Films
Le vendredi 10 mars 2023. Film de Valentina Maurel (Paul est là, court-métrage, 1er Prix de la cinéfondation, Cannes 2017). Une production du Costa Rica – une chance que de voir ne serait-ce que quelques films de ce pays où l’industrie du cinéma commence à se tisser-, de la Belgique et de la France. Avec les acteurs protagonistes Daniela Marín Navarro et Reinaldo Amien Gutiérrez (Lucia en el limbo, 2e court de la réalisatrice). Cette dernière observe la relation d’une jeune fille avec elle et les siens, mais aussi dans son éveil à l’âge plus adulte. C’est l’histoire d'Eva et des décisions qu’elle va devoir prendre dans ce toboggan émotionnel que sont les découvertes des relations, sexuelles, amicales et familiales au lendemain de l’âge de l’innocence.
Le titre Tengo sueños eléctricos traverse tout le film à des moments et dans des lieux bien précis. Le film s’ouvre sur un ciel où les câbles électriques se croisent et s’entremêlent. Une sorte de partition sur laquelle le spectateur pourra lire les péripéties de la jeune Eva l’indécise ? l’effrontée ? l’abandonnée ou encore la déroutante ? Elle est toutes ces femmes en devenir, celle qui, pourtant, est qualifiée par sa propre mère de « possédée par le même démon que son père ». De quel démon s'agit-il ? Là encore, c’est le spectateur qui reveindra en découdre. Le film laisse la place à la lecture en exposant, avec intelligence, pudeur et réalisme la « horde des animaux sauvages" héritiers d'une violence qui ne leur appartient pas.
Martín fume trop, là où l’on n’a pas le droit, il craque souvent. Incapable de résister à ses pulsions, il cède régulièrement à des accès de colère mais aussi d’amour. Un amour qu’il doit cesser de partager avec la femme dont il divorce mais qu’il maintient du mieux qu’il peut avec ses filles. Martín, dans la souffrance, semble vivre hanté par son incapacité à faire véritablement ce qu’il souhaite. Il fréquente un atelier de poésie qu’il partage avec sa grande fille. Les deux s’y transforment en âmes errantes, testant leurs limites, soit en découvrant le corps des autres, soit en écoutant les mots des autres. Les deux se cherchent mais peuvent-ils pour autant oublier qui ils sont, un père violent et une fille de 16 ans en voie d'émancipation?
Ce n’est pas non plus le huis clos étouffant de la maison maternelle qui pourra les aider à rétablir un équilibre après les fêtes illicites. La mise en scène d’une moiteur inquiétante de leurs corps, comme une fièvre qui envahit les personnages au fil des séquences, l’incapacité à trouver une intimité respectée -la jeune fille qui, même dans sa chambre, se retrouve face aux questions des autres, toujours intrusifs- peut-elle trouver un refuge et une écoute bienveillante ? Non-. Tengo sueños eléctricos raconte cette transition vers l’âge adulte comme une impasse à contourner par tous les membres d’une famille détruite. La force de l’amour est ainsi questionnée dans des relations et expériences ô combien accélératrices de vie.
Nous avons apprécié le recours à des plans inattendus montés avec brio (Bertrand Conard) lors des scènes intimes de corps qui s’aiment ou se violentent. Nous avons également apprécié la justesse des acteurs qui incarnent leur personnage comme s'il était une seconde peau. Nous pouvons imaginer tout le travail de répétition qui donne un relief remarquablement lumineux à une histoire plutôt mélancolique et parfois hermétique. Nous avons apprécié comment la rue qui parle est filmée : les graffitis sont aussi une poésie de la communication (directeur de la photographie : Nicolás Wong, CCR). Un film qui résonne en nous comme le « Lemon incest » de Gainsbourg. Poétique et politique aussi, Tengo sueños eléctricos raconte comment les violences familiales sont les conséquences d’une société déchirée entre l’envie de se libérer et la récurrente fuite en avant.
Valentina Maurel, une réalisatrice à ajouter à la liste des cinéastes costariciens que nous suivrons de près.