Interviews
Albert Serra - Le Chant des oiseaux
Un vrai film religieux, le premier depuis longtemps.
Albert Serra aime s'attaquer à des monuments de littérature. Son premier film - Honor de Cavalleria - était une approche originale du Quichotte de Cervantes, et voilà que cette fois avec Le Chant des oiseaux, il prend comme cible des personnages bibliques, les rois mages. Réalisés en marge des réseaux traditionnels de production avec des moyens réduits, ces films ont retenus par deux fois l'attention de la Quinzaine des réalisateurs et de nombreux festivals de par le monde.
Comment ont été choisis les personnages du Chant des oiseaux? Pourquoi ce sujet biblique?
Je voulais continuer dans la voie d'Honor de Cavalleria, mais en plus abstrait. Lors des débats après les projections d'Honor, tout le monde admirait les paysages, disait que je devais énormément les aimer, bien les connaître... A la cent quarantième fois, je commençais à être fatigué de cet humanisme petit-bourgeois du paysage, du personnage. J'ai pensé que le prochain film devait être différent. On a décidé d'aller tourner très loin, dans un lieu trouvé sur Google Earth quinze jours avant le tournage. Je suis allé faire des repérages en Islande, aux Canaries et en France la semaine précédant le tournage. Il me fallait des lieux austères et tranquilles où je pourrais faire du son direct sans bruit. Je n'aime pas le monde contemporain. Honor de cavalleria avait encore une forte dimension dramatique, avec deux personnages très différenciés, même si leur relation restait simple. C'est en réaction à cela que j'ai choisi de faire un film à partir des rois mages - ils étaient trois, quatre ou douze selon les sources. On ne sait pas vraiment s'ils étaient rois ou magiciens, on ne sait rien d'eux. Des paysages et des personnages dont je ne savais rien, c'était parfait.
Des personnages les moins définis possibles?
Oui, ils sont complètement vagues. J'ai fait quelques recherches avant d'écrire, mais très peu, juste pour quelques détails. J'ai écrit le scénario en un jour et demi, le dernier d'un séjour à Mexico et pendant le vol de retour pour Barcelone. J'ai compris avec Honor que le scénario ne servait qu'à obtenir des financements, mais qu'il me servait très peu au tournage. Pour celui-là il n'y a que des idées esthétiques, quelques fantaisies auxquelles je tenais. Dans le scénario, j'écrivais toujours : "Un roi dit ça, ou fait ça". Un roi, sans dire lequel, sans jamais le nommer ou le caractériser psychologiquement. Parce que cette dramatisation ne m'intéressait pas.
Vous avez pris les mêmes acteurs. Du coup, on reconnaît un peu du Quichotte dans le roi incarné par Lluís Carbó. Idem pour Sancho. N'était-ce pas une crainte?
Au début oui, mais le résultat m'a rassuré, le film ne rappelle pas vraiment Honor. Cela dit, au montage, j'ai coupé tout ce qui rappelait trop fortement les personnages du Quichotte et de Sancho dans le comportement des acteurs. Car c'est vrai que Lluís Carbó se prenait encore un peu pour le Quichotte – c'est ce à quoi il était habitué. Mais je n'ai attaché aucune importance à la personnalité de mes acteurs. Ils sont là, ils sont les rois mages, c'est tout. Le contenu de fiction est très fort, j'en suis convaincu, et ça me suffit, je ne tiens pas à ce qu'ils jouent d'une façon ou d'une autre. Je tiens à ce qu'ils soient bons. Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, si c'était bien ça m'allait. J'ai repris les mêmes acteurs parce que je n'en connais pas d'autres, et qu'ils sont bons. Le film est différent.
Qu'est-ce qu'un « contenu fictionnel très fort »?
Une histoire du passé, déjà connue, qui donne naturellement un niveau de fiction élevé. Une grande différence avec Honor, c'est la quasi-absence de dialogues. Dans Honor, il y a un sujet, même petit, avec des personnages définis, qui appellent une certaine dramatisation. Ici, il n'y en a pas, ce qui rend très difficile d'écrire des dialogues. C'est assez proche du dernier Tarantino, Boulevard de la mort, qui comporte beaucoup de dialogues, mais on ne se rappelle quasiment d'aucun sujet car il n'y a pas de dramatisation. Cela donne une sorte de théâtre de l'absurde : les dialogues sont là, mais comme ils ne contiennent aucune information dramatique en rapport au sujet du film, ils sont là comme le paysage et les acteurs, simplement pour être là, pas pour faire avancer le film ou développer son sujet.
Alors qu'est-ce qui fait la force du film? La dimension graphique?
La foi. Pas religieuse, mais la foi dans le film. L'intuition qu'il y a là quelque chose de poétique. Il n'y a pourtant rien derrière les images. Ce n'est pas la spiritualité, la métaphysique de l'art abstrait. C'est aller encore plus loin. Un lyrisme très moderne, je crois.
Ou très primitif. On pense à la peinture médiévale, d'avant la Renaissance, où tout ce que l'on voit n'est là que pour témoigner de la foi. Il n'y a sur le tableau que l'existence de la foi.
C'est vrai, c'est pourquoi il n'y a pas de perspective, ni au niveau du drame, ni au niveau visuel. Pas de volume spatial ou psychologique. Comme un retable médiéval. Les plans sont posés l'un à côté de l'autre, comme témoins d'une foi, mais sans que cette foi s'effectue dans une construction, une perspective. Je crois que c'est un vrai film religieux, le premier depuis longtemps.
Je voulais continuer dans la voie d'Honor de Cavalleria, mais en plus abstrait. Lors des débats après les projections d'Honor, tout le monde admirait les paysages, disait que je devais énormément les aimer, bien les connaître... A la cent quarantième fois, je commençais à être fatigué de cet humanisme petit-bourgeois du paysage, du personnage. J'ai pensé que le prochain film devait être différent. On a décidé d'aller tourner très loin, dans un lieu trouvé sur Google Earth quinze jours avant le tournage. Je suis allé faire des repérages en Islande, aux Canaries et en France la semaine précédant le tournage. Il me fallait des lieux austères et tranquilles où je pourrais faire du son direct sans bruit. Je n'aime pas le monde contemporain. Honor de cavalleria avait encore une forte dimension dramatique, avec deux personnages très différenciés, même si leur relation restait simple. C'est en réaction à cela que j'ai choisi de faire un film à partir des rois mages - ils étaient trois, quatre ou douze selon les sources. On ne sait pas vraiment s'ils étaient rois ou magiciens, on ne sait rien d'eux. Des paysages et des personnages dont je ne savais rien, c'était parfait.
Des personnages les moins définis possibles?
Oui, ils sont complètement vagues. J'ai fait quelques recherches avant d'écrire, mais très peu, juste pour quelques détails. J'ai écrit le scénario en un jour et demi, le dernier d'un séjour à Mexico et pendant le vol de retour pour Barcelone. J'ai compris avec Honor que le scénario ne servait qu'à obtenir des financements, mais qu'il me servait très peu au tournage. Pour celui-là il n'y a que des idées esthétiques, quelques fantaisies auxquelles je tenais. Dans le scénario, j'écrivais toujours : "Un roi dit ça, ou fait ça". Un roi, sans dire lequel, sans jamais le nommer ou le caractériser psychologiquement. Parce que cette dramatisation ne m'intéressait pas.
Vous avez pris les mêmes acteurs. Du coup, on reconnaît un peu du Quichotte dans le roi incarné par Lluís Carbó. Idem pour Sancho. N'était-ce pas une crainte?
Au début oui, mais le résultat m'a rassuré, le film ne rappelle pas vraiment Honor. Cela dit, au montage, j'ai coupé tout ce qui rappelait trop fortement les personnages du Quichotte et de Sancho dans le comportement des acteurs. Car c'est vrai que Lluís Carbó se prenait encore un peu pour le Quichotte – c'est ce à quoi il était habitué. Mais je n'ai attaché aucune importance à la personnalité de mes acteurs. Ils sont là, ils sont les rois mages, c'est tout. Le contenu de fiction est très fort, j'en suis convaincu, et ça me suffit, je ne tiens pas à ce qu'ils jouent d'une façon ou d'une autre. Je tiens à ce qu'ils soient bons. Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, si c'était bien ça m'allait. J'ai repris les mêmes acteurs parce que je n'en connais pas d'autres, et qu'ils sont bons. Le film est différent.
Qu'est-ce qu'un « contenu fictionnel très fort »?
Une histoire du passé, déjà connue, qui donne naturellement un niveau de fiction élevé. Une grande différence avec Honor, c'est la quasi-absence de dialogues. Dans Honor, il y a un sujet, même petit, avec des personnages définis, qui appellent une certaine dramatisation. Ici, il n'y en a pas, ce qui rend très difficile d'écrire des dialogues. C'est assez proche du dernier Tarantino, Boulevard de la mort, qui comporte beaucoup de dialogues, mais on ne se rappelle quasiment d'aucun sujet car il n'y a pas de dramatisation. Cela donne une sorte de théâtre de l'absurde : les dialogues sont là, mais comme ils ne contiennent aucune information dramatique en rapport au sujet du film, ils sont là comme le paysage et les acteurs, simplement pour être là, pas pour faire avancer le film ou développer son sujet.
Alors qu'est-ce qui fait la force du film? La dimension graphique?
La foi. Pas religieuse, mais la foi dans le film. L'intuition qu'il y a là quelque chose de poétique. Il n'y a pourtant rien derrière les images. Ce n'est pas la spiritualité, la métaphysique de l'art abstrait. C'est aller encore plus loin. Un lyrisme très moderne, je crois.
Ou très primitif. On pense à la peinture médiévale, d'avant la Renaissance, où tout ce que l'on voit n'est là que pour témoigner de la foi. Il n'y a sur le tableau que l'existence de la foi.
C'est vrai, c'est pourquoi il n'y a pas de perspective, ni au niveau du drame, ni au niveau visuel. Pas de volume spatial ou psychologique. Comme un retable médiéval. Les plans sont posés l'un à côté de l'autre, comme témoins d'une foi, mais sans que cette foi s'effectue dans une construction, une perspective. Je crois que c'est un vrai film religieux, le premier depuis longtemps.
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