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Estación Catorce est le troisième long métrage de Diana Cardozo. Après 12 mujeres en pugna (2006) et La guerra de Manuela Jankovic (2014), la réalisatrice, également scénariste et productrice du film, s’intéresse à des sujets importants et malheureusement bien trop présents au Mexique : la violence quotidienne et la masculinité toxique. Et c’est à travers une fiction et les yeux d’un enfant de 7 ans qu’elle a choisi de relever le défi.
Le film débute dans une salle de classe. Une scène d’insouciance qui, petit à petit, va monter crescendo et annoncer la suite. Cela commence par un enfant qui raconte une scène de violence dont aucun enfant ne devrait avoir connaissance. Puis tout à coup, on passe à un niveau supérieur avec la sonnerie qui retentit et les enfants qui doivent évacuer et rentrer au plus vite chez eux. La caméra suit le jeune Luis (Gael Vásquez) jusqu’à chez lui et ce moment de grande tension continue alors qu’il aide son père à barricader la maison. Agenouillés et blottis les uns contre les autres dans l’obscurité, la caméra est au plus près d’eux et à travers leurs regards et leur respiration saccadée, nous vivons aussi ce moment de forte tension jusqu’aux inévitables coups de feu. La peur est là, aussi présente chez les adultes que chez les enfants. Et cette peur, c’est ce quotidien violent et normalisé qui règne dans de nombreuses villes mexicaines.
Avec ce film, Diana Cardozo entend dépeindre cette réalité. Pour la suite du film, elle le fera en suivant le quotidien de Luis dans cet environnement mais aussi en s’intéressant à la relation qu’il entretient avec son père Manuel (José Antonio Becerril). Ce dernier aime son fils mais ne se rend pas compte que celui-ci n’a que sept ans. Au lieu de le protéger de cette (trop) dure réalité, il n’hésite pas à l’emmener avec lui lorsqu’il entre piller une maison, là où deux corps sans vie jonchent le sol devant l’entrée. De cette expédition, ils ramèneront un canapé orange qui jouera par la suite un rôle important. Dans cette virée, Luis y perdra son insouciance de jeunesse après ce face à face avec la mort où son regard ne pourra se détacher des corps étendus au sol.
Plus tard, c’est à l’école que les autres enfants lui reprocheront d’être le fils d’un voleur, vu en train de piller la maison. Luis ne supporte pas d’entendre cela et se bagarre (attitude qu’encouragera vivement Manuel). Mais au fond, il comprend et voit bien que ce père qu’il idéalisait n’est pas si parfait et qu’il possède des failles. Quant à Manuel, il sent aussi que la situation lui échappe et que son fils prend conscience de certaines choses. Alors il essaye, maladroitement, de rectifier le tir pour redevenir ce père héroïque et idéal auprès de son fils. La scène où ils partent tous les deux à vélo avec le canapé orange pour tenter de le vendre est saisissante. Certes un peu longue mais au-delà de l’incroyable rendu cinématographique avec un brouillard qui enveloppe en même temps les montagnes et les personnages, cette épreuve, tant physique que psychologique, montre bien là l’échec de cette tentative. Manuel perd pied et cet effort ne lui servira finalement à rien si ce n’est à perdre encore un peu plus de crédit aux yeux de Luis.
L’autre aspect que la réalisatrice a su brillamment retranscrire est celui de la masculinité toxique. Elle expliquait comment, en tant que cinéaste, elle souhaitait « montrer la manière dont la masculinité se transmet et s’apprend dans un environnement éminemment patriarcal ». Luis est tiraillé entre l’envie de faire comme son père et rendre celui-ci fier de lui et son besoin d’être simplement un enfant insouciant, jouant avec ses amis ou encore avec son chiot. Ces moments de joie avec les animaux sont d’ailleurs des instants de joie qui contrastent totalement avec la violence environnante. L’environnement patriarcal est omniprésent dans le film à l’image de cette scène où Manuel reproche à sa femme de ne rien faire puisqu’elle « ne travaille pas » alors que celle-ci n’a pas une minute à soi. Ou encore quand il encourage son fils à se battre pour se faire respecter. Cet ensemble d’attitudes mène à une acculturation à la violence des petits garçons et Diana Cardozo le pointe très bien du doigt.
Un sujet fort traité du point de vue de l’enfance qui nous rappelle le film Los Lobos de Samuel Kishi Leopo, où la thématique de l'exil était vue à travers le regard de deux jeunes enfants. Comme dans Los Lobos, les moments de jeux sont importants. Malgré toute la violence et la dureté économique de son quotidien, Luis maintient un lien avec son enfance grâce à ses amis. Ils jouent au ballon, s’inventent des histoires et ces instants semblent tellement spontanés qu’on en oublie presque qu’ils sont devant une caméra. Malgré tout, l’ambiance de mort et de violence s’immisce peu à peu dans leurs parties de jeu. Ils se retrouvent à jouer dans la maison brûlée et pillée et retrouvent la chaussure de l’homme que Luis a vu mort. Au lieu d’être effrayés, les enfants parlent tout naturellement du fait que cette dernière ait un impact de balle. Tel est leur quotidien.
Estación Catorce aborde des thématiques déjà connues et traitées au Mexique mais, ce qui en fait un film saisissant et singulier, c’est l’approche qui en est faite. Diana Cardozo aborde ces thèmes du point de vue de l’enfance et cela fonctionne. Le monde des adultes à travers le regard d’un enfant apporte un vent de fraîcheur à des thématiques aussi dures et comme le dit très bien la réalisatrice « Malgré tout, la vie continue et les enfants continuent de découvrir le monde ».