Films
Libertad
Après Lina de Lima de María Paz González (co-production chilienne, péruvienne et argentine de Quijote Films, Gema Films et Carapulkra Films) réalisé en 2019, c’est au tour de Clara Roquet de traiter l’émigration féminine au sein d’une famille passant l’été dans sa résidence de Majorque. Clara Roquet, la seule espagnole à faire partie de la compétition de la Semaine de la Critique à Cannes cette année, propose un film de genre par les regards croisés, les larmes cachées et les rires partagés de Nora et de la nouvelle arrivante colombienne, Libertad.
Un film à la co-production espagnole et belge qui nous transporte sur plusieurs niveaux de lecture. Deux heures pour construire un arbre généalogique familial -la tradition des cinéastes espagnoles a toujours très bien su le faire-. Un film de genre où les enfants de la grande dame Angela (Vicky Peña) se retrouvent pour un nouvel été à vivre. Mais cet été ne ressemblera pas aux autres, étant donné l’état d’avancement de la maladie d’Alzheimer dont est atteinte la matriarche. Un regard tendre posé sur une fin de vie qui bousculera chaque membre un peu plus qu’il ne l’est déjà. Leur père étant décédé, ces enfants de 40 ans interprétés par Sergi Torrecilla, David Selvas, Oscar Muñoz et Nora Navas (Teresa) sont assez à la dérive. Ils n’ont nulle famille, ne sont pas à l’aise d’un point de vue financier, ni à l’abri de leur propre fracture, déconstruction ou mutation.
Et il y a Rosana jouée par Carol Hurtado, le contrepoint qui nous permet la distance. Elle est à part et au centre en même temps, tant pour l’histoire en soi d’une famille qui se paie les services d’une jeune femme colombienne pour réaliser les tâches qu’elle ne souhaite pas faire, que pour le maintien à flot de cette famille et de sa propre famille. Rosana est celle qui leur permet de garder les pieds sur terre, dese situer tous dans un lieu et un temps bien plus réalistes et à la dimension plus large et complexe.
Rosana est à l’image de l’île, stable comme un rocher, immuable devant l’adversité de ce qui l’entoure. Pour elle aussi, cet été sera différent. Endeuillée tout en discrétion par la mort de sa mère à Cali, elle accueille sa fille qu’elle n’a pas pu élever au pays. Libertad avait 5 ans lorsque sa maman a pris le chemin de l’exil – certainement la seule option qui lui était proposée – et elles se retrouvent, par la force des choses, avec cette famille, 10 ans plus tard. Vient alors l’histoire de la famille de Rosana entremêlée avec celle de Teresa. Deux femmes qui ont finalement grandi ensemble mais avec des statuts sociaux différents. D’un point de vue affectif, leur place dans la relation avec Angela la matriarche s’est interchangée. Libertad arrive et compte bien ne pas suivre les pas de sa mère, ni de l’autre mère, ni de Nora l’autre jeune fille de 15 ans qui n’a pas vécu les mêmes douleurs. Libertad débarque comme un bateau à la conquête de Terres Nouvelles tout en souhaitant ardemment le retour. Libertad n’a pas envie d’être là et fera tout pour récupérer ce qui était à elle : sa mère, sa vie, son pays au risque de faire souffler fort son vent de liberté dans cette famille de cœurs brisés. Nora, elle, comprendra et tentera, en vain, de participer aux volontés de Libertad. Mais c’est bien Libertad qui reprendra à la vie ce qui lui a été enlevé. Et c’est Nora qui, cette fois-ci, se trouvera dans la distance. Enfin… Nora, ne serait-elle pas un peu Clara Roquet ? L’histoire de ce film a le goût de l’expérience vécue.
Une première mondiale, Libertad est un film en compétition à Cannes pour lequel nous applaudissons le travail des actrices, jeunes et confirmées, tout autant que le scénario qui prend le temps de naviguer suivant les évolutions des personnages.
Nous saluons le parcours de la réalisatrice Clara Roquet (deux courts-métrages : El Adiós et Good Girls) qui travaille avec des équipes du cinéma espagnol que nous apprécions tout particulièrement comme Carlos Marques-Marcet, Jaime Rosales ou Isabel Coixet.