Films
Reas
REAS TRAILER from Gema Films on Vimeo.
Le parti pris des décors n’est pas celui du réalisme, loin de là. Bien que les lieux soient révélateurs de l’enfermement carcéral, les grilles sont bien là, les cellules petites, les couloirs étroits… mais la palette de couleurs est chatoyante (bien que retravaillée en post-production de manière moins éclatante par le directeur de la photographie Martin Benchimol à la demande de la réalisatrice). Les pastels dominent, le rose, le bleu, le vert adoucissent et rendent presque agréable cette vie en prison.
L’entrée dans la prison se fait avec l’arrivée de Yoseli, (Yoseli Arias), 26 ans, qui s’est faite pincée à la douane avec de la drogue dans sa valise. Le rêve parisien (d’ailleurs tatoué sur son corps) s’évapore avant même de pouvoir prendre l’avion. La première scène donne le ton : la jeune Yoseli rejoue son incarcération, fouille, dépôt de ces habits, arrivée dans sa cellule et connaissance de sa codétenue. La mise en scène est soignée, les cadrages très étudiés, on ressent la patte avertie de la metteuse en scène de théâtre qu’est aussi la réalisatrice : on oscille déjà entre documentaire et fiction.
Cette scène d’ouverture, très réussie, sera la première d’une longue série où le spectateur découvre les tranches de vie carcérales d’une dizaine de détenues, toutes aussi émouvantes les unes que les autres ; et félicitations à Lola Arias qui a choisi de faire jouer des personnes cis mais aussi trans montrant ainsi une réalité peu abordée.
Les récits ne se font pas sur un ton larmoyant, loin de là, ils se narrent avec entrain, dans des rires, de l’humour et des scènes chantées. Le film prend en effet le parti de la comédie musicale sur plusieurs scènes. Cette approche, en plus d’être particulièrement agréable pour le spectateur, est, comme le déclare la réalisatrice, l’un des moyens de ne pas faire revivre des histoires traumatiques de manière négative. Tous les personnages sont attendrissants, même les matonnes, trio succulent de trois anciennes détenues passées de l’autre côté de la cellule… et qui ne semblent, pour leur part, pas rigoler du tout en définitive.
Un quotidien se met en place, des amitiés et parfois des amours se nouent. L’une apprend aux autres les techniques de base du voguing, d’autres créent un groupe de rock et donnent un concert devant certains de leurs proches ; une parenthèse enchantée dans ce monde carcéral, mis en musique par le musicien Ulises Conti. Amours enfin aussi, car un mariage est également célébré…
Reas, n’est donc pas un énième film sur l’enfer des prisons, bien que celui-ci soit suggéré. Derrière les dialogues truculents, les scènes dansées, chantées, on ne peut que réfléchir également sur la dureté de ces vies re-mises en scènes. La violence est présente mais pas visible au premier regard. Elle est subtilement évoquée par les tatouages arborés fièrement, par le hors-champ de cette scène de passage à tabac particulièrement violent, par les souvenirs évoqués ; et bien sûr, par le thème lui-même, celui de cette prison d’Ezeiza et de ces trajectoires de vie cassées.
Reas est une comédie douce-amère hybride, à la frontière du documentaire et de la fiction qui, espérons-le, aura la chance un jour d’être distribuée sur les écrans français.
Vu au Festival de cinema latino américain de Toulouse en mars 2024.