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Biabu Chupea : un grito en el silencio

Biabu Chupea : un grito en el silencio

Priscila Padilla
Documentaire | Colombie, Bolivie | 2019 | 1h 23min
9e Panorama du cinéma colombien
Biabu Chupea : un grito en el silencio
Avec ce nouveau documentaire, Priscila Padilla continue de donner la parole aux femmes et de rendre visibles leurs luttes pour un monde meilleur, comme elle l’avait déjà fait en 2006 avec La eterna noche de las doce lunas. Cette fois, elle s’intéresse au peuple autochtone Emberá-Chamí où une tradition veut que les filles subissent une ablation de leur clitoris à la naissance. Malgré la noirceur du sujet, couleurs, chants et notes d’espoir font de ce documentaire une réussite et un témoignage essentiel sur une pratique qui, bien que datant de la colonisation, pèse toujours autant comme une malédiction sur la culture Emberá et sur les femmes en particulier.

Si à la lecture du résumé, nous pouvions nous attendre à un documentaire lourd et sombre sur un sujet difficile, ce n’est absolument pas le cas. Bien au contraire ! Priscila Padilla nous livre là un documentaire extrêmement lumineux, à l’image de ces femmes qui, malgré la douleur qu’elles portent en elles, rayonnent à l’écran. Leur calme, leur force et leur courage est particulièrement mis en valeur par la réalisatrice. A l’inverse de Luz, toujours seule dans cette grande ville et qui ne montrera jamais son visage face caméra, les femmes sont toujours filmées en groupe, en train de travailler et/ou d’échanger sur leurs coutumes et leurs ressentis. La réalisation est telle que nous nous sentons très proches de ces femmes, comme dans l’émission Voyage en terre inconnue où les invité.e.s sont en immersion et découvrent le quotidien d’une communauté. La scène où elles partagent ensemble un chocolat chaud tout en parlant du rapport à leurs corps en est un bon exemple.

 La réalisation s’articule autour de plusieurs oppositions : celle de la ville et de la nature, de la grisaille de Bogotá avec les couleurs flamboyantes des bijoux Emberá ou encore celle de la solitude de Luz comparée à la communauté soudée des femmes. L’opposition est présente également dans le quotidien de Luz car même si elle a fait le choix de vivre seule et d’abandonner son territoire, elle n’a en aucun cas renié sa culture et continue de maintenir vivantes certaines traditions : les traces protectrices du tigre qui accompagnent Luz au quotidien, la récolte de ses cheveux ou encore son artisanat qu’elle vend pour vivre.

 Biabu Chupea : un grito en el silencio c’est le cri de révolte de toutes ces femmes qui souffrent dans leur chair, comme le témoigne le chant de Luz, dans les premières minutes du film : “Ouille. Mon corps. Il souffre. J’ai mal au corps”.

C’est aussi le cri et la voix de toutes ces petites filles mortes des suites de cette pratique barbare, comme le rappelle la réalisatrice qui leur dédie son film. Malgré le poids de la tradition, ces femmes savent qu'elles vivent au sein d’une culture patriarcale toxique. Elles cherchent à sortir de ces schémas traditionnels, à s’écouter et à prendre soin d’elles, à l’instar de leur groupe de plantation. A travers ce dernier, elles souhaitent cultiver des plantes qui aideront les femmes à guérir mais aussi créer un espace où pouvoir parler en toute liberté de leurs corps et de leurs souffrances.

Les Emberá-Chamí ne parlent jamais de leurs corps en public ni même de sexe. Parler de l’ablation est tabou comme le dira un des rares hommes présents dans le documentaire : “Je ne peux pas en parler. C’est comme si on me demandait de dire du mal de ma mère”.

Si j’utilise ici l’expression ablation du clitoris puisque c’est bien de ça qu’il s’agit, les Emberá- Chamí lui préfèrent un autre terme, celui de “traitement” de leur “petite chose” (“puntita”). En effet, selon cette tradition, sans ce “traitement” le clitoris grandirait comme un pénis et les femmes ne trouveraient pas d’époux avec qui se marier. Dans une culture patriarcale où le pénis est avant tout un symbole de pouvoir et de domination, on comprend rapidement que si les femmes en étaient elles aussi dotées d’un, ce serait la fin du règne de la domination masculine. Et dans une société machiste où les femmes sont toujours considérées comme inférieures aux hommes et où leur sexualité est contrôlée par les hommes, cela n’est évidemment pas envisageable. Ce n’est pas sans nous rappeler l’excellent documentaire Female Pleasure de Barbara Miller où des femmes d’horizons et de religions différentes luttent pour conquérir le droit à disposer de leur corps librement.

Le rapport à la terre est aussi très présent dans le film de Priscila Padilla, comme le montrent les nombreuses scènes filmées dans la plantation ainsi que dans les paroles des chants des femmes : “Nous sommes des femmes indiennes Emberá, nous cultivons la terre, nous semons les petites plantes…” Chez les Emberá, tout est relié à la terre. Lors d’un cours d’anatomie, Claudia utilise une magnifique comparaison : celle du clitoris à une fleur qui possède une tige et de très longues racines qui ne se montrent pas. “Le clitoris, c’est comme une plante, il a une racine. Il nous permet d’éprouver du plaisir sexuel, on ne doit pas le couper”. L’espoir est tout de même là. Les femmes Emberá-Chamí ont conscience que ces pratiques sont révolues - elles sont d’ailleurs heureusement de plus en plus rares - mais comme le témoigne une de ces femmes, il est difficile de sortir de ce schéma là : “Nous ne sommes pas coupables [...] La réalité c’est que nous l’avons appris et maintenant nous ne savons pas comment l’abandonner. Nous luttons pour l’éradiquer.

Une ode à la liberté à découvrir absolument avec une mention spéciale aux chants traditionnels qui rythment avec force ce beau documentaire.

Vu à l'occasion du 9e Panorama du cinéma colombien, le 8 octobre 2021.

Agathe Ripoche


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