sa « bienveillance » envers elle nous amène à ressentir nous aussi une sorte d’empathie à son égard.

Mention spéciale également à la bande-son du film que l’on doit au français Olivier Arson, habitué à collaborer notamment sur les films de Rodrigo Sorogoyen, et qui contribue à renforcer un certain côté bestial et une incroyable montée en tension. Le tout toujours accompagné par le puissant regard de l’actrice et sa forte respiration qui ne manquent pas de nous tenir éveillés, quasi asphyxiés, nous aussi. A cela s’ajoute l’ambiance étouffante d’une petite ville où tout le monde se connaît et où les commérages vont bon train, le tout couplé à la chaleur suffocante d’une ville du sud de l’Espagne en plein été, avec des corps qui transpirent. Dans le dernier quart d’heure du film, la tension psychologique qui nous habitait jusque- là se transforme en une véritable « boucherie » (âmes sensibles s’abstenir), avec des rebondissements qui nous tiennent en haleine et contribuent à finir de faire grimper la tension à son maximum, comme pour tout bon film de genre qui se respecte.

Carlota Pereda aurait tout à fait pu traiter le sujet du harcèlement et de la grossophobie d’un point de vue social sans avoir besoin de recourir au cinéma d’horreur. Dans une récente interview, celle-ci explique justement que, pour elle, le cinéma d’horreur est le moyen de toucher un autre public et donc de permettre d’emmener plus loin la réflexion quand le cinéma dit « social » s’adresse à un public plus restreint de cinéphiles qui sont en général déjà convaincus. Ce premier long métrage de la cinéaste est donc une vraie révolution dans le cinéma de genre où, grâce à l’incroyable interprétation de Laura Galán, elle bouscule volontiers les codes d’un genre bien souvent assimilé et réservé aux hommes. Du scénario en passant par la mise en scène et l’interprétation de ses comédien·ne·s, tout est réuni pour faire de Cerdita une pépite résolument féministe et époustouflante et qui sans aucun doute marquera un avant et un après dans le cinéma de genre où il faudra désormais compter avec le talent de Carlota Pereda.

Vu dans le cadre du festival Cinespaña, à Toulouse, le 9 octobre 2022.

Sortie en salles le 2 novembre 2022

Agathe Ripoche


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