Films
To kill the beast
Emilia (Tamara Rocca), est à la recherche de son frère à qui elle laisse en vain des messages sur le répondeur. Il semble vivre quelque part à la frontière entre l’Argentine et le Brésil. Emilia débarque alors chez sa tante (Ana Brun) qui possède un hôtel dans la jungle. Une double intrigue se met ainsi en place, celle de l’absence du frère à retrouver mais aussi celle de cette légende qui court dans la région, celle d’une bête dangereuse qui rôderait aux alentours.
La grande réussite de ce film réside dans la création d’une ambiance onirique, fantomatique, souvent mystérieuse. La photographie, portée par Constanza Sandoval, mène le spectateur dans les méandres d’une jungle au brouillard épais, pesant. On suffoque avec les personnages, la moiteur perle sur les corps, la chaleur prend vie à l’écran.
Le son, pris en charge par Mercedes Gaviria Jaramillo (fille du réalisateur colombien Víctor Gaviria) accentue l’envoûtement occasionné par ce personnage essentiel qu’est la jungle : appels téléphoniques restés sans réponse, bruissements des arbres et des rideaux, chuchotements mystérieux… Un décor pesant, propice au mystére et au suspens…
Le décor est planté mais le scénario, au départ alléchant, peine à trouver un rythme. Emilia cherche son frère, reste consciente de cette bête mystérieuse mais elle se cherche aussi. Les plans sont souvent longs, plus contemplatifs d’un décor que de personnages en action véritable. Une nette opposition entre l’intérieur et l’extérieur se fait sentir et donne un semblant de rythme : intérieur plutôt sécurisant où les personnages rient et parviennent à se laisser aller en contradiction avec cet extérieur menaçant et oppressant dû à la présence de cette bête et des villageois·e·s qui cherchent à la chasser.
Emilia est finalement seule dans ses quêtes, et notamment celle de ce corps qu’elle va apprivoiser grâce à l’arrivée d’une nouvelle cliente de l’hôtel, incarnée par Julieth Micolta, jeune actrice afro-colombienne au charme envoûtant. Le film bascule alors dans un éveil des sens pour la jeune Emilia, passant par des regards, des attitudes, puis une approche bien plus directe et charnelle . De superbes plans sont ainsi mis en place sur ce chemin initiatique à la recherche de la liberté.
To kill the beast, c’est aussi un ancrage précis dans la province de Misiones ( au nord-est de l’Argentine]. La réalisatrice, dans sa note d’intention, précise qu’ « En Amérique latine, la plupart des mythes sont basés sur des figures masculines qui violent (« corrigent ») les filles qui désobéissent aux règles ou à leur père. [… les] habitants […] croient tous qu’il y a une bête qui serait le fantôme d’un homme maléfique. ». C’est bien là, dès le titre qu’aurait résidé l’attrait de cette double quête : celle de la bête et celle du frère. Malheureusement, malgré une certaine maîtrise du temps et du suspens, la fin laissera sans doute le spectateur sur sa faim.
To kill the beast est donc avant tout une réussite sensorielle, la jungle, Emilia et la bête formant un trio parfait dès le départ : la caméra filme et cadre avec précision, la bande-son est maîtrisée. Mais l’action s’étiole peu à peu, explore plusieurs directions que le montage n’arrive pas à fluidifier. Certains personnages secondaires auraient sans doute mérité plus de relief. Et cette bête alors ? : nous vous laissons juges du dénouement.
L’affiche, enfin, est alléchante et bien réalisée : jungle luxuriante et bâtisse mystérieuse, sensualité d’une jeune fille lascive, yeux maléfiques perçant cette obscurité énigmatique. Ce premier film s’avère, à l’image de l’affiche artistiquement très réussi mais on attend avec impatience, lors du clap de fin, le deuxième opus de la réalisatrice pour confirmer des débuts somme toute très prometteurs