Films

La Mariée sanglante

Un Film de Vicente Aranda
Avec Maribel Martin, Simon Andreu, Alexandra Bastedo
Horreur | Espagne | 1972 | 1h 40min
Sortie en DVD le 02 Septembre 2014
La lune de miel d'une vampire dans l'Espagne franquiste
En cette rentrée 2014, l'éditeur Artus Films remet à l'honneur trois films fondamentaux de l'âge d'or du cinéma fantastique espagnol dont La Mariée sanglante, cas atypique du cinéma de genre espagnol.
L'éditeur Artus Films, connu des amoureux du cinéma fantastique, remet à l'honneur trois films fondamentaux de l'âge d'or du cinéma fantastique espagnol : Les Vampires du Dr. Dracula (La Marca del hombre-lobo, Enrique L. Eguiluz, 1968), qui marque le début de cet âge d'or qui durera jusqu'en 1975 ainsi que le lancement de la carrière de Paul Naschy, alias Jacinto Molina, le principal représentant de ce genre en Espagne où il est surnommé le « Lon Chaney ibérique ») ; La Mariée sanglante (La Novia ensangrentada, Vicente Aranda, 1972) ainsi que Le Bossu de la morgue (El jorobado de la morgue, Javier Aguirre, 1973). Nous nous intéresserons ici à La Mariée sanglante, cas atypique du cinéma de genre espagnol.

Venant d'épouser un aristocrate (Simon Andreu) plus âgé qu'elle, Susan (Maribel Martin) vient vivre dans le manoir familial de ce dernier. Rapidement, elle devient la proie d'horribles cauchemars, mêlant violence et volupté. Ses peurs ne font qu'augmenter quand elle apprend l'histoire tragique de Carmilla, une ancêtre de la famille, qui aurait tué son mari à coups de poignard. Un jour, son mari découvre une jeune femme (Alexandra Bastedo) enterrée vivante sur la plage. Cette dernière, qui dit s'appeler Carmilla, étend son emprise sur Susan.

Le film d'horreur comme outil d'opposition au franquisme

Vicente Aranda s'est librement inspiré de la nouvelle Carmilla (1872) de l'Irlandais Joseph Sheridan Le Fanu, alors très en vogue à cette époque puisque cette même nouvelle est adaptée en Angleterre (The Vampires Lovers, Roy Ward Baker, 1970) comme en France (Et mourir de plaisir, Roger Vadim, 1960). L'adaptation de ce récit traitant du saphisme est surtout pour lui l'occasion d'explorer ses thèmes de prédilection que sont la cruauté masculine, l'érotisme et, comme d'autres réalisateurs de l'époque qui profitent des faiblesses de la censure, les valeurs conservatrices et patriarcales de la bourgeoisie franquiste. La Mariée sanglante est en cela très ancrée dans la réalité sociale de l'Espagne franquiste, contrairement à la plupart des autres films d'horreur espagnols qui, soumis aux contraintes du régime, devaient situer leur intrigue en dehors du pays.

Susan doit faire face à un mari autoritaire qui n'hésite pas à la harceler et la blesser, sous prétexte que celle-ci refuse de consommer le mariage. Le mari (qui n'a d'ailleurs pas de nom) représente en cela l'homme tel qu'il est défini par le régime franquiste : viril, dominateur, et bien sûr défenseur ardent du catholicisme. Le mariage est ici décrit comme un acte forcé pour la femme, un jalon de plus vers la possession de la femme par l'homme. Dans cette métaphore de la société espagnole à la fin du franquisme, Susan personnifie un certain asservissement féminin, condition qui ne peut être dépassée que par la vengeance meurtrière. Une histoire de lesbiennes vampires n'est déjà pas anodine dans le contexte de la dictature puritaine de Franco, mais lorsqu'on y ajoute le fait que les hommes du film y sont pour la plupart massacrés à coups de poignard ou au fusil, de préférence dans les parties génitales, il est clair que La Mariée sanglante a tout du film d'horreur politique. Un brûlot féministe et subversif qui, malgré tout, se conclut par la répression brutale des deux femmes vampires.

Un film en rupture avec la production horrifique espagnole

La Mariée sanglante est un film éloigné de ce que peuvent offrir les autres films d'horreur produits en Espagne au début des années 1970. Loin de la veine commerciale, représentée par exemple par les nombreux films de loup-garou interprété par Paul Naschy, il s'agit d'une œuvre dont la réalisation témoigne de l'affiliation de Vicente Aranda au mouvement avant-gardiste de l'École de Barcelone. La mise en scène est travaillée dans les moindres détails, et le réalisateur n'en oublie pas d'apporter des fulgurances sanglantes et des scènes renvoyant autant au surréalisme qu'au gothique italien, Mario Bava en tête. En jouant habilement entre les frontières du réel et de l'onirique, il pousse aussi le spectateur à déchiffrer les nombreux symboles psychanalytique que comportent son film, plongée angoissante dans les fantasmes féminins interdits de l'époque.

Artus Films permet enfin de profiter des meilleures conditions possibles pour voir le film, en version originale sous-titrée ou en français, et avec une qualité d'image optimale ne dénaturant jamais le grain argentique. Une occasion parfaite pour admirer la composition des plans de Vicente Aranda ou la beauté des décors naturels qui offre un panorama de la tradition gothique : antique manoir lugubre envahi par la végétation luxuriante, forêt inquiétante, monastère en ruine et cryptes sombres... Un univers typique du cinéma fantastique revisité ici avec une grande puissance d'évocation et des acteurs impliqués. On trouve pour tout bonus dans ce DVD une scène alternative destinée au marché français.

Pour en savoir plus sur l'âge d'or du cinéma fantastique espagnol, un entretien passionnant ainsi qu'un livret instructif écrit par Alain Petit accompagnent le DVD du Bossu de la morgue, indispensable pour s'immerger dans cette époque charnière de la rupture cinématographique, en Espagne comme ailleurs.


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