Films
La mine du diable
Épigraphe et mise en mouvement
Une voix off, celle d'un narrateur tout aussi atemporel, inscrit le film dans le principe du récit : « Son cuentos sobre nadie pero pueden ser de todos » dit-il, et résonnent alors, pour planter ce décor en mouvement, les mots suerte, amor, oro, muerte. On comprend que le film mêle traits fictionnels et caractéristiques du documentaire, où les histoires racontées sont celles d'êtres anonymes, et ce n'est d'ailleurs que très tard que l'on apprend comment s'appelle le protagoniste. Le générique de début confirme d'emblée l'attitude contemplative dans laquelle nous sommes plongés : un rythme lent qui est celui de la compréhension et de la prise de conscience. On est particulièrement sensible à la qualité des choix sonores : la place des silences – l'implicite étant la clé de compréhension -, la bande son qui croise elle aussi tradition et contemporanéité, le bruit des pas dans les pierres et le sable d'une clarté qui favorise l'immersion : c'est la route du protagoniste.
Chapitre 1 : Secocha
On quitte alors la géométrie urbaine visible depuis les hauteurs des quartiers pauvres de Lima pour entamer un parcours vers les montagnes, lieu de l'espoir. C'est que dans ce film, contemplation n'est pas incompatible avec dynamique : en effet, Jorge est condamné à avancer, à trouver des solutions pour survivre, et travailler. C'est aussi à ce moment que commencent les dialogues, qui permettent de comprendre le contexte de violence, mais aussi, par le récit de Cristián, un miraculé du système, comment l'exploitation de la mine est liée à une oppression qui se maintient : les méandres du Voreux ne sont jamais bien loin, même si cette fois, la mine est délibérément utilisée comme arme de crime. Cela est d'autant plus troublant qu'à ces massacres s'articule la tradition du pagacho, ce tribut que l'on donne à la Gringa – qui n'a rien de la nourricière Pachamama – en sacrifice.
Chapitre 2 : La Rinconada
La mine du Diable n'est pas le premier long-métrage sur le sujet à avoir choisi comme lieu d'action La Rinconada, impressionnante ville située 5300 mètres au-dessus du niveau de la mer. Jorge cherche son équilibre debout sur une meule dont on se demande si elle broie davantage les pierres que l'on écrase ou si ce sont les hommes qui sont comprimés sous le poids de la logique implacable, de cercle vicieux de l'enfermement dans lequel ils se trouvent. Tortone maîtrise l'art des fondus au noir selon un tempo bien calculé : on sait quand on entre dans la mine, mais pas toujours quand on en est sorti, et les jeux d'ellipses contribuent à ce constat dramatique. Malgré ses efforts, Jorge fait le bilan amer de ce qui lui arrive : « Ni nada malo, ni nada bueno », une chance ?
Un cuento que no termina
Finalement, lors de ce carnaval où les valeurs sont inversées, la boucle est bouclée et l'on retrouve les premières images du film : enterrer le coq qui n'a pas résisté à la lutte, puis enterrer des corps dont on finit par ne plus savoir s'ils sont ceux des mannequins grimés en mineurs, ou des corps réels. Le montage est en cela extraordinaire, entre effets de ralenti et alternances de plans qui insistent sur le principe d'un sacrifice qui semble inévitable.
Film à l'occasion du festival Les Regards de Valence, mars 2023. Merci à notre partenaire !