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Affiche

Un amor

Un Film de Isabel Coixet
Avec Laia Costa, Hovik Keuchkerian, Luis Bermejo, Hugo Silva
Drame, Romance | Espagne | 2024 | 2h09
¿Llegar a una casa vieja será un refugio?
"Paralèle avec le témpoignage direct d'une femme Al Fuj en Afrique guinéenne, traduit par l'actrice principale dont c'est le métier : Laia Costa."

« Une maison en ruine » dit le propriétaire. Des fissures, de la poussière, une maison abandonnée qui a certainement survécu à ses habitants. C’est là que débarque notre secrète femme protagoniste, Natalia. C’est avec elle que nous découvrons des habitants d’un village tant familiers qu’antipathiques. C’est à « La escapa » (nous pourrions traduire par « l’échappée »), au pied des rocheuses du Glaucos (que nous comprenons ici dans son ancrage platonicien comme symbole de l’âme dans sa dégradation) que des aboiements peuplent les nuits.

Et puis il y a Crapule, un chien qu’elle adopte et sauvera, sans véritablement l’avoir décidé. Elle tente de s’affirmer auprès de son propriétaire abusif mais à quoi bon, elle baisse les yeux. Tout comme Crapule, sait-elle ce que sont la brûlure des cicatrices et les bleus des coups passés ?

Isabel Coixet nous emmène petit à petit dans une intimité perturbante avec Natalia (Bet Rourich à la photographie). Pourquoi a-t-elle choisi ce lieu ? Pour y faire quoi ? Nous sentons qu’elle arrive en souffrance mais de quoi ? Quelques données nous sont dévoilées : elle est interprète. Elle travaille avec une vidéo d’un enregistrement d’une de ses interventions auprès d’une femme victime de viols répétés et autres agressions en Afrique. Elle l’écoute et s’écoute. Ce miroir douloureux éveille notre curiosité et impose la protagoniste dans un cadre complexe. Elle semble rédiger… un rapport ? un livre ? Est-il question de terreurs, de déplacements, d’assassinats, de viols… ? Voilà une piste qui participe directement à la création d’un plateau de tournage rude et rugueux (Jordi Azategui au montage).

Il y a aussi l’obsession de Natalia pour ce logement qui pourtant est invivable. Elle sort aussi dans le village et croise des personnages variés (dont Ingrid García Jonsson en parfaite femme au foyer). mais ayant tous en commun les mêmes aspérités que le décor qui les entoure. On dirait bien qu’il est question ici d’une descente aux Enfers … le titre pour l’amour de soi, peut-être.

Isabel Coixet adapte le livre de Sara Mesa (elle co-scénarise ici avec la réalisatrice et Laura Ferrero), largement lu en Espagne, et met la lumière sur des éléments qui peuvent nous briser. Nous entendons qu’il s’agit là de limites expérimentées par la protagoniste qui la ramènent finalement à elle puis à la vie. Natalia ne sera plus cette femme exposée dans les vitraux du hippie de service (Hugo Silva) qui lui a lui-même attribué, grand fan de Neruda, la phrase « Me gustas cuando callas »[« J’aime quand tu te tais »]. Natalia parviendra à se hisser au-delà du Glaucos, son chien se libérant tout autant qu’elle, pour être celle qui bouge, s’émeut et se montre bel et bien vivante. Elle s’est nuancée avec les mots qu’elle interprète et traduit (il y a aussi du Simone Veil) puis s’émancipe (musiques de Jan Willem de With). Elle s’en sort, bien que tout lui pèse.

Nous avons beaucoup apprécié le casting et sa performance. Isabel Coixet sait choisir et diriger pour notre plus grand plaisir. Nous avouons avoir été déboussolés par les zones âpres (du village, du voisinage, des scènes de sexualité aussi), par la promiscuité de cette maison à l’image du propriétaire exécrable (Luis Bermejo). Tout et tous sont si grégaires. Nous voulons en savoir plus sur les femmes victimes qu’interprète, à sa manière, le personnage de Natalia et que Coixet propose en intégrant aux montages des captations d’entretien. Nous applaudissons aussi le sublime jeu de l’acteur Hovik Keuchkerian qui impose le surnommé « Allemand » comme un autre être déroutant (Coquille d’argent au Meilleur Second Rôle, Festival de San Sebastián 2023). Bravo à Laia Costa qui dévoile des facettes de son personnage complètement troublantes issues d’un travail que nous pouvons largement imaginer très acharné.

Marie-Ange Sanchez


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