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Manda huevos

Diego Galán
Avec Carmen Machi, Voix Off
Documentaire | Espagne | 2016 | 95 mins
Manda huevos ou la fiction du cinéma documentaire

Drôle et instructif tel est Manda huevos le dernier film de Diego Galán. Instructif car derrière l'affirmation du projet énoncé dès le début du film par la voix narrative « donner une image de l'homme Espagnol à travers des extraits de films » le réalisateur cache à peine le véritable objet de son film : une réflexion sur l'homme sans doute, l'Histoire aussi, mais surtout sur la production cinématographique espagnole.

Séance du 18 Juin 2017 pour le Festival "Dífferent! 10" à Paris.

Film découvert au Festival Cinespaña 2016 à Toulouse. 

Un cinéma entre fiction et documentaire

Diego Galán met à profit le montage habituel d'un documentaire (l'addition d'une succession d'extraits et d'une voix off qui les commente), et en visionnant Manda huevos, l'on trouvera de véritables informations sur l'Histoire de l'Espagne, des informations véridiques et en principe ordonnées chronologiquement.

Depuis la difficile période de l'après guerre, partagée entre la propagande franquiste et la misère, l'ouverture du pays et le tourisme, l'avènement de la société de consommation et les problèmes plus actuels, c'est toute l'Histoire de l'Espagne de l'après guerre jusqu'à nos jours qui se déroule sous nos yeux. Manda Huevos c'est l'Histoire d'un pays à travers celle de « l'homme Espagnol ». Le documentaire dépeint tour à tout l'endoctrinement de la jeunesse sous le franquisme, les problèmes de chômage, l'affirmation de l'homosexualité, entre autres.

La richesse du thème abordé par le réalisateur se traduit par le déploiement de nombreux extraits filmiques issus de divers courants cinématographiques qui se développent parallèlement aux évènements historiques : le cinéma de propagande – élément clé du régime franquiste - suivi de la vague néoréaliste, des films en Technicolor, produits d'une Espagne nouvelle et ouverte sur le monde, jusqu'au cinéma contemporain.

En somme, Manda Huevos raconte une double histoire, celle de l'Histoire vécue et celle de la fiction, l'Histoire réelle et sa représentation cinématographique.

Pour une histoire du cinéma

Si Diego Galán se plaît à utiliser les procédés classiques du documentaire, le spectateur ne tarde pas à se rendre compte que la voix narrative n'est pas toujours objective et que les images choisies pour constituer ce portrait de « l'homme Espagnol » sont toujours fictives et par là même des inventions, des créations qui ne seraient être la réalité. Diego Galán semble nous avertir : un documentaire est une fiction mais un film de fiction peut à son tour constituer un documentaire.

Dans ce discours les images ont bien sûr toute leur importance mais l'élément le plus intéressant est sans conteste cette voix narrative omniprésente qui relie les extraits filmiques et oriente délibérément l'interprétation du spectateur. Notamment en insistant sur le rôle qu'à tenu le cinéma dans l'Histoire de l'Espagne. Cette voix indépendante et malicieuse n'hésite pas non plus à émettre des critiques sur la production cinématographique affirmant par exemple que le cinéma n'aurait pas assez dénoncé les mauvais traitements infligés aux femmes par les hommes.

Un autre aspect notable est que le film fait ressortir cette illusion de vérité produite par le cinéma (et poussée à son paroxysme dans le documentaire) notamment en insistant sur le montage. Nous assistons à une succession ininterrompue d'extraits de films qui forment une mosaïque variée et surprenante. Sous nos yeux défilent, à un rythme soutenu, une multitude de scènes. En principe, l'ordre de ces extraits suit une logique chronologique mais Diego Galán s'amuse avec cette organisation, créant parfois des effets comiques ou permettant de faire ressortir des thèmes forts et constants du cinéma espagnol. Il se plait à intercaler des extraits de films tournés à différentes époques mais dont le thème traité est le même. Une autre façon de nous prouver que les images peuvent être détournées.

Chaque scène choisie apparaît alors comme un microfilm, une séquence autonome et cependant, mises bout à bout, ces scénettes donnent l'impression d'une continuité, d'une homogénéité dans le cinéma espagnol. Un aspect qui est souligné à la fin par la voix narratrice qui affirme que le cinéma a toujours reflété la réalité malgré ses détracteurs. Ainsi, elle insiste sur l'existence d'un cinéma réaliste et engagé, à la fois informatif et militant, en lien avec l'Histoire.

Tout comme « l'homme Espagnol », le cinéma acquiert son indépendance, il grandit, résiste à la propagande, s'émancipe, tente de s'adapter face à un monde en mutation qu'il dépeint de façon réaliste mais souvent drôle et avec beaucoup d'autodérision. Voilà finalement ce qui constitue Manda Huevos, une substance enrichissante, juste et réjouissante. 

 

Sophie Almonacil


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