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Un Film de Fernando Guzzoni
Avec Nicolás Durán, Sebastián Ayala, Alejandro Goic, Gastón Salgado
Drame | Chili | 2016 | 1h 26min
Cinélatino 2018
No Future
Il s'appelle Jesús. Il porte le drame du deuxième long-métrage du scénariste et réalisateur Fernando Guzzoni (La carne de perro, 2012). Il a déjà remporté des prix internationaux et poursuit sa distribution à échelle nationale et festivalière. C'est l'histoire du chemin de croix d'un jeune, représentation d'une génération chilienne invisibilisée.
Jesús et sa bande d'amis ont un groupe de danse. Ils se défient, pastichant les pop-stars coréennes. Ils répètent sur des esplanades du centre de Santiago du Chili, progressent dans les miroirs déformants des bâtiments vitrés des nouvelles multinationales. Des garçons et des filles aux corps androgynes ; marqués, remarqués, démarqués. Une tribu urbaine qui erre sur les scènes saturées tout autant que dans les parcs fermés la nuit. Il faut bien que leur jeunesse se fasse. Ils ne disposent que de celle-ci. Ils la célèbrent chaque nuit un peu plus jusqu'à ce qu'un événement les propulse hors d'elle et hors d'eux. Jesús, héros éponyme, créature libre et parfois égarée, nous arrache le cœur dans sa quête initiatique, dans sa société qui évolue dans le flou, dans sa génération reniée.

Fête, sexe et famille

Pas d'école, pas de formation. Un lycée à moitié terminé. Etre à la dérive. Etre tout court, c'est déjà pas mal pour Jesús qui, avec ses amis, vit le péril jeune dans la lumière du jour, dans sa plus pure nudité, dans ses sentiments libérés. Dans les ombres hantées des nuits déjantées aussi. Lui et les autres dansent sérieusement, boivent goulûment, fument, draguent, baisent. Ils sont libres, la plupart du temps. Les quelques parenthèses de Jesús partagées avec son père, à la marge des autres, pèsent. Il est distant, froid et ne compense pas sa négligence. Fernando Guzzoni dit l'intime de cette famille avec grandeur : lumières tamisées, rideaux ouverts sur la ville insomniaque, des silences masculins, des regards qui ne se croisent pas, les visages de profil, il use de lignes obliques comme s'ils étaient tous en faute -manque- d'amour. Toutes les barrières, fenêtres, parois sont traversables, perméables, fracturables à l'image de leurs cœurs brisés, de leurs mères absentes, d'une patrie qui les abandonne.

La meute ou l'isolement

Le premier chef de la manade de Jesús est bien son père, interprété par Alejandro Goic (El Club de Pablo Larraín, 2015). Il essaie d'assumer sa fonction lorsqu'il retrouve son fils, de manière irrégulière, en fonction de son temps professionnel. Il est d'une autre génération, des années 50, issu des gouvernements d'Allende et de Pinochet, marqué par le devoir du citoyen, défragmenté par la terreur dictatoriale, fracturé par le manque d'affect. Ce père va devoir faire un choix : il décidera et ne se retournera pas. Sera-t'il celui qui sauvera Jesús ?

Il y a aussi l'autre chef, le Suprême, celui par lequel dérivent les jeunes fils et les parents épuisés : l'Etat. Il est celui qui abandonne ses enfants, qui n'assume pas sa part de responsabilité, celui qui presse les libertés pour ne rien faire de leur suc. Tous tombent dans l'isolement. Le No Future des Sex Pistols donne le ton, depuis le générique de début jusqu'au nihilisme narratif de la fin. Le réalisateur permet aux spectateurs de prêter l'oreille aux détails : les médias officiels intoxiquent de la même manière que les médias des rebelles narcos dont les vidéos circulent chez les jeunes. C'est par l'erreur de Jesús que le spectateur fera l'expérience d'un Chili amer : celui du devoir social qui dépasse l'entendement, celui de l'ordre collectif qui dépasse la liberté individuelle, celui qui immobilise les citoyens dans l'accélération du monde actuel.

Comment faire?

Comment Jesús et ses camarades pourraient-ils avancer s'ils sont sans cesse gâchés ? Comment un père saurait-il s'y prendre s'il s'absente ? Comment un pays pourrait-il progresser s'il ne prête pas l'attention nécessaire à sa jeunesse ? Le film nous donne à voir au moins le mécanisme du nihilisme d'état. Rien ne s'installe dans le film, les jeux d'acteurs ne sont jamais répétitifs. A la ville s'oppose la nature, aux lumières jaunes des nuits, l'eau froide et purificatrice de rivières originelles. Jesús sera trahi par les siens, son père un martyr. Fernando Guzzoni traduit en image le poids du devoir, de la culpabilité, de l'impossible échappatoire. Les personnages ne sont pas des stéréotypes, ni des fous ni des idéalistes, néanmoins, une problématique délaissée. Avec Jesús, on sort des pistes, on gagne en légèreté de l'être puis on chute, on attend, on s'interroge. La violence est organique, la mise en scène réaliste. Les jeunes désinhibés dévoilent le vrai visage de la mécanique sociétale telle une sacrée grande faucheuse.

Fernando Guzzoni avait débuté l'écriture du scénario de Jesús-Petit Criminel puis quelques temps après s'est déroulé un fait divers à San Borja Park en 2012 qui a donné l'orientation définitive au film. Il propose une analogie de la société chilienne par la mise en scène d'une jeunesse abandonnée. Les traces du régime dictatorial, du passé colonial et des structures puissantes des peuples des origines collent à la peau des personnages. A quoi bon le pouvoir des sociétés contemporaines si la jeunesse meurt ? Jesós n'est pas un petit criminel, il est la lumière que tous tendent à éteindre, sauf le cinéma. Le spectateur sortira de la salle de projection certainement tatoué par cette représentation absolue de l'amour, de ses carences et de ses défaites.

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