Films
Matador
Et à ce dernier d'ajouter :
« C'est mon film le plus abstrait, bien qu'il parle de quelque chose de très concret, le plaisir sexuel et la mort. C'est mon film le plus éloigné du naturalisme et la réalité objective. J'ai essayé de faire de ce film une sorte de fable dont les personnages étaient plutôt des héros qui ne trouvent leur place que dans une légende parce qu'ils représentent ce qu'on ne peut arriver à faire dans la vie. » (1)
Dès lors, le fil conducteur du film (terme qu'on préférera à l'idée de « logique », associée généralement à la raison, ici absente au profit de la recherche irrationnelle du plaisir) est davantage à dénicher dans les pulsions de ses personnages, par le biais d'images souterraines et/ou symboliques (tournant toutes autour de la culture traditionnelle ibérique : tauromachie, machisme, religion avec l'évocation de l'Opus Dei, etc.) plutôt que dans le récit à proprement parlé, sans peine d'éprouver une certaine déception. Ce qui n'empêche pas Almodóvar d'y intégrer des commentaires concrets sur la société espagnole, à l'exemple des deux « mères » du film : l'une représentant le poids castrateur et répressif de la religion (Julieta Serrano), l'autre une forme d'émancipation et une force de caractère (le truculent personnage incarné par Chus Lampreave, pince-sans-rire comme jamais). Dans une séquence apparemment digressive, où il se met lui-même en scène, le réalisateur déclare « Ce pays est divisé en deux [...] d'un côté on y trouve les Envieux, et de l'autre les Intolérants ». Malgré son apparence hétéroclite (Marcos Uzal parle de « film Frankenstein ») et son intrigue débridée, le film laisse deviner une personnalité artistique qui s'affirme et se structure. Matador est d'ailleurs la dernière œuvre d'Almodóvar dont il ne soit pas le producteur (El Deseo, la société de production créée avec son frère Agustín, ne démarrera que l'année d'après avec la réalisation de La Loi du Désir), confirmant ainsi définitivement son indépendance en tant que créateur.
Autour du couple d'amants jouisseurs et autodestructeurs (Diego/Maria, Nacho Martinez/Assumpta Serna), l'histoire déploie tout un petit monde, soit une galerie de personnages en autant d'intrigues possibles qui se nouent et se combinent par des jeux de coïncidences et de résonnances, lui conférant des allures de vaudeville surréaliste et annonçant la théâtralité encore plus assumée d'un Femmes au bord de la crise de nerfs (1988). Au sein de cette troupe constituée de collaborateurs réguliers, Antonio Banderas - dans son premier rôle majeur et qui selon Almodóvar est "l'acteur masculin qui a le mieux communiqué ma vision des personnages masculins" (1) – resplendit à composer un personnage à l'innocence déphasée (et au prénom à la symbolique évidente : Ángel), dans un rôle proche de celui qu'il tiendra dans le futur Attache-moi ! (¡Átame!, 1989). Ce goût des intrigues parallèles apporte une certaine chaleur humaine à l'ensemble qui contrebalance avantageusement la distance maintenue sciemment avec l'histoire principale. Les Chicas Almodóvar, Carmen Maura et Verónica Forqué, accompagnées du flegmatique inspecteur de police incarné par Eusebio Poncela, complètent un casting particulièrement réjouissant.
Sans être son œuvre la plus réussie, Matador s'affirme cependant comme un film-clé de Pedro Almovódar, ouvrant sans nul doute la période la plus passionnante de sa filmographie.
Références :
(1) Extraits de STRAUSS, Frédéric, Conversation avec Pedro Almodovar. Éditions, Cahiers du Cinéma, 1994. 160p.
Les détails du DVD/Blu-Ray Tamasa :
Référence : 3700697002390
Collections : Aqui España, Auteurs, DVD
Genres : Eros et Thanatos, Espagne, Mise à mort, Serial killer, Tauromachie, Torero
Année d'édition 2022
Support DVD Digipack
Langues : Version originale (espagnol) sous-titrée en français + Version française
Durée : 1h43
Caractéristiques Espagne - 1986 - 16/9 - 1.85 - Couleur - Master restauré 2K
Bonus : "Un film charnière" par Marcos Uzal, 30' / Film annonce d'origine