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Septembre sans attendre

Un Film de Jonas Trueba
Comédie dramatique | Espagne | 2024 | 1h54
Revenir sans attendre
Depuis qu’il y a cinq ans, le premier film d’une filmographie déjà prometteuse arrivait dans nos salles obscures, l’histoire d’amour entre Jonás Trueba et la France bat son plein. À l’époque, la réception critique et publique d’Éva en août fût couronnée d’une nomination au César du meilleur film étranger. Les films qu’il a réalisés depuis ont tous été distribués en France et ont, à chaque fois, reçu un accueil chaleureux de la part de la critique cinématographique la plus pointue (Cahiers du cinéma et France Culture en tête). Cette histoire entre le cinéaste madrilène et le pays de sa culture d’adoption culmine aujourd’hui logiquement – « enfin ! » diront certains – avec une sélection au dernier Festival de Cannes, dans la section parallèle la Quinzaine des Cinéastes. 

Des films-invitations

                Ce huitième long métrage s’inscrit dans la continuité des précédents autant qu’il vient clore un cycle ou l’interroger. Déjà, la proximité lexicale entre les titres de ses films est éloquente : les précédents Venez voir (Tenéis que venir a verla en espagnol) et Qui à part nous (Quién lo impide) et ici Septembre sans attendre (Volveréis en espagnol littéralement « vous reviendrez ») sonnent et résonnent non pas comme des injonctions mais plutôt comme des invitations amicales à se retrouver ensemble. L’invitation est d’ailleurs le point de départ de trois de ses quatre derniers films qui forment une trilogie sur le couple. Invitation à occuper l’appartement d’une connaissance pendant l’été madrilène dans Éva en août ou à venir voir la maison d’un couple d’amis dans Venez voir. Septembre sans attendre, est l’invitation qu’envoient les deux personnages à leurs amis à venir célébrer leur séparation et le titre espagnol évoque la réaction de certains d’entre eux (volveréis peut vouloir dire également « vous vous remettrez ensemble ») ; c’est aussi l’invitation qu’aurait pu lancer un couple à ses hôtes dans la scène finale du précédent Venez voir ; ou n’est-ce pas plutôt l’invitation d’un réalisateur à ses acteurs, à son équipe technique, sa troupe (le collectif Los ilusos), et à son public de venir se redécouvrir dans un film ?

Variations truebiennes

                Se redécouvrir dans un dispositif familial et familier où le propre père du cinéaste (à l’origine de l’idée du film) interprète le rôle du père de la protagoniste, elle-même cinéaste, est peut-être un des enjeux du film. Jonás Trueba convoque également ses chères complices à l’écran pour composer un film écrit à six mains : Itsaso Arana (qui cosignait déjà le scénario d’Éva en août) et Vito Sanz (autre acteur fétiche du cinéaste) ont coécrit le film. Le cinéaste nous propose également de venir redécouvrir son cinéma dans des variations de mêmes motifs narratifs et cinématographiques. Si dans Éva en août le couple Itsaso Arana-Vito Sanz se formait, dans Venez voir et Septembre sans attendre cet « autre-même » couple s’altère et se déforme. Les personnages traversés par des moments de crise existentielle sont filmés dans une variation de répétitions de plans qui ouvrent un jeu de miroirs et de reflets avec des plans déjà vus dans ses autres films et à l’intérieur même de chacun d’eux : écrans divisés, raccords de regard et champ contrechamp font dialoguer silencieusement des personnages séparés avant la séparation.

Haute dérision

                Le titre original du film renvoie également aux comédies de remariage desquelles il s’inspire et dont il tente de dépasser l’idée rabâchée depuis Éva en août selon laquelle le cinéma nous rend meilleurs. Un ouvrage plusieurs fois cité dans lequel Stanley Cavell tente de démontrer cette idée en construisant une analyse philosophique des comédies de remariage hollywoodiennes. D’ailleurs, le film brille par sa capacité à tourner ses personnages en dérision et à livrer le cinéaste à un exercice d’auto-dérision. Parfois critiqué pour les nombreuses citations littéraires présentes dans ses films, il semble surcharger son film de références, à l’image de la bibliographie remise par le personnage du père à sa fille. Mais, au lieu d’asséner des théories, le film tâtonne, doute, navigue à vue et explore plusieurs possibilités, à l’instar de ses personnages rompus à se poser des questions sans réponses (et pas à un paradoxe près). Son aspect formel est aussi hésitant que ses personnages, dans une seconde partie très réflexive et méta (le film se construit dans le film) sans que cette idée aboutisse complètement. Comme si, finalement, pour Jonás Trueba, plus qu’une possibilité de « nous rendre meilleurs », le cinéma était l’art de mettre à l’épreuve des expériences vitales imaginées, rêvées ou craintes pour en déceler les contours et les apprivoiser. Faire des films pour arriver à vivre ce qu’on ne vivrait pas ou ne voudrait pas vivre dans la réalité. Et, ainsi, trouver des réponses aux questions sans réponses du quotidien et en susciter de nouvelles. En somme, faire du cinéma un lieu où pouvoir, toujours, « revenir » sans attendre…

Paul Buffeteau


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