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Pachamama
Film réalisé par Juan Antin après dix ans de maniement du projet et de Mercano le Martien en 2002. Il attiré notre attention au-delà de la production franco-belge. Beaucoup d'humilité et de références culturelles sagaces pour ce long-métrage d'animation haut en couleur, en musique et en valeur transversale habile. Une technique loin des studios mastodontes, trop souvent agressifs pour nos yeux et nos oreilles, trop souvent pauvres d'un point de vue narratif. C'est bien Didier Brunner, le producteur de Kirikou et d'Ernest et Célestine (studios Folivari), qui a accompagné le cinéaste et son équipe dans une mise au service des plus exigeants spectateurs, tous âges confondus, et nous régale d'un film d'animation d'une exceptionnelle qualité qui fait sens.
Le récit narratif
Pachamama vient de loin et il est le résultat de nombreux gestes précis et réfléchis. Il nous donne à voir ce qui est étranger aux récits de notre bassin méditerranéen. Tepulpaï (voix de Andrea Santamaria) et Naïra (voix de India Coenen) partent en quête de la huaca de leur village, totem pillé par les représentants du fils de l'Inti, le Grand Inca (voix d'Alexandre Harrouch) saugrenu et colonisateur des terres andines. Les deux jeunes sont guidés sur leur chemin vers Cuzco par le sens du devoir hérité de leur tendre Walumama (voix de Marie Christine Darah) et le respect pour leurs ancêtres. Ils rencontreront des obstacles et des mains tendues, ils participeront à l'histoire non seulement du peuple andin face au pouvoir abusif des Incas mais aussi à celle du monde dit ancien avec l'arrivée destructrice des Espagnols, assoiffés d'or et de violences. Pachamama est aussi ce personnage métaphorique par qui des traditions fondamentales nous seront révélées. Le Chaman ( voix de Saïd Amadis) nous transmettra les us et coutumes ancestraux et l'esprit communautaire. Nous apprendrons l'Inti, ses manies, ses impôts, l'avarice du colonisateur, quelqu'il soit, le rite initiatique consistant à donner à la terre ce que l'on a de plus précieux et qui signifie que l'on est grand. Avec la Pachamama, être grand donne envie. Nous découvrirons aussi les offrandes, la lune, la protection des ancêtres et la fête de la Pachamama, le rapport à la Terre, la générosité, la solidarité et la responsabilité des civilisations bien trop peu respectées et méconnues. Le récit narratif (scénario rédigé par Juan Antin, Patricia Valeix, Olivier de Bannes des studios Ayllu Animaciones et Nathalie Hertzberg) donne à voir les couleurs de l'humanité dans cette zone du globe à une époque précise, mais aussi à en entendre sa musique.
Le traitement de la musique et de l'image
Le récit historique de Pachamama est abordé grâce au soin réservé à la bande son et au montage cinématographique. L' engagement du cinéaste et de toute son équipe (Aurélie Raphaël, Maria Hellemeyer pour la direction et création artistique) est placé du point de vue des vaincus (cf. Nathan Wachtel) et se traduit par les ressources techniques et créatives originales du film. Pierre Hamon a oeuvré comme si une synchronicité s'entendait pour ce film : grand collectionneur d'instruments musicaux amérindiens, collaborateur de Jordi Savall, spécialiste de musiques de Guillaume de Machaut, voisin inattendu du réalisateur, il a réussi à insuffler une utilisation noble de son matériel comme des vases siffleurs, des flûtes originales en céramique et à créer des ambiances sonores cohérentes. Ainsi, ce film nous rapproche sans imposture de la puissance du récit. La huaca du film représente alors le tout : une semence à préserver. Son caractère écologique, chamanique et contemplatif participe à l'émerveillement et à la lutte contre les idées fausses. L'image en ce sens est aussi sensorielle. La volonté esthétique rassure et donne de l'espoir sur les futures propositions visuelles des films d'animation : le parti pris de l'émotion est ce qui nous en met plein la vue, non une esthétique gênante pour nos yeux. Le grain de l'image est travaillé comme une poterie argileuse, une terre cuite, les couleurs choisies en cohérence avec le sujet et l'époque traités. On salue le choix de l'équipe qui a laissé de côté l'usage du Stop-Motion pour la 3D (en collaboration avec Blue Spirit). Le graphisme de Pachamama prouve qu'un film abordant une communauté indigène aujourd'hui, depuis le regard de sa jeunesse et dans une volonté de détruire les fausses idées est possible et accompagne la reconnaissance et la diffusion d'une culture riche et toujours vivante.
Pachamama n'est pas une fable pour incrédules, c'est un film qui s'impose comme une identité artistique et culturelle unique à ceux qui ne souhaitent pas perdre leur temps. Les défis du budget modeste élèvent les choix cinématographiques vers l'essentiel : éveiller le spectateur à une autre image, un autre son, une autre Histoire. La curiosité du public sera délicieusement assouvie, il trouvera avec Pachamama une aventure, des émotions et du sens. Peut-être que la vision enjouée d'un village en paix sera remise en question, mais Tepulpaï, Naïra, Juan Antín et les autres seront là pour continuer à nous éveiller à la cosmogonie et à l'histoire que l'on ne montre pas assez.